« Le XXe siècle sera sans doute comme les autres. Il sera sanglant. Il sera dur. Parce que les hommes sont les hommes. Un progrès aura lieu quand même, je l’espère, car la loi internationale peut arriver peu à peu à régler ce type de conflits. »1
Alors que débute la dernière décennie du siècle, un nouvel ordre international paraît à portée de main. La guerre froide est terminée. Le continent européen est sorti de la dictature et de la division. L’Europe aborde une nouvelle étape de son développement. Même en Afrique, le changement est perceptible. Nelson Mandela, par exemple, est libéré en février 1990. Il choisit d’ailleurs Paris pour son premier déplacement à l’étranger, une façon pour lui de remercier la France socialiste pour ses efforts contre l’Apartheid. Comment François Mitterrand aborde-t-il cette nouvelle phase des relations internationales ?
S’il croit effectivement que le monde sera « meilleur », il indique néanmoins qu’à ses yeux il sera « aussi plus compliqué ». Plus compliqué, « parce que chacun redécouvrira, à cette occasion, ses racines, son histoire et ses intérêts nationaux ». Plus complexe aussi, car « nous devrons trouver des solutions à des problèmes nouveaux et imaginer, entre nos états, de nouveaux types de rapports ».
La paix par le dialogue des nations. L’autorité du droit international. Le respect des peuples. Tels pourraient être résumés les trois axes de la politique mitterrandienne qui s’illustre lors des crises du Golfe, de Yougoslavie et du Rwanda.
Lorsqu’en août 1990 l’Irak de Saddam Hussein envahit le Koweit, la France condamne immédiatement ce qu’elle considère comme un acte d’agression. François Mitterrand agit alors dans deux directions. D’une part, il prépare l’armée française à une opération militaire conjointe avec les états-Unis – dont il a immédiatement saisi la volonté d’en découdre. D’autre part, il multiplie les tentatives pour résoudre ce conflit diplomatiquement, quitte à provoquer l’agacement de son allié. Interventions à l’ONU, envoi d’émissaires, embargo, plan de paix pour le Proche-Orient, toutes les pistes sont suivies. Mais Saddam Hussein ne fait aucun geste. Le 16 janvier 1991, après une dernière tentative des Français, l’ultimatum des Nations unies expire. Aux Français à qui il s’adresse, François Mitterrand indique ce soir-là que « sauf événement imprévu, donc improbable, les armes vont parler ». Les combats, violents, sont toutefois très courts. Le Koweit est libéré en quelques semaines. Autre drame : la dislocation de la Yougoslavie. La disparition de Tito en 1980 et la chute du communisme annonçaient l’éclatement de cette fédération. La guerre y éclate en 1991. Dans un premier temps, François Mitterrand, comme la plupart des chefs d’état et de gouvernement, défend le retour à l’unité du pays. On a vu en effet qu’il considérait la remise en cause des frontières comme un dangereux exercice, dont les conséquences seraient meurtrières pour les Balkans et au-delà. Dans le courant de 1992, devant l’évidence, il se résigne toutefois à la dislocation yougoslave. Dès lors, de 1991 à 1994, il soutient toutes les initiatives, tous les plans de paix entre les belligérants. Au sein de la CEE, devant l’ONU, le Président français plaide pour que la communauté internationale se mobilise. Sous ses ordres, l’armée française participe d’ailleurs à la force d’interposition déployée sur place par les Nations unies. François Mitterrand refuse néanmoins de désigner un ennemi, considérant qu’il faut pour sortir du conflit parler à tous. À ceux qui le pressent de condamner les Serbes, il répond : « La France n’a pas été et ne sera pas anti-serbe. Elle est et sera anti-torture, anti-camp de concentration, anti-guerre d’expansion. C’est tout. » Et comme pour donner corps à cette déclaration, il décide de se rendre personnellement à Sarajevo et ainsi forcer le blocus serbe de la ville. Ce voyage à haut risque, comme à Beyrouth en 1983, est salué par l’opinion internationale et permet, pendant quelques jours, d’ouvrir un cordon humanitaire vers la capitale bosniaque. Son geste n’empêche évidemment pas la reprise des combats, qui dureront jusqu’à la décision d’intervention de l’OTAN (c’est-à-dire américaine) – soutenue par François Mitterrand – en 1994-1995.
