Alors que des millions d’élèves feront leur rentrée dans les prochains jours, l’IFM propose une étude sur la manière dont ils découvriront (ou ont découvert) sous l’angle disciplinaire de l’Histoire la figure de François Mitterrand.
Si le trentième anniversaire de l’élection de François Mitterrand a donné lieu à de nombreuses célébrations festives – au titre d’une « histoire militante » vivace – mais aussi à une déclinaison – fort intéressante tant du point de vue des contenus que de la réception par l’opinion – de tous les sous-genres d’émissions radiophoniques et télévisées (films, reportages, documentaires (re)diffusés, témoignages, débats, docu-fictions …) ; il est une génération de jeunes Français qui découvrait1 mais qui place une génération construisant son savoir dans un rapport fort différent à l’héritage de ces deux septennats. Tout enseignant se posera alors la question de la façon d’opérer une transposition didactique efficace sans simplifier outre mesure – au risque de la déformer – l’histoire politique, économique mais aussi culturelle de cette unique présidence socialiste.
Le cadre de cette réflexion pédagogique et didactique est bien entendu le programme officiel des classes de troisième paru en 1997 (les mandats mitterrandiens appartenaient encore plus à l’histoire immédiate) et aujourd’hui en fin de cycle2 a cependant le mérite d’interpeler une histoire socio-économique mais aussi – et ce n’est pas dénué d’intérêt – une histoire culturelle de cette ère politique.
Il découle de ces intitulés de programme une grande liberté laissée à l’enseignant dans la mise en œuvre séquencée des « années Mitterrand ». C’est lors de la construction matérielle que les limites apparaissent. Si l’on traduit les quatorze années qui nous intéressent en volume horaire de cours, cela donne deux heures de cours maximum (soit environ 7 % du temps consacré à l’Histoire plus une éventuelle évaluation que l’on placera dans une perspective plus large). Avec une marge de manœuvre aussi restreinte, le professeur d’Histoire doit davantage se référer (en ne faisant que le singer) à Pierre Mendès-France en se disant « qu’enseigner, c’est choisir ».
Pour bien choisir les notions et idées à faire acquérir en vue de l’examen et de l’acquisition d’un bagage conceptuel par l’élève en vue de la compréhension de la vie politique qui l’entoure et dont il sera un acteur en tant que citoyen, il faut tout d’abord opérer un tri notionnel sans perdre de vue le contexte du 10 mai 1981. Précédemment, les élèves ont exploré les tenants et aboutissants de la Guerre Froide où la France et le monde se trouvent toujours à cette date3. Leur programme est conçu comme un tout pour comprendre le monde contemporain : une clé d’analyse qui doit l’emporter sur l’exhaustivité. A l’échelle nationale, la France de la Cinquième République est, en grande partie, le résultat institutionnel des « années algériennes » ainsi que du retour au pouvoir du Général De Gaulle : la question des institutions et de la gouvernance de celles-ci demeure centrale pour aborder 1981 et ses suites. Il faut donc sélectionner quelques traits caractéristiques des années 1969-1981 sans nuire à la présentation des mandats pompidolien et giscardien au risque de les réduire à un simple « post-gaullisme » alors que des rapports de force nouveaux y voient le jour (concurrence PS / PC dans l’opinion, union de la gauche …). J’insiste lourdement sur ce point car il permet de contextualiser et donc d’historiciser l’opposition droite / gauche auprès d’un public qui découvre cette dichotomie. Ce n’est qu’à cet instant que nous pouvons privilégier des mots-clés du cours : « l’alternance », « la cohabitation » et des entrées autour de la politique culturelle et étrangère ; choix modulables bien-entendu au nom de la liberté pédagogique mais assumée du professeur d’Histoire – Géographie.
