INTERVIEW ACCORDEE PAR M. FRANCOIS MITTERRAND PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE A T. F. 1 A L’OCCASION DE L’INAUGURATION DU MUSEE D’ORSAY
Musée d’Orsay, lundi ler décembre 1986
YVES MOUROUSI – Bonjour et bienvenue sous cette voûte de 32 mètres de haut, cette voûte
du Musée d’Orsay, l’ancienne gare d’Orsay qui avait été inaugurée le 14 juillet 1900 et qui
déversait en quelque sorte au sein même de la capitale le flot de visiteurs de l’Exposition
Universelle.
Depuis quelques années, on attendait ce jour.
Dans quelques instants, le Président de la République, Monsieur François MITTERRAND, sera
avec nous, ici même, avant de recevoir un peu plus tard ses invités pour l’inauguration de ce
Musée du 19ème siècle.
M. François MITTERRAND, que vous voyez en ce moment quitter l’Elysée, va nous rejoindre
dans quelques instants ici – nous sommes en direct à l’Elysée – et il découvrira ce Musée
d’Orsay qu’il a souhaité, comme l’avait engagé Georges POMPIDOU aux côtés duquel se
trouvait Jacques DUHAMEL, le Ministre de la Culture, avec Jacques RIGAUD, dans son
cabinet, qui a été chargé de livrer clés en main ce Musée du 19ème siècle, clés qu’il donnera ce
soir au Président François MITTERRAND.
Puis ce fut l’action de Valéry GISCARD D’ESTAING pour prolonger l’intention de Georges
POMPIDOU et lancer vraiment le projet. Ce projet sera mené à bien par François
MITTERRAND qui recevra ici même ses invités tout à l’heure..
Vous êtes les premiers à entrer en direct dans ce Musée d’Orsay; 1900, c’était une gare. 1986,
voici l’un des plus beaux musées du monde.
YVES MOUROUSI – Regardez cette horloge, elle en a vu passer des événements depuis 1900 !
Elle est là, 14 juillet 1911, M. le Président de la République, c’était l’inauguration de cette gare
qui devait déverser à Paris, pour l’Exposition universelle, en plein centre de la capitale, son lot
de visiteurs. Et puis, successivement, l’abandon… Orson WELLES tournant ici le Procès, avec
BIRKIN et Jeanne MOREAU, le Théâtre de Jean-Louis BARRAULT et Madeleine RENAUD…
un parking, une gare à l’abandon où, je me souviens, avec la même équipe, nous faisions en
1982 un journal ici, dans un chantier qui n’avait pas encore commencé.
Alors, ce soir, en recevant à la fois le Président Giscard D’ESTAING, le Premier Ministre, Mme
Georges POMPIDOU c’est la consécration d’une continuité culturelle ?
LE PRESIDENT – Sans aucun doute. Cela a été conçu à l’époque de M. POMPIDOU et c’était
une heureuse conception que de vouloir utiliser cette gare que j’ai connue moi-même lorsque
j’étais étudiant ; car débarquant d’Angoulême, c’est toujours là que j’aboutissais. C’était un lieu
vide, abandonné… Plutôt que de se lancer dans des constructions hasardeuses, je pense que l’idée était très heureuse d’utiliser cette gare comme on l’a fait.
Ensuite, c’est M. Giscard D’ESTAING qui a mis au point le projet, qui a permis les premier
financements, qui a prévu grosso modo la période du musée. Mais en 1981, nous étions quand
même loin de compte, car le gros oeuvre était à peine entamé, les crédits n’étaient pas
suffisants par rapport à l’ampleur du projet. Le principal pour moi était de continuer et j’ai
continué.
Ensuite, c’était d’adapter les crédits : nous avons adapté les crédits ; ensuite c’était d’élargir
historiquement la période retracée par le musée, il fallait préciser le point de départ et le point
d’arrivée, et j’ai repris tout simplement l’initiative première : 1848-50, 1910-14.
