« La Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution. »1
Premier conseil des ministres du gouvernement de Jacques Chirac, le 22 mars 1986 (DR/IFM).
Pressentant la défaite électorale de son camp, François Mitterrand instaure le vote à la proportionnelle. La mise en œuvre de cette promesse électorale intervient à point nommé. Lors des élections législatives de mars 1986, la droite ne remporte la majorité que de quelques sièges, sauf à compter sur l’apport du Front national qui fait à cette occasion son entrée au Palais- Bourbon. La France connaît alors sa première cohabitation.
Chacun s’interroge ? François Mitterrand pourra-t-il se maintenir à l’Élysée ? Certains réclament sa démission, mais c’est mal le connaître. Très vite, il fait part aux Français de ses décisions. Il nomme Jacques Chirac Premier ministre, annonce que le gouvernement aura tous les moyens pour gouverner mais veillera cependant à ses prérogatives, notamment en ce qui concerne la politique extérieure et la défense.
Cette situation inédite tourne cependant rapidement à l’avantage du Président. Celui-ci refuse, par exemple, de signer certaines ordonnances remettant en cause, notamment, les avancées sociales acquises depuis 1981. Il oblige ainsi le gouvernement à passer devant le Parlement. À chacune de ces occasions, il en profite pour critiquer les décisions de la nouvelle majorité. Ensuite, lorsque Jacques Chirac s’invite dans les voyages officiels, François Mitterrand, devant la presse, n’hésite pas à censurer son Premier ministre : « La France parle d’une seule voix. » Et bien entendu, cela ne peut être que la sienne. Un dernier affrontement a lieu lors du vote de la loi de programmation militaire. Le président de la République impose au Premier ministre, contre l’avis du ministre de la Défense, ses propres conceptions en matière de dissuasion. Il en va de même lors des négociations sur le désarmement Est-Ouest qui ont lieu à cette époque entre Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev. Le Président choisit de les soutenir, contre l’avis de Jacques Chirac. Le premier obtient finalement gain de cause.
Au cours de la cohabitation, François Mitterrand marque donc des points alors que son Premier ministre semble subir. Impression renforcée par les grandes manifestations étudiantes de l’automne 1986 qui se soldent par le retrait du projet d’Alain Devaquet, secrétaire d’État aux universités, à la suite du décès d’un étudiant, frappé par d’étranges « motocyclistes-voltigeurs » de la préfecture de police. Idem lors de la dramatique affaire de la grotte d’Ouvéa, dans une Nouvelle-Calédonie qui s’enflamme, et où périssent dix-neuf indépendantistes et deux militaires. À mesure qu’approche l’échéance de 1988, il apparaît évident que Jacques Chirac est parti trop tôt en campagne. Le président de la République, lui, fait durer le suspense. Il prive ainsi son adversaire… d’adversaire sans pour autant retenir ses critiques. Lorsque, enfin, le 22 mars 1988, il annonce sa candidature, les jeux sont faits.
A-t-il vraiment hésité ? Il se sait atteint d’un cancer de la prostate, mais la maladie n’a pas connu d’évolution majeure depuis sa découverte en 1981. On sait qu’il mûrit aussi d’autres projets, mais le virus du politique est toujours là. En réalité, si l’on en croit ses proches, il envisage d’être candidat depuis le premier jour de la cohabitation, attendant cependant pour se lancer de connaître ses chances.
Au soir du second tour de l’élection présidentielle, François Mitterrand est réélu avec 54,02 % des voix. Quelques temps plus tard, les Français lui donnent une majorité de gauche pour gouverner.