Quand commence le premier septennat de François Mitterrand, les attentes en matière de libertés sont fortes et elles émanent des champs les plus divers de la société. Au cours de la décennie qui vient de s’achever, les groupes de réflexion et les cortèges se sont multipliés: pour les droits des femmes, pour ceux des salariés, pour une liberté d’expression accrue…
La liste en est longue. Tous ces courants font peu à peu confluence sur le terrain de plus en plus large qu’occupe alors le Parti socialiste.
Une première mise en forme de toutes ces aspirations en est faite en 1976 dans « Liberté, libertés », un ouvrage collectif dirigé par Robert Badinter et préfacé par François Mitterrand.
Face au mouvement multiforme qui remue le pays, à travers toutes ses classes sociale et la jeunesse en particuier, la droite autoritaire se raidit. Sa figure emblématique en est alors le Garde des Sceaux nommés en 1977, Alain Peyrefitte. Celui-ci s’illustre, entre autres, en faisant voter la loi «Sécurité et Liberté», dénoncée par l’ensemble de la gauche comme liberticide.
L’enthousiasme qui se manifeste lors de la proclamation des résultats, le 10 mai 1981, est marqué en profondeur par l’empreinte de toutes ces attentes.
Le 22 mai , Pierre Mauroy est nommé Premier ministre. L’Assemblée nationale est dissoute. Les Français sont appelés aux urnes. Le Garde des Sceaux est alors Maurice Faure. Agrégé d’histoire et de géographie, docteur en droit, l’homme est une des figures marquantes du radicalisme de gauche. Il ne semble pourtant pas particulièrement en phase avec les aspirations qui se sont manifestées en ce domaine depuis de longues années.
Plusieurs fois ministre sous la Quatrième République, il a par ailleurs, comme il l’avoue, souvent arbitré les évolutions de sa carrière en privilégiant son ancrage local dans le Lot. L’hôtel de Bourvallais ne fait donc pas partie de ses décors de prédilection. Il est clair que le choix de cette personnalité répond plus précisément à la nécessité de parvenir à un bon équilibre entre les différentes composantes de l’Union de la gauche.
L’élu de Cahors ne conserve d’ailleurs cette fonction qu’un mois et un jour et, après les élections législatives, le 23 juin, il céde sa place à Robert Badinter. Voilà, cette fois, une nomination qui vaut un manifeste. L’homme qui depuis le début des années soixante-dix plaide pour l’abolition de la peine de mort se voit confier la responsabilité de la place Vendôme.
Le poids des convictions
Parmi les promesses de François Mitterrand, il en est une qui marque un point de clivage des plus nets dans la société française: c’est la question du maintien ou de l’abolition de la peine de mort.
Sur cette question, au cours de la campagne, le candidat a courageusement pris position. En particulier, le 16 mars 1981, sur Antenne 2, face à Jean-Pierre Elkabbach et Alain Duhamel, au cours de l’émission « Cartes sur table ». Interrogé sur sa position, celui-ci leur répond sans la moindre ambigüité:
« Pas plus sur cette question que sur les autres, je ne cacherai ma pensée. (…) Dans ma conscience profonde, qui rejoint celle des églises, l’église catholique, les églises réformées, la religion juive, le totalité des grandes associations humanitaires, internationales et nationales, dans ma conscience, je suis contre la peine de mort. Et je n’ai pas besoin de lire les sondages, qui disent le contraire, une opinion majoritaire est pour la peine de mort. Eh bien moi,, je suis candidat à la présidence de la République et je demande une majorité de suffrages aux Français et je ne la demande pas dans le secret de ma pensée. Je dis ce que je pense, ce à quoi j’adhère, ce à quoi je crois, ce à quoi se rattachent mes adhésions spirituelles, ma croyance, mon souci de la civilisation, je ne suis pas favorable à la peine de mort. »
Si, sur le plateau de l’émission, cette déclaration est saluée par des applaudissements, il n’en reste pas moins que nombre d’anlystes estiment que ce soir-là François Mitterrand a gravement compromis ses chances de succès. Il est un fait que, depuis des années, les sondages le disent et le répètent: plus des deux-tiers des Français sont favorables au maintien de la peine de mort.
Plus tard, les mêmes experts jugeront que le risque qu’il a pris ce soir-là devant des millions de télespectateurs a au contraire fortifié la confiance de ceux qui hésitaient encore à le suivre. L’homme, que ses détracteurs les plus acharnés disaient trop habile pour n’être pas opportuniste, avait à cette occasion encore manifesté avec fermeté qu’il ne transigerait pas avec ses convictions. Ces quelques paroles ont ravivé les couleurs de ses engagements: ceux qui en doutaient encore, à gauche, ont pressenti qu’il tiendrait ses promesses.
Le dernier pays d’Europe de l’Ouest à maintenir la peine de mort
Les idées de François Mitterrand sur ce que doivent être la justice et les libertés vont de pair avec celles de Robert Badinter. L’un et l’autre n’ont pas cessé de combattre sur ce front.
Au moment où le pouvoir d’agir leur est enfin donné, leur diagnostic est fait: en une trentaine d’années, la France a pris un retard notable sur ses voisins d’Europe de l’Ouest. Elle est, entre autres, le dernier pays à avoir maintenu la peine de mort. Par ailleurs, des juridictions d’exception – la Cour de sûreté de l’Etat et les tribunaux permanents des forces armées – créées par le général De Gaulle en 1961 à la suite du putsch des militaires d’Alger – ont été maintenues.
C’est donc sans plus tarder que le Garde des Sceaux s’attaque à ces dossiers qui suscitent les plus vives passions.