Et puis, quand j’ai décidé la création du Grand Louvre, indispensable pour les temps modernes,
a été transférée une série d’administrations touchant à la direction des Musées de France. Du
coup, le Musée d’Orsay a retrouvé naturellement une place disponible le long des rues de
Bellechasse et de Lille, ce qui lui a permis de remplir son programme. Voilà mon action.
Mais cette action nécessitait de s’inscrire dans la ligne de ce qui a été fait deux fois avant moi –
c’est donc sous trois Présidents de la République que le Musée d’Orsay aura été créé ; c’est un
bel exemple de continuité esthétique…
Yves MOUROUSI – J’allais vous demander justement : la continuité ne peut être que culturelle ?
LE PRESIDENT – Non, non, la continuité se déroule sur bien d’autres plans, chaque fois qu’il y
a quelque intérêt pour la France. Les principaux, on les retrouve dans certains domaines de
politique étrangère, de politique de défense, on les retrouve aussi ailleurs, bien entendu, dans
certaines formes de politiques d’équipement, et j’en passe.
Il est en tout cas très heureux que le Musée d’Orsay soit la preuve que l’on peut concevoir à
distance. Comment pourrait-on faire ? Il faut des années et des années. Pour construire la gare,
il a suffi de deux ans c’est parce qu’on a fait des miracles, je me demande comment on a pu
faire…- ici, il a fallu sept ans, huit ans, neuf ans. Cela dépasse la durée d’un mandat de
Président de la République et, de loin, la durée des gouvernements.
Voilà pourquoi je crois qu’on a agi sagement.
Yves MOUROUSI – Alors, demain, cet entretien on le retrouvera dans une édition spéciale de
« Globe », qui sera en kiosque demain matin, dans laquelle vous avez déjà accordé une interview.
Parlant du XIXème siècle, vous parlez des chocs du XIXème siècle. Est-ce qu’à travers les
oeuvres d’art qu’on voit ici, que vous avez déjà commencé à découvrir ce matin, toute histoire
n’est pas histoire de chocs, même à travers la mise en place artistique ?
LE PRESIDENT – Quand je disais que j’avais souhaité élargir le champ du Musée, une autre
application a été envisagée celle de donner aux oeuvres ici exposées leur signification
historique, de les replacer dans leur temps. Et leur temps, 1848-50, c’est la Révolution de 1848.
On ne peut pas dire que cette révolution ait eu un effet immédiat sur la nature des oeuvres et
sur les qualités esthétiques et sur les modes, mais il est certain que c’était la première poussée
significative des nouvelles classes sociales, du prolétariat, du monde industriel, tout ceci
accompagné, sur le plan des techniques, de progrès de toutes sortes, du bâtiment et donc de la
construction, donc de l’art, de l’arrivée de nouveaux matériaux que l’on verra s’épanouir à
travers cette verrière, comme on l’a vu à la Tour Eiffel et bien ailleurs encore.
Yves MOUROUSI – Mais alors, les chocs ?
LE PRESIDENT – Il y a les chocs sociaux, les chocs politiques, il y a des oeuvres originales.
Les styles changent, on s’adapte… le XIXème siècle est en soi un siècle qui se suffit à lui-même, on ne peut pas le représenter seulement comme le préambule du XXème, ce serait une
totale erreur.
Yves MOUROUSI – Pourquoi, d’un seul coup, découvre-t-on ce XIXème siècle que ce musée va
remettre en lumière ?
Je dois le dire très franchement, moi-même j’ai dû me replonger dans l’Histoire du XIXème
siècle, j’ai retrouvé les onze chefs d’Etat, les sept régimes qui se sont succédés. Pourquoi
aujourd’hui, à travers ce retour vers le global du XIXème siècle, s’aperçoit-on de sa richesse ?
Parce qu’on l’avait un peu oublié ou méprisé ?
LE PRESIDENT – Sans aucun doute. D’abord, on arrive à la fin du XXème siècle et – je crois
que c’est une règle assez générale – les fils ignorent ou dédaignent les oeuvres de leurs pères,
mais ils retrouvent, ce faisant, les modes de pensée, les styles des générations précédentes.