Je ne livre donc ici qu’une proposition de plan de séquence « les années Mitterrand », laquelle repose sur une trame chronologique répondant à la problématique « Comment la Vème République vit l’alternance et la fin de la Guerre Froide ? »
I 1981-1988 : Alternance et cohabitation (1 heure)
A- L’arrivée de la gauche au pouvoir
B- La gauche et l’exercice du pouvoir
C- Gauche et droite dans la cohabitation
II 1988-1995 : le second septennat de François Mitterrand (2ème heure)
A- Gouvernements socialistes puis deuxième cohabitation
B- François Mitterrand et la France
Mon choix est déjà justifié par le programme qui, nous l’avons vu, utilise un intitulé type « chronique » ; qu’à cela ne tienne ; relevons le défi de la problématisation dans la globalité du programme et du XXème siècle rappelées plus haut. Nous pourrions tout à fait envisager un séquençage chronologique plus rapide formalisé par une frise et changer d’entrée grâce à un plan plus thématique ou plus intimement lié à la figure de François Mitterrand, au risque de buter sur l’écueil personnalisation excessive que l’intitulé du programme porte en germe et ainsi d’oblitérer la présence d’autres acteurs individuels et collectifs de la période et finalement nous laisser porter vers une hagiographie ou au contraire un réquisitoire de l’œuvre de F. Mitterrand à la tête de l’Etat. Un schéma binaire dont l’adolescent est intrinsèquement friand mais dont l’enseignement secondaire a pour mission d’apprendre à dépasser.
Les choix documentaires que j’effectue ici n’ont aucune valeur impérative ni exclusive mais ont pour but de montrer que l’enseignant a la possibilité d’anticiper quelques détails utiles à la compréhension du 10 mai 1981 et de l’enjeu de l’alternance. Brièvement mais de façon répétitive à mon sens, la figure de F. Mitterrand peut « apparaître » aux élèves lors du récit ou de l’analyse des événements de Mai 68, du processus de (re)bipolarisation de la vie politique française au cours des années 1970 par exemple. A ce titre, j’utilisai cette année deux supports documentaires : un extrait récent du documentaire de Lucie Carriès, Mitterrand du verbe à l’image diffusé en 2011, riche en archives télévisuelles où nous prenons le temps d’écouter et d’observer François Mitterrand et Valery Giscard d’Estaing débattre et utiliser la télévision lors de la campagne de 1974. On peut alors faire comprendre le lien intime entre ce média et la personnalisation de l’enjeu électoral toujours d’actualité. Le temps long accordé à ce moment rendra purement illustrative la photographie des signataires du Programme commun de la Gauche en 1972 où apparaissent Robert Fabre pour les radicaux de gauche, Georges Marchais pour le PCF et François Mitterrand pour le PS. Il est alors judicieux de sélectionner le moment proposé par de nombreux manuels où ce dernier prend la parole à la tribune afin de le distinguer clairement. Oui, l’image en classe de troisième est un excellent fixateur des codes politiques en vigueur dans notre République et s’avère d’une grande utilité dans la transmission de connaissances.
Je ne reviendrai pas sur les éléments strictement factuels apportés aux élèves (de l’abolition de la peine de mort en France à la création du RMI en passant par la fête de la musique) et formalisés dans la trace écrite de la leçon ; ni ne détaillerai point par point le contenu du plan de séquence. Je préfère me concentrer sur l’analyse des entrées retenues lors de cette séquence afin d’aborder davantage la perception de la figure de François Mitterrand dans l’enseignement secondaire. Tout d’abord, l’arrivée au pouvoir et l’exercice de ce dernier par la gauche ou comment matérialiser la notion d’alternance aux yeux des élèves ? L’image prouve encore son efficacité pédagogique en symbolisant l’année 1981, les choix opérés par le nouveau gouvernement mais aussi les résistances qui s’y expriment. France Télévision a proposé en 2009 une série documentaire réalisée par Patrick Cabouat qui utilise l’entrée culturelle pour sa chronique Nos années 1980, les cabossées. On peut s’attarder grâce au montage sur la fête du 10 mai et les mesures hautement symboliques qui courent jusqu’en 1982. La cérémonie du Panthéon du 21 mai aborde même le programme d’éducation civique sur la symbolique républicaine et la présentation des forces politiques – la « rose des socialistes » se retrouve tant dans les mains de la foule que dans celles de François Mitterrand.
