Monsieur le Président,
– Madame,
– Il m’est particulièrement agréable de vous souhaiter la bienvenue et j’ajouterai qu’il nous est agréable à chacun de ceux qui se trouvent autour de cette table et bien d’autres à l’extérieur, de vous souhaiter, ainsi qu’à Mme Walesa, la bienvenue, ici à Paris, en France et de vous dire l’importance que la France attache à la visite du Président de la République de Pologne.
– C’est aussi, pour moi, l’occasion de poursuivre avec vous une série de rencontres commencées lorsque vous étiez vous-même engagé dans le combat qui a symbolisé la lutte et l’espoir des hommes libres. En décembre 1988, répondant à mon invitation, à célébrer à Paris le 40ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, vous me disiez, ici même, votre espoir de vivre en Pologne – pour employer un terme discret – des évolutions majeures. Moins d’un an après, en juin 1989, à Gdansk, entre les deux tours des élections pluralistes, nous constations ensemble que ces changements avaient commencé. Mais aujourd’hui, alors que vos concitoyens vous ont élu chef de l’Etat, nous venons de signer, toujours dans ces murs, le Traité d’amitié et de solidarité entre la France et la Pologne qui illustre le renouvellement de nos relations, qui établit le cadre de notre coopération et qui donne une perspective à nos ambitions communes.
– Votre visite, l’une des premières que vous effectuez à l’étranger, en votre qualité de Président de la République, souligne clairement la volonté de votre pays de considérer la France comme un partenaire privilégié. Nos entretiens de ce jour m’en ont convaincu, si c’était nécessaire, soyez assuré, monsieur le Président, que tel est aussi le choix de la France.
– Je pourrais, certes, évoquer ici beaucoup de figures très chères qui ont marqué des pages lumineuses ou douloureuses de l’histoire de nos peuples, tous ces destins croisés que connurent tant de Polonais et de Français, personnages illustres ou gens simples, que ce soit sur les champs de bataille, dans les laboratoires et les universités, sur la scène, dans les mines ou les usines. Hommes généreux et courageux, patients, voire inlassables, fiers de leur travail, portés par l’idéal, subtils, audacieux convaincus, je veux évoquer tous ces traits communs, ressemblants, complémentaires, grâce auxquels il y a quelque chose de rare, on pourrait dire d’unique et d’heureux dans la rencontre à travers les siècles du caractère polonais et du caractère français.
Je pense également à l’Histoire la plus récente et la plus vivante. Votre pays a été le premier et le plus constant dans la lutte contre le système qui lui avait été imposé. Souvenons-nous des épreuves de 1956, des frémissements de 1976 et de l’immense espoir de 1980 que vous avez incarné, monsieur le Président et à vos côtés, vous-mêmes, madame.
– Cela s’est traduit par la constitution du premier gouvernement pluraliste, démocratique à l’Est, et par le lancement d’une vaste vague de réformes que vous avez personnellement décidé de poursuivre et d’amplifier.
– C’est cette transition vers l’Etat de droit, la démocratie, le marché ouvert, que la France a décidé de soutenir de façon originale et aussi adaptée que possible en mettant en oeuvre le plan d’aide à la Pologne, rendu public lors de ma visite à Varsovie, en juin 1989. Ce plan, enrichi depuis lors, constitue l’un des plus importants efforts en cours d’aide bilatérale à la Pologne. J’y relève, en particulier, l’ampleur des actions de formation qui en résultent.