On a déjà commencé de célébrer un certain nombre d’oeuvres littéraires, artistiques, on a
recommencé de découvrir le XIXème siècle une fois la génération des fils dépassée.
Je n’ai pas encore visité le musée. Je connais bien l’immeuble, la construction générale, j’y suis
venu souvent, mais je ne connaissais pas l’exposition des oeuvres. Et beaucoup de sculpteurs,
en particulier, que je vois là, je ne connaissais pas leur nom ou tout juste. Et, quand je
connaissais leur nom, je ne connaissais pas toujours leurs oeuvres.
On connaît Carpeaux, on connaît Rodin, un peu plus loin on connaît Maillol ou Bourdelle,
d’autres encore, David d’Angers, plus tôt naturellement, mais les autres ? Peut-être un peu
Falguière, la rue, la place, le métro, peut-être Frémiet, un certain nombre d’autres, mais tout ce
que nous voyons là, ici, derrière moi…
Yves MOUROUSI – Dubois…
LE PRESIDENT – Moulin, Falguière, ce ne sont pas des grands noms… ils vont peut-être le
redevenir.
Yves MOUROUSI – Bien. En tout cas, si vous voulez, je vous propose de découvrir, puisque
vous n’avez pas tout visité, sur le terrain, ici même, grâce aux caméras de TF1, ce qu’il en est
de la peinture.
On vient, avec Nicole BRICE et Michel LACLOTTE, d’évoquer ce mot de « refusés ».
Il faut être un jour « refusé » en culture – peut-être aussi en politique – pour être consacré par la
conscience universelle ?
LE PRESIDENT – D’une façon générale, les grandes oeuvres sont initialement refusées. Ce
n’est pas une règle absolue, mais c’est assez général. Pourquoi ? Parce que les grandes
oeuvres ont pour esprit même d’aborder avec audace un style nouveau.
Bien entendu, à peine a-t-on énoncé un propos qu’on va vers la contradiction : il y a des
grandes oeuvres classiques qui s’inspirent uniquement des précédentes. Mais, d’une façon
générale, lorsque l’école s’installe, lorsqu’un style va s’imposer, les premières années – les
vingt, les trente, les quarante premières années… quelquefois, c’est très long – il est refusé par
la société dirigeante. Cela a été le cas, on peut le dire, des Impressionnistes, cela a été le cas
aussi de la plupart des grands sculpteurs. On a commandé des oeuvres à Rodin, et puis on les
a refusées ensuite ! Rodin a mis très longtemps à être reconnu comme tel.
C’est pourquoi on peut dire que le premier mouvement est presque encourageant lorsqu’un
artiste voit son oeuvre refusée. Cela ne veut pas dire qu’il est de bonne qualité, mais au moins il
peut continuer d’espérer, et c’est souvent vérifié.
YVES MOUROUSI – Alors, qu’est-ce que peut faire l’Etat dans ce cas-là ? Au XIXème siècle, il y
avait des « refusés » par rapport à l’art officiel. On appelait cela « pompier », etc…
LE PRESIDENT – Les Impressionnistes, on s’est terriblement moqué d’eux.
YVES MOUROUSI – Absolument. D’ailleurs, c’était une insulte, « Impressionniste » !
LE PRESIDENT – Non seulement on a refusé leurs oeuvres, mais on a méprisé les personnes.
Yves MOUROUSI – Oui, ils ont dû se réfugier chez Nadar… Mais qu’est-ce qu’on peut faire aujourd’hui, ayant pris conscience de ce problème ? Souvenons- nous : Georges Pompidou a été dénoncé à un certain moment comme un partisan de l’art
moderne, car ayant accepté le souhait de Jacques Duhamel d’aller faire un musée ici, dans un
bâtiment ancien, dans le même temps c’était le Centre Pompidou qui dérangeait.