Si officiellement les institutions de la Cinquième République sont étudiées en éducation civique, on ne peut faire l’économie du regard de F. Mitterrand face à la question des institutions et cohabitations de ses deux mandats. Je n’ai pas évoqué précédemment l’analyse des institutions qu’il détaille opérée dans un « best-seller » des manuels de Terminale : Le Coup d’Etat permanent (1964). Un extrait bref peut être lu lors du chapitre sur les années De Gaulle mais il faut reconnaître le risque d’incompréhension du propos de cet ouvrage que l’on exploitera davantage au lycée. En revanche, le « Mitterrand-Président » nous a laissé nombre d’interviews ou interventions télévisées sur le rôle du Président en période de cohabitation ayant pour but de présenter sa conception du fonctionnement des institutions en pareilles circonstances et avec un certain brio pédagogique : « Je dois assurer la continuité de l’Etat et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, […] On n’assure pas la continuité de l’Etat si, lorsqu’il y a un événement électoral, on s’en va »4. Le scripte de ce discours peut être discuté avec ou par les élèves lors d’un exercice en autonomie corrigé ensuite afin de compléter la trace écrite dans le cahier.
Parler de « François Mitterrand et la France » de son rapport à la France, relèverait de la dissertation ou de l’exposé universitaire si l’on ne prêtait garde à l’entrée choisie. Je propose une entrée par les « lieux » de mémoire et d’histoire hérités des années Mitterrand à Paris. On peut compléter, à partir d’un diaporama, un tableau à multiples entrées (fonctions, domaine de politique publique concerné, dates de réalisation, situation …) pour présenter l’Arche de la Défense ou le déplacement du Ministère des Finances à Bercy, la pyramide du Louvre ou le site Tolbiac de la BNF… De plus, une telle approche architecturale s’inscrit dans la thématique « Art et pouvoir » du référentiel de la nouvelle épreuve d’Histoire des arts du DNB5. On pourra reprocher à cette démarche le risque d’une patrimonialisation excessive de la figure mitterrandienne qui éluderait tout l’aspect militant et les positions idéologiques de l’homme mais je pense que les apports faits sur la période antérieure nous en prémunissent. Nous pourrons lui substituer un travail beaucoup plus conventionnel sur les réformes de l’après 1981 et leur classification thématique (judiciaire, sociale, économique…) à partir d’un simple catalogue de ces mesures ou mieux, d’une revue des unes de presse de l’époque. Dans tous les cas, l’Histoire au collège peut alors assumer pleinement ses finalités citoyennes et celles qui la posent en outil de la construction de l’esprit critique en général. En outre, je ne suis pas le seul enseignant à penser que l’entrée par les lieux matérialise davantage une période et sa trace dans l’Histoire qu’elle ne la sacralise.
La fin de ce cycle programmatique ne signifie, en rien, la disparition de la figure de François Mitterrand de l’Histoire enseignée au collège. L’objet de la présente contribution n’est pas d’anticiper la réflexion des futurs groupes de réflexion des inspections générale ou académiques pour la mise en œuvre des nouveaux programmes qui articuleront connaissances, démarches et capacités en vue d’appréhender une « Cinquième République à l’épreuve de la durée » où « depuis 1981, la vie politique est marquée par une succession d’alternances et cohabitations » ; mais l’écueil à éviter pourrait être une certaine lecture téléologique de l’évolution de la fonction présidentielle dont l’homogénéité des années Mitterrand pâtirait. De façon générale, l’Histoire au collège reste la « science des hommes dans le temps »6 mais passe par plusieurs prismes que l’enseignant doit minutieusement orienter pour éclairer les choix, les ruptures opérées par une grande figure ainsi que son héritage dans la société française. C’est tout à l’honneur de l’Institut François Mitterrand que de permettre à un enseignant du second degré de contribuer à ces différentes mises en garde.