– En Pologne même, dans ses propres écoles, ses universités, ses instituts, ses centres de formation, la France a choisi d’innover en vous proposant dans un effort sans précédent, je viens de le dire, de former vos cadres d’entreprise, vos fonctionnaires, vos diplomates mais aussi les cadres indispensables à la vie et à l’économie de vos collectivités locales. Je souhaite que ce soit pour vous une chance de partager l’expérience et la compétence, bien sûr, mais aussi le respect, la confiance, l’amitié en un mot : l’élan d’une vie commune retrouvée après tant d’années d’éloignement forcé. Comme nous l’avons fait si souvent dans le passé nous avons voulu, de part et d’autre, que la Pologne et la France se reconnaissent et s’enrichissent de leurs partages et parce que la vraie coopération ne va pas sans liberté de circulation. Je puis vous confirmer qu’à la suite de négociations fructueuses nous venons de procéder à la levée de l’obligation des visas de court séjour pour les citoyens polonais désireux de se rendre en France. Mais je n’oublie pas, pour autant, vos soucis les plus immédiats, la France a pris l’initiative de plusieurs actions, tant bilatérales que multilatérales, pour apporter une solution, ou s’en approcher, conclusions, remarquables je crois, auxquelles viennent de parvenir les Etats-membres du Club de Paris. Vous savez que la France a déclaré être prête à annuler 50 % de la dette polonaise, à convertir également au moins 10 % supplémentaires de cette dette et nous n’avons pas fini avec nos discussions. J’en parle parce que les années précédentes ont accumulé sur la tête des Polonais des charges immenses dont vous voulez, précisément, les libérer.
– Se représente-t-on bien que, par tête d’habitant – je le dis pour les Français qui sont ici – la France consent un effort sept fois plus important que celui des Etats-Unis d’Amérique ?
De la même façon, en quelques mois seulement, une institution nouvelle, profondément originale, a été définie par la communauté internationale. C’est ici même, en ce lieu, que le Traité portant création de la BERD, c’est-à-dire de la Banque de Reconstruction des Pays de l’Est, a été paraphé le 29 mai 1990 et, en quelques mois seulement, ce traité a été ratifié et on sait les complications de toute ratification parlementaire et nous allons inaugurer la nouvelle institution la semaine prochaine, le lundi 15 avril, à Londres.
– Jamais dans l’histoire économique de l’après-guerre on n’avait décidé aussi vite et aussi bien. La banque est dotée d’un capital initial de 10 milliards d’écus. Son objectif exclusif sera de financer la transformation économique en cours à l’Est ou au centre de l’Europe. A l’évidence, la Pologne sera en premier lieu bénéficiaire de cette institution qui représente une capitalisation plus importante que celle de la Banque mondiale.
– Voilà une illustration supplémentaire de ce que la France a essayé de faire mais encore fallait-il que votre pays s’y prêtât, que le changement du cours de l’histoire chez vous permît que nous allions au-devant de vous, tout cela vous en êtes l’auteur.
Le Traité d’amitié et de solidarité que nous venons de signer consacre l’importance que nous assignons à nos relations mutuelles. Mais il les place aussi et volontairement dans une perspective paneuropéenne qui prend acte du contexte nouveau qui s’est créé sur notre continent.
– Songeons à la situation qui prévalait il y a dix ans à peine. Vous étiez alors interné mais vous portiez déjà l’espoir de votre peuple, l’Europe tout entière l’avait compris. J’émettais, pour ma part, juste après les événements de décembre 1981 en Pologne, le souhait que l’Europe sortît enfin de l’ordre dit « de Yalta », tout en tenant compte des prudences dans la démarche qu’impose l’Histoire.
– Dix ans après, nos deux pays sortent de l’affrontement des blocs pour sceller cette amitié retrouvée comme nous le faisons ce soir. A peine sortis de cette décennie, à la fois difficile et extraordinaire, il nous faut en préparer une autre, celle qui vient, ainsi va le temps, peut-être plus compliquée encore, on peut le penser, parce qu’il va falloir imaginer, concevoir, faire vivre une Europe qui, cette fois-ci, sera – comme cela n’était pas arrivé depuis longtemps – pleinement européenne. Il nous appartient aujourd’hui de concevoir des formes d’échanges à travers ce continent qui soient à la mesure des espoirs que nous nourrissons et préciser ce que la France et la Pologne entendent y apporter.
Ensemble déjà, nous avons tourné le dos au passé et créé de nouvelles conditions pour la sécurité de tous les Européens. Avec vingt autres pays représentant l’essentiel des forces militaires présentes sur ce continent, la France et la Pologne ont signé, toujours en ces lieux, le 19 novembre dernier, le Traité sur la réduction des forces armées classiques en Europe qui met fin à plus de quarante ans de guerre froide. Cela s’est déroulé dans un quartier voisin mais Paris et la France ont bien été le siège des réconciliations, des retrouvailles et des espoirs nouveaux. Deux jours après cette date que j’évoque, la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, signée par les 34 chefs d’Etat et de gouvernement de la CSCE, a fixé le cadre qui régit désormais les relations entre les Etats membres et a confirmé le nouveau départ de l’Europe que je voudrais réconciliée.
