Candidat à la présidence de la République dès 1965, puis à la tête du Parti socialiste à partir 1971 qui devient rapidement le principal parti d’opposition en France et, enfin, Président de la République quatorze ans durant, François Mitterrand a profondément marqué de sa personnalité la vie publique de notre pays. Au-delà des très nombreuses biographies retraçant son parcours politique, il nous a semblé intéressant de nous interroger sur le contenu de cequ’on a communément appelé le “mitterrandisme».
Pour tenter ce qui ne peut-être qu’un début de définition, nous avons réuni Claude Estier, membre honoraire du Parlement, Jean-Claude Colliard, ancien membre du Conseil constitutionnel, Maurice Benassayag, conseiller d’Etat, Jean-Marcel Bichat et Jean-François Mary.
Par ailleurs, nous avons interrogé Rémi Darfeuil, chercheur en sciences politiques et enseignant à l’université de Toulouse qui a mené sur cette question un intéressant travail.
JFH – Dès la proclamation de la Constitution de la Vème république et plus encore après le référendum instituant l’élection du président de la république au suffrage universel, François Mitterrand n’a eu de cesse de combattre vigoureusement ce texte. Pourtant une fois élu à la présidence de la république il n’y a pas touché. Comment expliquez ce qui a parfois été considéré comme un revirement de sa part ?
JM Bichat – Je ne vois pas de revirement. François Mitterrand a principalement développé sa critique des institutions de la Veme République dans son ouvrage « Le coup d’Etat permanent ». C’est surtout l’article 16 qu’il met en cause. De façon générale, ce qui le porte à s’indigner, ce sont les conditions du retour de Gaulle dans un contexte de menace sur l’ordre républicain et les risques que ce texte contient en germe dans la mesure où il autorise des pratiques qu’il récuse. Le pouvoir absolu du président, c’est là que se trouvait pour lui l’objet du scandale.
Si, parvenu au pouvoir, il ne modifie pas ce texte c’est qu’il sait qu’il n’en utilisera pas les détours les plus dangereux. Il n’a pourtant pas changé d’avis, ce qui lui fait dire : « Les institutions ont été dangereuses avant moi et le redeviendront après moi ». Pourquoi alors ne pas les avoir réformées ? Pour réformer les institutions, il faut un certain consensus et pour les gaullistes, l’auteur du « coup d’Etat permanent » ne pouvait pas bénéficier du moindre consensus sur ce sujet. Son successeur en revanche ne se privera pas de les réviser à de nombreuses reprises.
Avec la Commission Vedel à laquelle appartint Jean Claude Colliard, il a néanmoins, avant la fin de son mandat, dressé quelques pistes de réformes.
JC Colliard – Soyons clairs : en 1981, cette réforme n’est absolument pas prioritaire. Le gouvernement se lance en effet sans attendre dans une série de grands chantiers qui le mobilisent tout entier : les nationalisations, les lois de décentralisation, l’abolition de la peine de mort, la réforme de l’audiovisuel pour ne citer que les plus marquants.
Pour mettre en œuvre la rupture promise, le temps est compté. Il faut aussi se rendre compte que s’il s’était avancé sur ce terrain, il aurait immédiatement rencontré des difficultés institutionnelles difficiles à surmonter ne serait-ce que celles qui n’auraient pas manqué de venir du Sénat où la droite était largement majoritaire.
La défense des libertés publiques
M. Benassayag – Pour bien comprendre les raisons qui le font s’insurger contre la nouvelle Constitution, on ne peut laisser de côté les conditions du retour au pouvoir du Général De Gaulle. Il y revient dans les fourgons de l’armée. Cette circonstance marque profondément de son empreinte l’acte fondateur de la Vème République. S’il persévère dans ses attaques c’est pour dénoncer l’usage qu’en fait alors, très vite, le général De Gaulle. Par exemple, lors du procès de Salan. Le tribunal saisi de l’affaire ne rendant pas le verdict qu’il en attendait, celui-ci institue immédiatement la Cour de Sureté de l’Etat.
C. Estier – Je pense qu’il est nécessaire de remonter en arrière pour reconstituer ce qu’a été le cheminement de la réflexion de François Mitterrand dans cette matière. Il avait participé au fonctionnement des institutions de la IVème république, qui accordaient une prédominance aux assemblées même s’il en voyait avec lucidité les principales faiblesses. Mais en même temps qu’il dénonce les dangers qu’il décèle dans les institutions de la Vème République, il entrevoit immédiatement l’opportunité qu’ offre l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel.
