Cette formule « d’Europe des chantiers » pourrait s’appliquer à la totalité de la construction communautaire tant il est vrai, que depuis l’instauration de la Communauté européenne du charbon et de l’acier par le traité de Paris (18 avril 1951), la lente marche du continent européen vers sa réunification n’a pas connu de pause véritable.
Le choix du terme « chantier » vient de ce que cette période historique (1981-1995) a vu la mise en place de l’ensemble des problématiques qui animent, aujourd’hui, le débat européen : dépassement d’une communauté purement économique, choix de devenir un acteur, à part entière, des relations internationales. Il est difficile d’embrasser l’ensemble des évènements qui ont marqué cette période caractérisée par la fin de la guerre froide. Mais trois séries de questions doivent être abordées : l’installation du couple « Commission européenne /Parlement européen », la fin de l’Europe de la Guerre froide, la mise en place de l’Union européenne.
La modification de la donne institutionnelle : l’installation du couple « Commission européenne/ Parlement européen ».
Le traité de Rome cantonnait l’Assemblée parlementaire européenne à un rôle consultatif. Depuis 1979, les membres du Parlement ne sont plus choisis parmi les parlementaires nationaux mais élus directement dans chaque État membre. Les procédures de coopération et d’avis conforme furent introduites à l’occasion de la signature de l’Acte unique en 1986. La procédure de coopération rendit plus difficile l’adoption d’un texte rejeté par le Parlement et facilita l’adoption d’amendements votés par le Parlement européen dès lors qu’ils étaient soutenus par la Commission. L’avis conforme donna un droit de veto aux députés européens pour les accords d’association et les nouvelles adhésions.
En 1992, le traité de Maastricht accroît la participation du Parlement européen au processus législatif à travers la création de la procédure de codécision et l’élargissement du champ d’application des autres procédures. La procédure de codécision établit un comité de conciliation paritaire (composé de membres du Conseil des ministres et du Parlement européen) et donna la possibilité au Parlement européen d’empêcher l’adoption d’une législation. La procédure de coopération fut élargie à de nombreux autres domaines où le Conseil statuait à la majorité qualifiée. Le pouvoir de contrôle du Parlement européen fut renforcé avec la mise en place d’une procédure d’investiture de la Commission venant compléter le droit de censure prévu depuis le traité de Rome. La durée du mandat de commissaire fut alignée sur celle des députés européens. Tant les relations avec la Commission durant la procédure législative que la participation croissante du Parlement européen à la procédure de nomination de la Commission ont conduit ces deux institutions à s’installer au centre du processus décisionnel communautaire au détriment du Conseil des ministres, modifiant l’équilibre antérieure du « triangle institutionnel » communautaire.
Enfin, le Parlement européen se vit reconnaître le pouvoir de constituer des commissions d’enquête temporaires, de recevoir des pétitions, de nommer un médiateur, de contrôler davantage l’exécution du budget communautaire ainsi qu’un droit d’accès à la Cour de Justice (concernant la protection de ses prérogatives). La juridiction communautaire fut renforcée par l’adjonction, permise par l’Acte unique, d’un Tribunal de première instance au côté de la Cour de Justice.
