« Nous avons tant à faire ensemble et tant à dire aussi. »1
Élu le 10 mai 1981, François Mitterrand entre à l’Élysée le 21. À cette occasion, il organise une émouvante cérémonie au Panthéon et dépose trois roses rouges sur les tombes de Jean Jaurès, Jean Moulin et Victor Schœlcher. Le même jour, il désigne Pierre Mauroy comme Premier ministre et dissout l’Assemblée.
Lors des élections législatives qui suivent, les Français, logiques avec eux-mêmes, donnent aux socialistes la majorité absolue des sièges. Le gouvernement de la gauche, qui comprend pour la première fois dans l’histoire de la ve République quatre ministres communistes, peut donc appliquer les réformes prévues. Pas un seul secteur de l’activité économique, sociale ou culturelle du pays n’échappera à l’action de la nouvelle majorité. Dans ces premières années du septennat, la liste des lois, décrets et autres décisions est impressionnante. Un véritable catalogue à la Prévert ! Dans quels domaines, sur quels dossiers, l’influence de François Mitterrand s’est-elle fait sentir ? Il y eut d’abord, de 1981 à 1986, de grandes réformes sociétales. La suppression de la Cour de sûreté de l’état, l’abrogation de la loi « anticasseurs » de 1970 et de plusieurs articles de la « loi sécurité et liberté » de 1981, l’interdiction des tribunaux militaires, la fin du délit d’homosexualité, l’extension des peines de substitution. Dans un autre registre – huit ans après la loi Veil –, le remboursement de l’interruption volontaire de grossesse par la Sécurité sociale est promulgué, parallèlement à un ensemble de mesures sur la famille, les femmes, la jeunesse, le sport, etc. Enfin, la mesure la plus emblématique, sur laquelle le président de la République s’était personnellement engagé pendant la campagne électorale, c’est l’abolition de la peine de mort qui intervient le 9 octobre 1981.
Autre secteur où François Mitterrand a particulièrement appuyé l’action du gouvernement : la décentralisation. Depuis le XIXe siècle, l’organisation des pouvoirs entre l’État et les collectivités territoriales était restée figée en France. Paris décidant de tout, le système manquait cruellement de souplesse et de proximité. De 1981 à 1984, sous l’action énergique de Gaston Defferre, la répartition des compétences est revue. Les régions voient leurs pouvoirs étendus, leurs conseils sont désormais élus au suffrage universel direct. La tutelle exercée a priori sur les communes est supprimée. Les préfets voient leurs compétences restreintes. Le résultat est à la mesure de l’ambition. Facilitant les initiatives locales, la décentralisation offre un nouvel espace de développement aux Français.
François Mitterrand fait par ailleurs de la culture une priorité et d’abord une priorité budgétaire qui ne sera jamais démentie. Avec Jack Lang, il lance mille initiatives : « Fête de la musique », prix unique du livre et du disque, loi sur les radios libres, grandes réformes de l’audiovisuel, etc. Dès 1982 débutent les grands travaux. Controversés dans un premier temps, ils font maintenant partie intégrante du patrimoine architectural français. La province n’est pas oubliée, mais c’est surtout Paris qui en porte la marque : Opéra Bastille, La Villette, Grand Louvre, grande Arche de la Défense, Institut du Monde arabe, etc. Plus tard, ce sera la Bibliothèque nationale de France, qui porte aujourd’hui le nom de l’ancien Président.
Si ces mesures étaient importantes, les Français attendaient évidemment du gouvernement et de François Mitterrand qu’ils agissent dans le domaine économique et social.
Le gouvernement Mauroy agit vite. Pourtant, dans les premiers jours, un débat anime les discussions. Parce que les chiffres de l’économie française sont mauvais, on s’interroge : faut-il ou non risquer de les aggraver. François Mitterrand arbitre : le peuple de gauche attend des gages ; il faut tenir les promesses. Ainsi, dès le mois de juin 1981, les minima sociaux sont revalorisés. Puis, c’est l’instauration de l’impôt sur les grandes fortunes, de la semaine de 39 heures, de la 5e semaine de congés payés, de la retraite à 60 ans. Enfin, les lois Auroux – du nom du ministre du Travail – améliorent les droits des salariés et renforcent le dialogue social dans l’entreprise.
Dernier grand dossier, celui des nationalisations. Là aussi, le gouvernement hésite. Faut-il nationaliser à 50 ou à 100 %. François Mitterrand arbitre personnellement pour des nationalisations pleines et entières. Le 11 février 1982, après des débats très durs, l’Assemblée nationale en accepte le principe. En tout, sept groupes industriels, deux compagnies financières et 36 banques sont concernés. L’État se place comme en acteur central de l’économie.
Toutes ces réformes ont cependant un coût. Pour les financer, l’État recourt au déficit public et aux prélèvements sur les entreprises. On prévoyait cependant que cet effort financier permettrait de relancer l’économie et, à terme, de créer plus de richesses. Malheureusement, cette stratégie se heurte à plusieurs contraintes : la faiblesse des entreprises françaises, la dégradation du cours du franc, l’inflation, les mauvais résultats du commerce extérieur, la hausse du dollar et, surtout, une politique économique à contre-cycle. En effet, alors que la France « relance », les autres pays, eux, réduisent la voilure.