Il est très certainement le premier à saisir qu’à partir de là, la confrontation politique aura lieu dans le cadre d’une bipolarisation gauche-droite. Donc en même temps qu’il porte le fer contre le renforcement du pouvoir personnel, il réalise l’opportunité que représente ce nouveau cadre institutionnel. En cela, il se sépare de Pierre Mendès France qui lui aussi condamne ce régime. Pour ce dernier, les institutions étant mauvaises, il ne faut pas y entrer.
Pour François Mitterrand, tout en en dénonçant les conséquences et les mauvaises pratiques, ces institutions sont une réalité. Il perçoit immédiatement qu’elles représentent un atout pour la gauche qu’il veut amener au pouvoir.
JC Colliard – En cela, il est différent de Pierre Mendès France. Si, en effet, nous en étions restés aux modalités de désignation du Président de la république prévues en 1958, la droite était certaine de demeurer indéfiniment au pouvoir du fait de la couleur politique d’un des deux collèges, le Sénat.
Avec la modification intervenue en 1962, la probabilité d’un affrontement gauche-droite au second tour de l’élection présidentielle devenait très forte.
Décentralisation : rendre le primat aux élus
JFH – Peut-on interpréter les lois de décentralisation comme une contrepartie au fait que cette réforme ait due être abandonnée ?
C. Estier – Certainement pas. Cette réforme était pour lui une priorité. Il l’avait clairement affichée dans son programme électoral de 1981. L’expérience qu’il avait vécue en tant que Président du Conseil général de la Nièvre l’avait profondément marqué. En tant que politique être en effet sans cesse en butte aux décisions d’un préfet tout-puissant ou de fonctionnaires agissant sans en référer aux élus l’avait ulcéré en de nombreuses occasions.
JF H – Est-ce pour cette raison qu’il donne la priorité aux départements avec fort peu d’avancées pour les régions?
JC Colliard – Par culture historique, il se méfiait du risque qu’il y aurait eu à trop renforcer les prérogatives des régions, faisant de leurs responsables élus de grands féodaux.
JM Bichat – Je crois qu’il a été très réservé sur l’élection au suffrage universel des présidents de conseils régionaux. Il pensait sans doute que cela en ferait de très grands féodaux dont le pouvoir serait supérieur à celui de nombreux ministres et avait sûrement à l’esprit l’utilisation par les Français des élections intermédiaires pour sanctionner le pouvoir en place. Les résultats des élections régionales de 2004 ne l’auraient pas surpris.
M. Benassayag – Il craignait également que les régions s’arrogent le droit de passer des accords au-delà des frontières nationales.
Les gouvernements gouvernent
JF H. – Les circonstances, les fluctuations électorales, lui ont donné trois occasions de manifester son interprétation de la constitution : cinq années de majorité absolue à l’Assemblée nationale, deux cohabitations, cinq années de majorité relative. Ne trouve-t-on pas des variations significatives dans sa pratique selon ces périodes ?
JM Bichat – D’une manière générale, il a laissé travailler ses Premiers ministres. Alors président du groupe parlementaire, Pierre Joxe rappelait régulièrement aux députés que « l’Elysée » ou « Matignon », cela n’existait pas. Il y avait des hommes et des femmes qui travaillaient dans ces lieux de pouvoir et toutes les interventions n’engageaient pas le président ou le Premier ministre ou leurs proches collaborateurs. Tout ce qui était présenté ou perçu comme venant de « l’Elysée » ne venait pas toujours directement de lui ou de ses collaborateurs les plus directs, je l’ai constaté à Matignon sur quelques cas précis.
JC Colliard – La nature des relations personnelles a bien sûr influencé les relations entre l’Elysée et Matignon. Sans doute y-a-t il eu plus d’interventions de François Mitterrand au début du gouvernement de Pierre Mauroy mais avec l’arrivée de Michel Delebarre au poste de directeur de cabinet les relations se sont normalisées.
M Benassayag – Il y avait une réelle complicité entre Pierre Mauroy et François Mitterrand qui remontait au congrès d’Epinay. En outre, il ne faut pas oublier que mis à part Gaston Defferre, Alain Savary et, pour une courte période Maurice Faure, les autres ministres n’avaient aucune expérience gouvernementale.