Est-ce qu’aujourd’hui…
LE PRESIDENT – J’ai toujours approuvé, dès le premier moment – j’écrivais souvent à l’époque,
donc on peut s’y reporter aisément – le projet du Centre Beaubourg, du Centre Pompidou. On
pouvait contester son architecture, moi personnellement j’ai trouvé qu’elle était plutôt un peu e-
retard qu’un peu en avance, mais au total j’ai trouvé que c’était très utile et, la preuve, cela
marche très bien et le public a « mordu ». Et, puis, c’est un ensemble magnifique et colossal.
J’ai désapprouvé, en revanche, la décision de M. Pompidou d’éliminer les Pavillons Baltard des
Halles. Je pense que c’était une erreur et que la Gare d’Orsay a peut-être bénéficié de cela,
comme une sorte de remords… On a sauvé Orsay parce qu’on avait détruit Baltard !…Enfin,
c’est peut-être résumer un peu trop succinctement cette réalité, c’est parce qu’il y a eu auprès
de M. Pompidou – lui-même était un homme de goût – d’autres hommes de goût, notamment
son Ministre de la Culture, et des collaborateurs directs du ministre de la Culture, qui ont dit :
« Non, on ne peut pas détruire cela », et je suis très heureux que M. Rigaud, qui était le
collaborateur de M. Duhamel, soit aujourd’hui celui qui préside à l’achèvement du Musée
d’Orsay, puisqu’il était à l’origine.
Yves MOUROUSI – Vous vous posez la question régulièrement, en matière culturelle, de votre
audace à appréhender le futur, pour le moment où vous ne serez plus là ?
LE PRESIDENT – On n’est jamais sûr d’avoir raison surtout dans ce domaine. On ne peut pas
non plus, par souci de « faire du nouveau », faire tout et n’importe quoi. Mais il est certain que
lorsque j’ai vraiment lancé un certain nombre de grands projets, aussi bien le Grand Louvre,
avec la grande arche qui se trouvera dans l’axe des deux arcs de triomphe, que d’autres choses
encore, au premier abord il faut vraiment imposer sa volonté, parce que personne n’en veut !
Les difficultés commencent. Mais c’est comme cela qu’on réussit.
YVES MOUROUSI – Est-ce pour autant l’art officiel ?
LE PRESIDENT – Eh bien ce n’est pas un art officiel dans la mesure ou on fait des concours, on consulte… Cela a été le cas pour l’Opéra de la Bastille : quelques 750 architectes ! On en a
consulté 450 pour l’Arche, à la Défense… Non, c’est finalement un certain goût qui se dégage,
examiné par beaucoup de spécialistes, beaucoup d’experts, et finalement il appartient au
Président de la République de trancher.
Pourquoi le Président de la République et pas le Gouvernement ? Parce qu’il s’agit
d’entreprises de très longue durée. Cela ne peut pas être contenu en un an, deux ans, trois ans,
je vous l’ai dit tout à l’heure. Il faut sept ans, dix ans pour y parvenir, il faut donc une continuité.
YVES MOUROUSI – Il a fallu du reste que monsieur GISCARD D’ESTAING soit Président de la
République pour que l’oeuvre puisse continuer à partir de la volonté du Président POMPIDOU.
LE PRESIDENT – Monsieur GISCARD D’ESTAING s’est appliqué à faire réussir Orsay. Il y a
cru, il a mené à bien, pour le temps où il se trouvait là, l’entreprise là où elle en était. Il a bien
fait. Et moi, puisque je pensais qu’il avait bien fait, j’ai préféré continuer que de faire le contraire.
YVES MOUROUSI – Est-ce qu’il y a une obsession chez le Président de la République de ne
pas être un archaïque par rapport aux modernes de son temps, par rapport aux modes qui
passent ?
LE PRESIDENT – Je ne suis pas spécialement révolutionnaire dans mes goûts. Il y a beaucoup
de gens dont j’admire le jugement et qui m’étonnent un peu, souvent, par leurs projections sur
l’avenir. Donc, je ne suis pas obsédé par ces choses-là. Simplement, je pense qu’il y a des
matériaux nouveaux. Les matériaux commandent les styles, c’est-à-dire commandent les
formes de l’art. Si l’on remonte simplement dans notre histoire, au temps du Moyen-Age, la
pierre très lourde ne permettait pas de percer de grandes fenêtres. Et puis, peu à peu, on a
appris, avec les clés de voûte, à élargir les fenêtres, à mettre du verre, à faire des vitraux, on a
peu à peu élargi les vitraux pendant le XVIème siècle, et maintenant on fait des maisons de
verre… La connaissance des matériaux commande l’évolution de l’art. Mais naturellement cela
ne suffit pas, il faut aussi des artistes.
