Le cercle des survivants de la grande aventure des années 60 se rétrécit un peu plus chaque année. Avec la mort de Paul Legatte, survenue à l’hôpital de Niort le 27 février dernier, c’est l’un des meilleurs artisans de la reconquête qui nous a quittés.
Rien ne prédisposait Paul Legatte à jouer les premiers rôles. Fils aîné d’un petit entrepreneur du Limousin émigré vers l’ouest et installé à Saint Hilaire La Palud, dans le Marais poitevin, il était plutôt destiné à relayer son père à la tête de l’entreprise familiale. Il préféra poursuivre ses études, dans des conditions qui n’étaient pas toujours faciles, et les prolonger par un succès au concours de rédacteur au ministère des finances.
Il fut remarqué par Georges Boris, puis par Pierre Mendès-France, qui le fit entrer au Conseil d’Etat en 1954 et dont il resta le collaborateur jusqu’à la fin de la IVème République ; mais, tandis que Mendès-France continuait à s’interroger, Paul Legatte était bien résolu à contribuer sans plus attendre au rassemblement et à la victoire des forces de gauche.
C’est donc tout naturellement qu’il se retrouve au côté de François Mitterrand dès les premiers temps de la Vème République et qu’il sert ses projets avec autant d’efficacité que de discrétion. Paul Legatte se souciait peu de paraître ; mais il ne manquait ni d’autorité ni de finesse, et ceux qui ont vécu cette époque n’ont pas oublié le rôle déterminant qu’il a tenu dans l’organisation de la campagne de 1965 et qui lui fut à nouveau confié en 1974, puis en 1981.
Chargé de mission auprès du Président de la République en 1981, il quitta l’Elysée pour le Conseil constitutionnel en 1983, avant d’être appelé aux fonctions de Médiateur de la République en 1986. C’est là, sans doute, qu’il connut son heure de gloire et que, pris d’un zèle ardent pour l’équité, il sut montrer qu’un préteur ne déchoit pas en réglant les petites affaires avec le même soin que les grandes.
Lorsque son mandat de Médiateur eut pris fin, en 1992, Paul Legatte mena une existence de semi-retraité, siégeant tantôt au Conseil supérieur de la magistrature, tantôt au Conseil économique et social, mais toujours présent rue de l’Elysée à l’occasion des déjeuners, – les célèbres » déjeuners Legatte « , – qu’il avait pris l’initiative d’organiser dès son arrivée à la Présidence et qui se succédaient régulièrement suivant un rituel qui n’a jamais varié.
Après 1995, Paul Legatte partagera son temps entre Paris et la maison qu’il avait héritée de son père à Saint Hilaire La Palud. Ses séjours à Paris se firent de plus en plus rares et de plus en plus brefs à mesure que le temps passait, jusqu’au jour où ses amis ont appris avec une grande tristesse qu’ils ne le reverraient plus.