C. Estier – Avec Laurent Fabius, François Mitterrand n’interfère plus dans la conduite du gouvernement. De même avec Michel Rocard: il l’a laissé gouverner en dépit des préventions qu’il nourrissait contre lui.
JF. Mary – Il l’a quand même écarté brutalement de son poste sans que rien ne le lui ait laissé présager. A la grande surprise de l’intéressé d’ailleurs.
M. Benassayag – La rupture avec Michel Rocard vient après que François Mitterrand ait constaté ses insuffisances au cours de la première guerre du Golfe.
C. Estier – A mon avis son sort était scellé un peu avant. C’est au contraire la guerre du Golfe qui a prolongé Michel Rocard.
JF H. – Pourquoi alors l’avait-il nommé?
J.C Colliard – Au cours de cette période, un groupe d’économistes conduit par Jacques Attali est venu alerter François Mitterrand sur le risque d’une crise économique imminente. C’est sans doute à cette occasion qu’est venue l’idée de faire appel à Michel Rocard. La suite a démenti ces experts puisqu’au contraire la France a bénéficié d’un croissance importante qui a permis une redistribution du pouvoir d’achat à certaines catégories, redistribution que François Mitterrand jugeait malgré tout insuffisante.
JF Mary – Les élections municipales qui ont eu lieu dans cette ambiance ont d’ailleurs été un réel succès pour les socialistes.
JC Colliard – De même que le référendum sur la Nouvelle Calédonie. Notons d’ailleurs au passage que c’est le seul référendum qui ait été présenté en conformité avec l’esprit et la lettre de ce que dit la constitution “à l’initiative du Président de la république, sur proposition du Premier ministre.”
Il est également intéressant de rappeler que dans ce contexte, à l’issue de la guerre du Golfe, François Mitterrand bénéficiait d’une très haute cote de popularité, supérieure à celle de son Premier ministre. Au point que quelques personnes, sûres de profiter de cette remarquable embellie, lui ont alors proposé de dissoudre l’Assemblée. François Mitterrand a écarté cette initiative : il n’était pas question pour lui de bouleverser les échéances institutionnelles par simple calcul opportuniste.
La durée du mandat présidentiel
JF H – Quelle était son opinion sur l’idée qui courait déjà d’instaurer le quinquennat ?
C. Estier – Il a d’abord penché pour le quinquennat. C’est ce qu’il a confié dans le livre-interview qu’il a fait avec le journaliste Guy Claysse en 1980.
J-M Bichat – En jouant le jeu de la cohabitation il a créé une autre image de la Constitution, il lui a donné une dimension nouvelle. François Mitterrand a accepté la logique des institutions pour mener à bien son projet politique : installer durablement la gauche au pouvoir. Il a réussi à rester au pouvoir plus longtemps que de Gaulle lui-même et d’une certaine manière il a marqué plus que lui les institutions de la Vème République telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui.
En tout cas, avec la cohabitation, c’est lui qui a démontré leur souplesse mais ce n’est pas à lui que nous devons cette bizarrerie qui nous a conduits au 21 avril, une cohabitation longue, toute la durée d’une législature, associant au pouvoir pendant 5 ans le vainqueur de l’élection présidentielle et son challenger qui exerce la réalité du pouvoir.
JC Colliard – Sur cette question, sa réflexion a continué à évoluer. Lors de l’élection présidentielle de 1981, dans son programme en cent dix propositions, il se prononce pour un mandat présidentiel ramené à cinq ans renouvelable une fois, ou limité à sept ans sans possibilité d’être renouvelé. Par la suite, il manifeste une opposition de principe à la formule du quinquennat en particulier parce qu’il trouvait nocif la concomitance de l’élection présidentielle et des législatives.
J’en veux pour preuve l’unique recommandation qu’il avait donnée aux personnes qu’il avait désignées pour siéger à la commission Vedel en 1992 : refuser que cette question soit évoquée.
C. Estier – En jouant le jeu de la cohabitation, il a donné une dimension nouvelle à la constitution.
JC Colliard – C’est exact. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler que tous les meilleurs spécialistes de droit constitutionnel prédisaient depuis le début que le système volerait en éclat si nous nous trouvions un jour dans une telle situation.
M.Benassayag – Ce faisant, il a fortement contribué à ancrer la constitution dans notre paysage.