La France peut-elle, seule, prévenir ou arrêter les conflits du monde ? Cette question, qui est au cœur des critiques adressées à François Mitterrand dans sa gestion de la crise yougoslave – et à laquelle le Président répond par la négative – rebondit en 1994 lors de la tragédie rwandaise.
Avec la fin de la guerre froide, la France a modifié sa politique en Afrique. L’indulgence – sinon le soutien – à certains régimes pour éviter qu’ils se rallient au bloc adverse n’a plus de justification. D’ailleurs, comme en Europe de l’Est, les revendications des peuples africains se font de plus en plus pressantes. En juin 1990, à La Baule, François Mitterrand tire les conséquences de cette nouvelle donne. Dans un discours qui fait date, il exhorte ses homologues africains à la démocratie. Il en donne les clés : « système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure. » Puis, il indique que désormais « la France liera tout son effort de contribution au développement des efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté. »
Lorsque les premiers affrontements éclatent au Rwanda, en 1990, la France, plutôt que de soutenir sans condition le pouvoir en place contre la guérilla extérieure, agit dans deux directions. Avec la Belgique et le Zaïre, elle aide militairement le gouvernement rwandais à stabiliser le front mais, dans un même mouvement, presse celui-ci à la négociation. Cette diplomatie aboutit, en 1993, à la conclusion des accords d’Arusha qui prévoient la fusion des armées des deux belligérants et l’instauration d’un gouvernement mixte. Les militaires français quittent alors le pays.
Mais les accords d’Arusha mécontentent les extrémistes des deux bords. À ce jeu, les Hutus sont les plus fous. Ils préparent une incroyable tuerie dont le départ est donné le 6 avril 1994 avec l’assassinat des présidents du Rwanda et du Burundi, abattus en vol. Dans tout le pays, les Tutsis sont massacrés. On parle de génocide. L’horreur est absolue. La France, au Conseil de sécurité, réclame une action internationale. Sans résultat. Devant l’indécision, le gouvernement français – nous sommes alors en pleine cohabitation – décide d’intervenir seul. L’opération Turquoise débute le 23 juin 1994 avec comme objectif l’instauration de zones neutres où les victimes du conflit pourront se réfugier. Si cet objectif est atteint, ces zones serviront aussi d’abris à certains auteurs des massacres fuyant l’avancée de l’armée tutsie, ce qui, par la suite, alimentera les critiques à l’égard de l’action française.
Guerre du Golfe, Yougoslavie, Rwanda, le pessimisme de François Mitterrand à l’égard de l’évolution des relations internationales est toutefois tempéré par sa foi – il n’y a pas d’autre mot – dans la sécurité collective. Son action internationale transparaît ainsi dans son engagement personnel dans les grandes négociations multilatérales de son temps : désarmement, développement, environnement, commerce, droit international. Sous son autorité, la France a signé un grand nombre de traités bilatéraux ou internationaux qui, à bien des égards, ont réorganisé les relations internationales de l’Hexagone. Ce sont aussi ses quelque mille deux cents discours, conférences de presse, interventions diverses, dans toutes les capitales et enceintes possibles, qui témoignent de son attachement à une diplomatie du verbe ; du verbe contre la barbarie.
On retiendra ce dernier avertissement, lancé à Moscou, le 9 mai 1995, lors du cinquantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, à l’occasion de son dernier discours en fonction : « Si l’on prétend imposer [aux peuples] une loi intérieure par des groupes d’intérêts – des minorités – ou des intérêts de l’extérieur – par le goût de conquête –, nous retomberons alors dans le drame qu’ont vécu les siècles précédents. »