La fin de l’Europe de la Guerre froide
L’entrée de la Grande-Bretagne, de l’Irlande et du Danemark avait déjà, en 1973, modifié la donne géographique de départ de la construction communautaire. L’Europe ne se limitait plus à l’Europe carolingienne des Six de la CECA ou du traité de Rome. Mais l’adhésion de la Grèce (1981), puis de l’Espagne et du Portugal (1986) sont d’une autre nature. Elles peuvent s’interpréter comme les prémisses de la fin de la politique des blocs. En effet il s’agissait de la réintégration dans le giron européen de régimes autoritaires dont la survie provenait directement des « contraintes géopolitiques » liées à la guerre froide. L’intégration en 1995 de trois pays neutres (Autriche, Finlande, Suède) suivait la même logique, amplifiée, par la chute du mur de Berlin (8 novembre 1989) et la disparition de l’URSS (décembre 1991). Le déséquilibre né de la crise des démocraties populaires à la fin des années 80 a trouvé une expression politique immédiate : celle de la demande d’adhésion des anciennes démocraties de l’Est à l’Union européenne. Après avoir été désignés par un vocable sans connotation géographique précise (démocraties populaires, pays de l’Est – à l’est de qui ?), ces pays ont redécouvert qu’ils étaient en Europe centrale, orientale ou baltique. Au temps de sa réunification, l’Europe s’est redécouverte, reconnue multiple. Mais ce bouleversement n’a pu se faire aussi « facilement » que du fait de la présence de dirigeants européens (F.Mitterrand, H.Kohl, M.Gorbatchev, J.Delors) sachant accompagner l’histoire sans vouloir la contrarier. Sans doute aussi grâce à une Communauté européenne capable d’engager au service de la réunification de l’Europe 70 fois le montant des sommes engagées dans le cadre du plan Marshall pour reconstruire l’Europe dévastée de l’après-guerre (1945-1952).
La mise en place de l’Union européenne
La Communauté économique européenne (d’ailleurs familièrement baptisée « marché commun ») a su quitter son étroite spécificité économique pour englober peu à peu toutes les compétences d’un Etat. Cette mutation s’est réalisée en deux étapes.
L’Acte unique a permis ainsi l’instauration d’un espace sans frontière, réalisée au 1er janvier 1993, par l’élimination des frontières physiques, techniques (harmonisation des réglementations nationales relatives à la santé, à la sécurité, à l’environnement, reconnaissance mutuelle des diplômes, ouverture des marchés publics à la concurrence, libre prestation des services et droit des sociétés) et des frontières fiscales (rapprochement des taux de TVA, des accises). La mise en place du grand marché intérieur a été complétée par de nouvelles politiques, notamment, des programmes d’action en matière régionale, sociale, énergétique, technologique, industrielle, plus ou moins développés. Par ce biais, l’Europe est passée au centre de la vie des citoyens européens, de tous les citoyens et non plus d’une partie seulement d’entre eux (les sidérurgistes ou les paysans). L’Acte unique a instauré la politique de « cohésion économique et sociale », domaine de compétence nouveau, à la requête des pays moins avancés (Irlande, Grèce, Espagne, Portugal) qui demandaient, pour pouvoir affronter la concurrence dans le grand marché sans frontières, une action communautaire qui leur permettrait d’adapter leurs structures. Enfin la politique de l’environnement est précisée par l’Acte unique dans ses objectifs (préserver l’environnement, contribuer à la protection de la santé, assurer une utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles) et ses modalités (action préventive, correction par priorité à la source des atteintes à l’environnement, « pollueur-payeur »).
Mais le tournant majeur s’est déroulé lors du traité de Maastricht. Les compétences de la Communauté européenne (qui n’est plus limitée au champ économique) sont élargies dans le domaine de l’environnement, de la recherche, de la politique de cohésion où un nouveau fonds structurel est créé pour aider les États dont le PNB est inférieur à 90 % du PNB communautaire moyen. La Communauté peut également intervenir dans les domaines de l’éducation, de la formation professionnelle, de la santé, de la culture ou de la protection du consommateur, dans le respect des compétences exercées dans ces domaines par les États membres dans le cadre du principe de subsidiarité. Le traité institue une citoyenneté européenne reconnue à tout ressortissant d’un État membre. Tout ressortissant de l’Union peut adresser des pétitions au Parlement européen, saisir le médiateur. Il peut également voter et se présenter dans des élections locales ou européennes dans l’État dans lequel il réside. Enfin l’Union européenne fait ses premiers pas en politique étrangère et de sécurité commune et a vocation à mener des actions dans le domaine de la Justice et des Affaires intérieures.