Le « peuple de gauche »
JF H – A partir de 1974, on l’entend de plus en plus fréquemment invoquer le « peuple de gauche ». Précédemment, en particulier au cours de sa campagne pour l’élection présidentielle de 1965, il interpellait ses sympathisants en usant des termes « citoyens et citoyennes ». Au-delà de la puissance d’évocation que recouvrait politiquement cette expression?
C. Estier – Là encore, je pense qu’il faut remonter en arrière pour expliquer cette évolution sémantique. Il avait été jusqu’en 1965 à la tête d’une formation, l’UDSR, groupe charnière qui en dépit de sa petite taille lui donnait une influence réelle et lui permettait de participer à presque tous les gouvernements de la IVème République.
C’est en 1965, à l’occasion de sa campagne pour l’élection présidentielle qu’il fait le constat que l’action politique passe désormais par la mise en mouvement de grandes formations politiques, que nous sommes désormais dans une politique de masses.
JC Colliard – L’expérience de 1968, l’échec de la FGDS, le fait qu’il ait manqué le rendez-vous électoral de 1969 faute de disposer d’une grande organisation structurée le conforte dans cette analyse. C’est ce qui l’a conduit à se tourner vers la SFIO et à créer avec elle le Parti socialiste.
M. Benassayag – Dès le départ, au congrès d’Epinay, il fait prévaloir la conception d’une organisation qui a une volonté d’action, qui a vocation à conduire la transformation sociale. C’est le choix impératif qu’il pose alors devant le congrès. C’est sur cette base que se constituera la majorité du Parti dont il va prendre la direction.
J-M Bichat – Je ne suis pas certain que François Mitterrand ait employé lui-même cette expression, d’origine plutôt journalistique. Je crois qu’elle est apparue tardivement, vers 1981, et que devenu Premier ministre Pierre Mauroy l’a alors employée.
A partir de 1974, sauf pendant la parenthèse des municipales, la polémique antisocialiste du PCF rend plus difficile l’invocation de l’ « union de la gauche » même si François Mitterrand lui reste fidèle, que les communistes en veuillent ou n’en veuillent pas, ce qui prouve à ses yeux la véritable autonomie du PS contestée alors par les courants minoritaires.
Certains préfèrent parler, à l’instar de la CFDT d’ « union des forces populaires », et le PS reprendra parfois à son tour cette expression face à un PCF qui évoque « l’union du peuple de France à l’exception d’une poignée de milliardaires » … C’est l’époque où le PS préconise l’union à la base, par des actions communes de terrain et rêve de voir la majorité sociologique de la France devenir une majorité politique autour de lui : « France socialiste puisque tu existes » clame l’hymne du PS.
M. Benassayag – L’expression « peuple de gauche » qu’il ne commencera à employer qu’un peu plus tard fait écho au concept de « front de classe » qui représentait alors une des assises théoriques essentielles du Parti socialiste à partir de ces années-là.
C. Estier – L’évocation du « peuple de gauche » lui vient sans doute aussi d’une expérience très physique.
Il faut dire qu’en 1965 il découvre à travers les grands rassemblements de sa campagne des foules enthousiastes et cohérentes, pleines d’élan, auxquelles il était alors peu habitué. Plus de trente cinq mille personnes à Toulouse par exemple. Puis plus tard, par exemple, au Portugal, pendant la « révolution des oeillets » il participe également à plusieurs reprises à de très grandes manifestations à côté de Mario Soares. Là encore, dans ces circonstances difficiles, dramatiques, il en appelle au « peuple de gauche » pour « tenir » contre le PCP et la droite.
JC Colliard – Dans l’affrontement avec le PC, en particulier lors de la rupture de l’Union de la gauche, c’est également pour lui une manière de s’adresser à la base militante, politique ou syndicale, en passant par dessus les états-majors.
Qu’est-ce que le « mitterrandisme »?
C. Estier – Pour moi, le “mitterrandisme” est moins une doctrine qu’une façon de considérer la politique comme capable de modifier les rapports inégalitaires au sein de la société.
Ce qui s’appuie sur une volonté d’action – souvent pragmatique – en même temps que sur une vision qui se réfère elle-même à une exceptionnelle connaissance de l’Histoire de la France et du monde.