Dès le 8 juillet, le projet de loi d’abrogation de la Cour de sûreté de l’Etat est adopté en Conseil des ministres. François Mitterrand avait très vivement critiqué cette Cour dans son livre « Le coup d’Etat permanent » publié avec un vif succès en 1964 et dans plusieurs articles publiés par la suite.
L’année suivante une loi établit que les crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la nation sont jugés par des juridictions de droit commun.
A la fin du mois d’août, la question de l’abolition de la peine de mort est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Le débat s’ouvre dès le 17 septembre. Les députés de droite, pour la plupart, tentent de résister. Ils donnent de la voix, le plus souvent dans le registre de l’outrance. Ils existent cependant dans les deux partis d’opposition des sensibilités qui se désolidarisent de ces adversaires véhéments. Au RPR, seize d’entre eux, dont Jacques Chirac, Philippe Séguin, Michel Noir ou François Fillon voteront le texte. A l’UDF, ils sont vingt-et-un a suivre le même mouvement avec Bernard Stasi, Jacques Barrot ou Pierre Méhaignerie, par exemple.
Robert Badinter est ovationné par les députés de la majorité à l’issue d’un long discours dans lequel ses arguments sont amplifiés par son émotion: « Demain, grâce à vous, la Justice française ne sera plus une justice qui tue. »
Deux semaines plus tard, c’est au tour du Sénat d’adopter ce texte par 160 voix contre 126.
La «loi sécurité et liberté»
Le 9 novembre 1981, François Mitterrand demande à une commission pilotée par Jacques Léauté, juriste de réputation internationale, directeur de l’Institut de criminologie de Paris, de préparer l’abrogation de la loi du 2 février 1981, dite « Loi sécurité et liberté «. Celle-ci, présentée par le garde des Sceaux Alain Peyrefitte, avait été définitivement adoptée par le Parlement le 20 décembre précédent. Elle avait tout au long de son élaboration été fermement combattue par l’ensemble de la gauche, les syndicats, les magistrats et un certain nombre de personnalités de droite. Il lui était notamment reproché d’étendre les prérogatives de la police en matière de contrôle d’identité et de flagrant délit, ainsi que celles du parquet, de restreindre la liberté d’appréciation du juge (possibilités de sursis, de peines de substitution et de circonstances atténuantes) et de réduire d’autant les droits de la défense.
Dans les conclusions de la commission les principales recommandations concernent la procédure des flagrants délits (le prévenu pourrait demander un délai de 5 jours pour préparer sa défense), la limitation des contrôles d’identité et de la garde à vue et, pour l’essentiel, le retour à la procédure criminelle antérieure.
L’horizon semble ainsi dégagé quand le terrorisme international s’invite dans le débat avec l’attentat contre le train le « Capitole » le 29 mars 1982, attentat qui fait cinq morts. Le nom de Carlos est alors cité. Puis le 22 avril 1982, c’est une voiture piégée qui explose devant les locaux du magazine « Al-Watan al-Arabi », rue Marbeuf, à Paris. Là encore le bilan est lourd avec un mort et soixante-trois blessés. Cet attentat, non revendiqué, est lui aussi attribué au terroriste vénézuélien.
Lors des élections cantonales du 14 et 21 mars, l’opposition fait principalement campagne sur les thèmes sécuritaires. Elle parvient à mobiliser très largement: le taux d’abstention est le plus faible pour des cantonales sous la Ve République. Au final la droite peut se targuer d’un grand succès, un an après sa double défaite de 1981. Elle gagne huit départements ce qui porte à 59 sur 95 le nombre de ses présidences. Elle obtient 264 nouveaux sièges de conseillers généraux tandis que la gauche en perd 98. Si le Parti socialiste limite les dégats, avec 10 sièges en moins, les communistes en perdent 45.
A partir de là, les élus de gauche sont sur la défensive. L’élan de la vague rose est sensiblement freiné. Première conséquence: le débat sur cette loi est reporté à l’été.
Tensions entre «Intérieur» et «Justice»
C’est aussi le moment que choisit Gaston Defferre, ministre de l’intérieur, pour intervenir devant les principaux cadres de la hiérarchie policière qui conteste son autorité et les orientations politiques du gouvernement en ce qui les concerne.
Le 15 avril, place Beauvau, pour se les concilier, il leur adresse un discours dans lequel il se prononce en faveur du maintien de la procédure administrative pour les contrôles d’identité et envisage même qu’ils puissent faire usage de leurs armes au-delà des cas de légitime défense. L’opinion publique réagit vivement à cette cacophonie. La droite ironise. Cette prise de position met en difficulté Robert Badinter.
Un premier arbitrage est aussitôt rendu entre les deux ministres par Pierre Mauroy. Mais, à ce point, l’affaire est déjà allée trop loin et son intervention ne suffit plus. L’affaire remonte donc jusqu’à François Mitterrand qui doit mettre dans la balance le poids de son autorité. Un compromis entre les deux ministres est trouvé. Le gouvernement peut à nouveau aller de l’avant sur ce dossier.
Le 31 mai 1983, l’Assemblée nationale adopte la “loi abrogeant ou révisant certaines dispositions de la loi du 2 février 1981 (Sécurité et Liberté) et modifiant ou révisant certaines dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale”. Celle-ci restaure la liberté d’appréciation des juges. Le régime d’application des peines est rétabli dans la forme définie par la loi de 1978. Les Commissions d’indemnisation des victimes d’infraction sont placées auprès des tribunaux de grandes instances. Enfin, quelques uns des délits institués par la loi du 2 février 1981 disparaissent.
Enfin, en avril 1982, après avoir fait abroger la « loi anti-casseurs » de 1970, Robert Badinter parvient à faire supprimer ces juridictions d’exception que sont les Tribunaux permanents de forces armées, dernières traces des soubresauts du conflit algérien.