Propos recueillis par Christophe Rosé et Georges Saunier
– Quels étaient les grands objectifs de la politique audiovisuelle mise en place dès 1981 ?
Le grand objectif de l’époque était tout simplement d’en finir avec le contrôle direct par l’Etat du système médiatique. Avec l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, c’est une ère médiatique nouvelle qui a commencé, marquée par l’ouverture des ondes radiophoniques en bande FM, et le déploiement d’une offre riche, diversifiée, souvent impertinente. Souvenons-nous de ce puissant souffle de liberté qui a secoué un paysage jusqu’alors limité à l’offre publique et aux trois radios périphériques. Quelle fête des ondes après tant d’années de répression ! Et puis bien sûr la création d’une Haute Autorité indépendante, garante de la liberté d’expression, symbole de la rupture du cordon ombilical entre l’Etat et l’audiovisuel public. Tout a changé soudainement dans les pratiques professionnelles, notamment pour les journalistes qui du jour au lendemain se sont trouvés pleinement responsables dans l’exercice de leur métier. On a oublié que jusqu’alors les conducteurs des journaux télévisés devaient être validés au plus haut niveau de l’Etat.
Après la radio, c’est le paysage télévisuel qui s’est ouvert, avec Canal Plus, La Cinq, TV6 puis M6. Il fallait de l’audace pour ouvrir le monde audiovisuel à l’initiative privée, accepter la dérégulation totale du système médiatique, laisser entrer des acteurs étrangers, parfois contestables, tels que Berlusconi ou Maxwell.
L’un des objectifs induits par cette politique était de favoriser la production et l’essor de tout un secteur d’activité générateur d’emplois et d’export, et de participer à l’effort européen en la matière afin de s’émanciper de la domination des industries culturelles américaines pour la fiction et asiatiques pour l’animation.
– Selon vous, ces objectifs ont-ils été atteints ?
La notion de « marché » a fait son entrée dans l’univers protégé de la création. Ça ne s’est pas fait sans débats passionnés, comme celui de maintenir ou non une part de financement publicitaire des chaînes publiques, qui n’est pas un débat récent. Bien des contradictions sont apparues entre la montée en puissance d’intérêts privés et la volonté de préserver une offre de qualité, ambitieuse sur le plan culturel. Saluons la réunion de ces deux impératifs dans le domaine de l’animation : la France est dans le peloton de tête en la matière, derrière les Etats-Unis et le Japon.
Depuis les années 80 il y a eu de nombreuses alternances politiques qui ont rendu tortueuse notre histoire médiatique. Avec cette énorme erreur qu’a été la privatisation de TF1, TF1 première née et principale des chaînes de télévision publiques. Autre énorme erreur, plus récente, le changement de mode de nomination des présidents de l’audiovisuel public, forme de reprise en mains par l’exécutif de cette tutelle au détriment de l’instance de régulation indépendante. Une régression démocratique, l’abolition d’une nouvelle liberté acquise.
– Au regard de ces objectifs, comment percevez-vous le paysage audiovisuel français d’aujourd’hui ?
Notre histoire médiatique aurait gagné en cohérence et en richesse si sans cesse on n’avait pas remis en question, de gouvernement en gouvernement, les politiques engagées par les prédécesseurs. Il aurait mieux valu que l’élan initial ait pu produire tout son effet. Notre paysage audiovisuel souffre aujourd’hui de nombreuses incohérences dues à une multitude de décisions successives prises en dehors de toute rationalité. Le secteur public est éclaté en quatre entités qui, sauf exception, ne se parlent pas, France Télévisions, Radio France, l’Audiovisuel Extérieur, Arte, et le financement de cet ensemble disparate par la redevance a été trop longtemps négligé. Le secteur privé est lui aussi tellement émietté qu’il ne tiendra pas en l’état face aux mutations profondes et rapides induites par la révolution numérique et le changement des modes d’accès aux contenus.
L’offre d’images n’a jamais été aussi diversifiée et nombreuse, mais la fonction sociétale des médias, et particulièrement des médias publics, n’est pas suffisamment au cœur de la réflexion et de l’action. C’est particulièrement dommageable pour la communauté nationale dans une période de doute, d’inquiétude, de crise. Dans un monde multipolaire, il est urgent que l’Etat, le gouvernement et le CSA considèrent ce secteur avec une réelle vision de l’avenir, dans un dialogue constructif et ouvert avec tous les acteurs concernés.
De leur côté, subissant la mondialisation et ses conséquences, rapidité, brièveté, caducité de l’information, mais aussi dégradation de la langue française, les professionnels doivent s’interroger sur l’inculture, le suivisme du milieu, son manque d’audace souvent. Dérive « people » et populisme sont devenues les deux mamelles de la vie médiatique…
Pourtant la France a tous les atouts pour faire face aux mutations en cours, tous les outils techniques, les talents créatifs, les modes de distribution. C’est une question de volonté politique, de compétence professionnelle et de respect de l’éthique, pour répondre aux défis du monde de demain, dont l’Occident ni la France ne seront plus les maîtres.