Le “mitterrandisme” c’est aussi un combat permanent pour la défense de toutes les libertés et la protection des droits de l’homme dont un des exemples le plus frappant aura été sa décision – à contre-courant de l’opinion de l’époque – d’abolir la peine de mort.
J.M Bichat – Il y a bien des mitterrandistes mais le mitterrandisme existe-t-il ? On connaît le gaullisme, le communisme, le gauchisme, le mendésisme mais le mitterrandisme ?
Le mitterrandisme est à la fois une aventure personnelle et une expérience collective incarné par un homme, François Mitterrand, Premier secrétaire puis Président de la République et principal leader du Parti socialiste de 1971 à 1995. Il a fait accéder la gauche au pouvoir, l’y a installée durablement et c’est une histoire qui a commencé en 1965.
Le mitterrandisme a constitué (après les parenthèses du pompidolisme et du giscardisme) la véritable solution alternative au gaullisme qui instaura en 1958 un nouveau régime avec les institutions de la Veme République. La gauche, écrasée par le retour de de Gaulle au pouvoir, se redressait lentement. Une certaine gauche se croyait en avance en se disant travailler dans le prolongement du mendésisme. La mode était d’être moderne, face à l’archaïsme du général de Gaulle.
Le club Jean Moulin, L’Express, les colloques socialistes de la SFIO, les réunions organisées à Grenoble, la candidature de « Monsieur X », étaient autant d’éléments qui tendaient à prouver que la gauche était dynamique et rajeunie. Elle était en réalité déjà en retard par rapport à la société et ce décalage apparut avec force en 1968, à travers la grève de masse, déclenchée une semaine après le début de la révolte étudiante. Des millions de gens étaient dans la rue, agitaient des drapeaux rouges, chantaient l’Internationale. La France renouait avec la tradition du Front Populaire.
Mais le premier à avoir réveillé en France cette tradition du Front Populaire, dès 1965, c’est le « candidat unique de la gauche », François Mitterrand.
Certes, il faudra attendre les lendemains de mai 68 pour que la gauche se décide à renouer avec ses origines et il faudra passer par l’épisode de l’élection présidentielle de 1969, le soutien implicite de la candidature centriste d’Alain Poher, sorte de retour au Cartel des Non de 1962 (alliance de la SFIO et de la droite antigaulliste).
Pour organiser une transformation profonde de la société française et répondre aux exigences exprimées, beaucoup se lanceront alors dans une course à l’extrême-gauche, préconisant la création d’un parti révolutionnaire. Mais l’essentiel a lieu en juin 1971, à Epinay, avec l’unification des socialistes et la création d’un nouveau parti sur une ligne d’union de la gauche.
François Mitterrand a profondément transformé le PS Parti parlementaire, intégré et identifié aux régimes de la IIIeme puis de la IVème République , le PS s’est adapté aux règles du jeu du nouveau régime, en particulier l’élection du président au suffrage universel. Parti d’opposition, le PS est devenu un parti de gouvernement moderne.
C’est aussi le Parti d’Epinay qui a mis en œuvre le projet mendésiste d’un parti enraciné dans les nouvelles classes moyennes et dans les catégories les plus dynamiques de la société française, ce que PMF ne pouvait pas réussir à partir d’un Parti radical, trop sclérosé pour rénover la vie politique française. Le socialisme avec François Mitterrand a marginalisé le communisme qui le dominait depuis la Libération et le gauchisme porté par la vague de 1968.
L’expérience de 1936, le Front Populaire, avait marqué profondément les consciences de la gauche. C’était un moment exceptionnel, une forte référence, une image idéalisée aussi : les cortèges socialiste et communiste de février 1934 se rassemblant Place de la Nation, la foule des rassemblements des 14 juillet 1935 et 1936, les défilés devant le mur des Fédérés, les grèves…
En 1965 la gauche était profondément et depuis longtemps divisée mais François Mitterrand a fait renaître ce passé. Seize ans après, c’était le « 10 mai ». Le mitterrandisme, c’est pour beaucoup d’hommes et femmes de gauche le souvenir de cette date dont il n’est pas besoin de préciser l’année pour savoir de quoi l’on parle et qui a fait de François Mitterrand aussi, comme 1936, un pôle de référence, le symbole d’un moment de foi et d’espérance dans des succès futurs.
En ce sens, c’est un phénomène qui me semble de nature assez religieuse, ce qui ne serait pas pour lui déplaire !