Le gouvernement réagit dès le mois d’octobre 1981 avec une première dévaluation. Puis une seconde, en juin 1982, accompagnée de mesures sévères comme le blocage des prix et des salaires. Mais rien n’y fait. Le « mur de l’argent » est là, d’autant que la situation économique internationale au lieu de se rétablir – comme l’espérait la gauche – continue de se dégrader. Il faut désormais choisir : continuer de creuser les déficits publics, laisser flotter la monnaie et prendre des mesures protectionnistes ou, au contraire, réduire les dépenses de l’État et des ménages le temps de restructurer le tissu économique français.
Autour du président de la République, les tenants de l’une ou l’autre des solutions s’affrontent. Le Premier ministre Pierre Mauroy, Jacques Delors, son ministre de l’Économie, et la plupart des conseillers de l’Élysée, militent pour la « rigueur ». Pierre Bérégovoy, Laurent Fabius – pendant quelque temps –, Jean-Pierre Chevènement, d’autres – que l’on ne va pas tarder à appeler les « visiteurs du soir » –, conseillent au Président de laisser flotter le franc tout en isolant la France sur le plan commercial. Si cette seconde solution comporte des avantages, elle aurait néanmoins deux conséquences immédiates : quitter le Système monétaire européen ; mettre entre parenthèse le Marché commun européen. Bref, se désolidariser des partenaires de la Communauté économique européenne. Or, on l’a vu, sans être un idéaliste européen, François Mitterrand est de longue date attaché à l’idée d’Europe, garante à ses yeux de la paix entre les peuples du vieux continent et d’une certaine unité du bloc occidental en ces temps de guerre froide.
À l’issue des élections municipales de mars 1983, où la gauche enregistre un net recul, François Mitterrand entretient pendant dix jours un suspense politico-médiatique puis tranche. Ce sera la « rigueur » qu’illustre le plan Delors décidé après une nouvelle dévaluation du franc. Le 23 mars, il explique sa décision aux Français : « Nous n’avons pas voulu et nous ne voulons pas isoler la France de la Communauté européenne dont nous sommes partie prenante, la séparer du mouvement qui porte cette Europe à devenir enfin l’un des grands partenaires du monde. »
Certes, l’effort de « rigueur » est en quelque sorte « social » : le gouvernement n’a pas souhaité, par exemple, diminuer les prestations sociales mais agir par un emprunt obligatoire de l’État sur les ménages, ce qui paraît plus équitable. Du reste, cet emprunt ne sera pas réclamé aux ménages les plus pauvres. Néanmoins, ces mesures restrictives atteignent durement le pouvoir d’achat des Français.
Parallèlement, le chômage continue d’augmenter. Il atteint le chiffre symbolique de deux millions en septembre 1983. La gauche perd l’une de ses principales batailles. Il faut dire que sur le terrain de l’emploi, la conjoncture est mauvaise. Le gouvernement de Pierre Mauroy doit restructurer nombre de secteurs : sidérurgie, charbonnage, textile, chantiers navals, automobile, etc. Les conséquences sont dures. Des régions entières sont frappées par le sous-emploi malgré les efforts d’accompagnement. La popularité du président de la République recule nettement dans les sondages.
À cela s’ajoute, début 1984, une première crise politique d’envergure pour le gouvernement. Alain Savary, ministre de l’Éducation nationale, proposait de modifier les équilibres entre l’école publique et l’école privée. Inquiets d’un projet qu’ils jugent « liberticide », les milieux de l’enseignement catholique et l’Église manifestent. En juin 1984, un million de manifestants défilent dans les rues de Paris. François Mitterrand sort de la crise politique par une habile manœuvre et fait retirer le texte litigieux. Désavoué, Alain Savary démissionne, bientôt suivi par Pierre Mauroy. Dans la douleur, le président de la République se sépare de son premier Premier ministre. Une page du septennat se tourne. Elle se tourne d’autant plus durement que les communistes décident à cette occasion de quitter le gouvernement. C’est la fin de l’union de la gauche pourtant victorieuse en 1981.
Le Président appelle alors à Matignon Laurent Fabius. Il a trente-huit ans. Son gouvernement continue l’effort de rétablissement économique : priorité à l’investissement et à l’épargne ; les plans industriels se succèdent. Et, effectivement, sur le plan économique, les résultats ne tardent pas. L’inflation est contrôlée, les comptes de l’État se redressent. Mais, malgré de nouvelles mesures pour l’emploi et les plus démunis – notamment les travaux d’utilité collective – la situation sociale continue de se dégrader. En 1986, à la veille des élections législatives, l’Unedic enregistre 2,5 millions de chômeurs.
La dramatique affaire du Rainbow Warrior – qui entraîne la démission du ministre de la Défense, Charles Hernu, l’un des plus fidèles mitterrandistes – ternit un peu plus l’image de la gauche et atteint directement le président de la République. L’avenir du gouvernement semble compromis.