YVES MOUROUSI – Alors, me replongeant dans cette histoire du XIXème, je retrouvais des
souvenirs de cette époque, de l’affrontement permanent entre l’audace et ce qui est devenu
l’ordre moral… L’audace… L’ordre moral, c’est l’expiation en définitive par rapport au « trop
d’audace ». C’est la balancement, c’est la règle, c’est la dialectique permanente…
LE PRESIDENT – La vie est dialectique. Au XIXème siècle, puisque nous sommes là dans une
oeuvre où l’on a tenté de marier l’oeuvre initiale du XIXème siècle et l’architecture intérieure, la
décoration intérieure, qui est de 1980 à 1986, il est certain qu’il y a quelquefois de grands chocs
et de grandes coupures, de grandes ruptures. Le XIXème siècle dont nous parlons a été le
siècle des grandes ruptures ; je vous disais pour commencer qu’il y a eu là le surgissement du
prolétariat dans notre société, avec la naissance ou le développement de l’ère industrielle. Tout
cela a naturellement eu de nombreuses conséquences, notamment dans l’approche des
choses.
Vous trouvez ici mêlées les oeuvres classiques, les oeuvres réalistes, les oeuvres dites
« pompier », les oeuvres plus subjectives, les oeuvres impressionnistes, vous aurez les idéalistes,
vous aurez toutes les formes de pensée, les symbolistes naturellement, de telle sorte que
même si des dominantes se dégagent, il y a pendant un siècle toutes les écoles de pensée qui
s’affrontent.
L’exemple d’Orsay en sera, je crois, très probant.
YVES MOUROUSI – Un exemple à Orsay, avec le retour sur ce XIXème siècle, mais un retour
qui peut se faire aussi par l’utilisation de ce que sont aujourd’hui les technologies modernes.
Ainsi, on a souhaité qu’à Orsay l’informatique pénètre, qu’également l’audiovisuel soit présent.
Résultat : regardez ces expériences audiovisuelles.
YVES MOUROUSI : Voilà de belles images que nous devons à Julien GALEOTTI, sur des
réalisations du Musée d’Orsay que nous devons à Virginie HERBIN et à Brigitte LE GARS.
Vous avez vu la peinture de l’époque. Cela vous fait plaisir que l’audiovisuel s’intéresse à un tel
monument ou devrait-il rester enfermé dans ce qu’était le XIXème siècle, sans prendre en
compte les technologies d’aujourd’hui ?
LE PRESIDENT : Précisément, on a voulu que par l’environnement historique, par la qualité des
oeuvres, par la beauté des lieux, le Musée d’Orsay puisse avoir un grand accès populaire. Il ne
faut pas faire d’élitisme mais il faut reconnaître que ce qu’on peut appeler l’élitisme qui est
toujours la recherche de la qualité a été bien servi. On mariera les deux besoins.
YVES MOUROUSI : Dans ce musée…
LE PRESIDENT : D’ailleurs, au point de vue technique et scientifique, je crois qu’on est tout à
fait à la pointe du progrès, ici.
YVES MOUROUSI : On n’a pas le temps de tout montrer, Monsieur le Président, mais regardez
ces quelques images : dans une partie du Musée, on parle aussi de ce qu’a été la formidable
transformation, à l’époque, de Paris ; n’oublions pas que Haussmann a été déboulonné parce
qu’il en faisait trop. A donc été reconstituée une grande maquette où l’on voit Paris, la salle
Garnier en particulier, cet Opéra qui, grâce à Peduzzi, a été décomposé en maquette pour
montrer ce qu’étaient à l’époque les grands travaux. L’aménagement, l’urbanisme, cela fait
partie aussi de l’oeuvre d’un siècle. On a beaucoup dit que le XXème n’était pas productif en la
matière.