- Le verbe est ici approprié pour une partie des élèves d’un Réseau de Réussite Scolaire (R. R. S.).]] sous l’angle de l’enseignement disciplinaire d’Histoire en classe de troisième la figure de François Mitterrand lors d’une séquence pédagogique lui étant consacrée : « Les années Mitterrand (1981-1995) »[[C’est ainsi que programme officiel des classes de troisième en Histoire-Géographie et Education civique paru dans le Bulletin Officiel de l’Education Nationale n°10 du 15 octobre 1998 intitule la partie qui nous intéresse ici. Sauf mention contraire, les citations de textes officiels se rapporteront à ce B.O.]]. Tout lecteur avisé des publications de l’Institut éponyme aura peut-être judicieusement calculé que ces jeunes gens sont nés pour la plupart en 1996, moment plus triste pour des « militants pénétrés d’idéal »[[F. Mitterrand, le 10 mai 1981. L’enseignant que je suis se remémore un épisode collégien quand, en janvier 1996, une heure de son emploi du temps avait été consacrée à la mémoire du désormais ex-président défunt …
- De nouveaux programmes entreront en vigueur à la rentrée 2012 suivant le B. O. de l’Education nationale spécial n°6 du 28 août 2008.]]. Je m’attarderais cependant sur ces derniers dont la mise en œuvre fut réitérée par les enseignants et qui méritent leur bilan. Dans ce programme intitulé « le monde d’aujourd’hui », 15 à 19 heures sont dévolues à La France. Deux blocs d’environ 6 à 8 heures (évaluations comprises) se complètent : « La France dans le monde » (entrée géographique) suit généralement la première partie plus historique « La France depuis 1945 » qui intègre « les mutations de l’économie, les grandes phases de la vie politique en relation avec les transformations matérielles et culturelles de la société, de ses modes et cadres de vie, de ses aspirations. » Un programme aussi dense qu’intéressant bien qu’il faille sortir du corps de texte pour trouver mention de la figure qui nous intéresse. D’abord dans la liste des documents à étudier (obligatoirement) : la photographie de François Mitterrand avec Helmut Kohl à Verdun en 1984 qui « fait écho » à celle du général de Gaulle et de Konrad Adenauer dans la cathédrale de Reims en 1963. Mais ces instants historiques trouvent légitimement leur place dans une leçon d’initiation à la géopolitique : « La France puissance européenne et mondiale », laquelle intègre une brève présentation historique de la politique européenne de la France et des transformations de son rôle dans le monde depuis la décolonisation. C’est finalement dans les repères chronologiques pour le brevet que les « années Mitterrand (1981-1995) »[[« Années De Gaulle », « Années Chirac » figurent aussi dans la liste de ces repères à assimiler et restituer « bruts » dans un exercice prévu lors de l’épreuve finale du Diplôme National du Brevet.]] apparaissent. Cette dénomination n’imposant aucune restriction à la mise en œuvre pédagogique, nous y reviendrons, elle détermine néanmoins et, au moins partiellement, l’approche de la figure de François Mitterrand en classe de troisième : un homme – une période très distinctement bornée ; celle des deux mandats présidentiels dans une configuration appartenant au passé depuis le passage au quinquennat. Cet intitulé bref[[Une programmation libre de l’enseignant peut reposer sur un plan chronologique enchaînant ou superposant « les années de la reconstruction », « les années algériennes », « les Trente Glorieuses » …
- Comme le rappelle très bien H. Védrine dans la Revue socialiste n°42 du 2ème trimestre 2011.
- Déclaration du Président de la République le 29 mars 1987 sur TF1.
- Voir l’arrêté du 11 juillet 2008, publié au J. O du 27 juillet 2008.
- M. Bloch, Apologie pour l’Histoire ou métier d’historien, 1941 (première parution 1949)