LE PRESIDENT – En tout cas, sa fin le sera. Le XXème siècle a été bouleversé par deux
guerres mondiales dont nous avons particulièrement souffert ; il y a eu beaucoup de
constructions, mais de constructions qui ne pouvaient pas être somptuaires. Il a fallu
reconstruire la France à deux reprises. Mais il n’empêche que ce qui a été fait ici, soit par Mme
GAE AULENTI, soit, sur le plan de la direction des oeuvres, ici, par M. LACLOTTE, sous
l’autorité aussi de la direction de Mme CACHIN, c’est-à-dire la note PEDUZZI, dont vous avez
parlé, qui s’est intéressé à l’architecture du XIXème, est une note originale, fantastique,
étonnante, avec une fantaisie, une rigueur tout à fait remarquables. On avait peut-être besoin
de cet élément-là pour compléter la physionomie d’Orsay.
YVES MOUROUSI – Un Musée, cela sert à quoi ? A conserver ou à animer ?
LE PRESIDENT – Vous avez tout dit. A conserver et à animer.
YVES MOUROUSI – Un dernier mot encore : en définitive, en matière de culture, nous le
voyons ici, nous pouvons le constater dans les querelles de notre temps, il vaut mieux être à
l’avant-garde ou complètement conservateur, mais, apparemment, on l’a peut-être vu du temps
de Louis Philippe, le centrisme cela ne sert pas à grand chose ?
LE PRESIDENT – Ne me faites pas dévier, je n’en parlerai pas aujourd’hui. Ce que je veux dire
simplement, c’est que, de mon point de vue, on ne peut pas être conservateur ou seulement
conservateur, c’est absurde, parce que la vie est toute puissante, et la vie, c’est le changement,
l’évolution. L’avant-garde, c’est très important, et l’avant-garde est nécessaire. Cela ne peut pas
être un système. On ne peut pas toujours bousculer une société qui a besoin un peu de ses
aises, qui est forcément lente à faire bouger. Ou alors, quand elle bougera, ce sera sous forme
de révolution brutale. Il faut que ceux qui gèrent tiennent compte de l’avant-garde qui marque la direction à prendre, mais aussi de la réalité sociale, lourde, pesante. C’est le mariage des deux
qui fait qu’on fait une politique esthétique, mais c’est vrai dans les autres domaines de progrès.
Entre le progrès et le simple esprit conservateur, j’ai fait mon choix : – tous les Français ne l’ont
pas fait comme moi – je préfère l’un à l’autre. Et je reconnais que la France est faite des deux, y
compris sur le plan esthétique.
YVES MOUROUSI – Merci, Monsieur le Président. Je rappelle que cet entretien, vous le
trouverez dans un numéro spécial de « Globe », demain, dans tous les kiosques, avec un peu
plus, l’interview aussi de Madame POMPIDOU, qui dit dans cette interview à Gilbert PARIS,
pour « Globe », « Georges POMPIDOU était moderne et ancien à la fois, François MITTERRAND
l’est, lui aussi ».
LE PRESIDENT – Je m’y efforce, par goût. J’aime beaucoup les choses anciennes. Je suis
presque souvent obligé de me forcer, disons par la sensibilité, quand j’exerce mon intelligence,
pour comprendre qu’il faut précisément bouger les habitudes qu’on prend. La sclérose, elle
nous guette tous, moi le premier ; je me méfie de mes scléroses. Cela ne me crée pas une sorte
de goût de bouger à tout moment, mais cela m’oblige à considérer que le XXIème siècle n’est
pas loin, qu’il faut fabriquer une société pour ceux qui y vivront, pour les gens qui ont dix ou
vingt ans aujourd’hui.
YVES MOUROUSI – Merci, Monsieur le Président. Quittons le palais du XIXème siècle pour
nous rendre dans un autre palais, celui de la Bourse de Paris