– Est-ce à dire que la sécurité soit désormais assurée ? Gardons-nous de toute complaisance, les derniers mois nous l’ont rappelé. Il convient aussi de résister à une vision fataliste et mécanique qui considérerait que les transformations du centre et de l’est de l’Europe créent un vide dangereux que l’on chercherait, par un moyen miraculeux, à combler. Je mesure bien ce que cette inquiétude peut avoir de fondé, mais je crois aussi que nous devons, plus que jamais, nous garder de formules toutes faites et continuer de chercher en commun les solutions qu’exigeront les circonstances.
– C’est la réflexion que nous avons entamée lorsque s’est réuni à Paris le sommet que je viens d’évoquer. Nous devons apporter des réponses aux questions posées en matière de sécurité, de développement, de coopération. La conférence sur la sécurité et la coopération est bien loin d’avoir épuisé ses virtualités. A l’Europe des blocs il ne faut pas que vienne se substituer celle des inégalités de développement et, au partage idéologique, la division économique.
C’est pour tenter de répondre à ces préoccupations que la France a proposé une démarche qui allie le renforcement de la Communauté européenne – j’insiste sur ce point, le renforcement – préalable indispensable, nécessaire, faut-il dire urgent ? et la création à l’échelle du continent d’un vaste cadre de coopération dans lequel chacun d’entre nous trouvera naturellement sa place.
– La Communauté économique européenne s’est engagée à progresser vers le marché unique, nous y arrivons : union économique monétaire, union politique. Cette démarche ne procède pas, je tiens à le dire, de la volonté de refermer la Communauté sur elle-même mais de lui donner ses propres assises. Nous avons la conviction que rien de stable ne se construira en Europe si cette Communauté ne se renforce pas. L’attraction des idéaux communautaires de démocratie, des Droits de l’Homme, de progrès économique, a été forte à l’Est, au moment des révolutions de 1989. Elle doit le rester. Nous ne devons pas faire naître d’illusions et particulièrement celle d’une adhésion facile à la Communauté et nous devons, dans le même temps, confirmer la certitude, c’est ce que nous venons de faire dans le Traité franco-polonais. Dans l’immédiat, il faut définir, aussi clairement que possible, ce qu’on appelle la restructuration des économies que cette démarche suppose. En attendant cette étape future, pour la rapprocher autant que possible, nous travaillons à renforcer les liens d’association entre la Communauté et la Pologne ainsi que les autres Etats d’Europe centrale et orientale. On pourrait même se poser la question suivante, pourquoi n’est-ce pas déjà fait ? De même, d’importantes ressources ont été mobilisées dans la Communauté et hors d’elle, pour aller au-devant des demandes de nos partenaires de l’est.
Ce sont des besoins qui se manifestent et sont partagés de plus en plus par des Européens qui, déjà, connaissent les mêmes valeurs et se retrouvent entre eux pour se concerter sur leurs affaires et c’est dans cet esprit que j’ai proposé, il y a maintenant quelque temps, l’idée d’une Confédération européenne qui ne prétent pas se substituer aux institutions existantes. Cette Confédération va chercher avec souplesse, pragmatisme, à développer des solidarités européennes concrètes et non pas à promouvoir des aires de développement séparées l’une de l’autre.
– Or plusieurs secteurs se prêtent à ce type d’approche : l’énergie, l’environnement, les réseaux de communication, l’audiovisuel, les mouvements de personnes, la culture, que sais-je encore ? La préparation des premières assises de la Confédération se tiendront à Prague, au mois de juin prochain et cela nous fournira l’occasion de préciser tous ces projets.
– Plus généralement, j’ai la conviction que nous trouverons dans la diversité, qui est la vraie richesse de l’Europe, naturellement un moyen de sortir des difficultés et des inquiétudes que nous connaissons. Le mouvement engagé me paraît irréversible. Chacun a la possibilité de garantir sa sécurité. Apprenons, je devrais dire « réapprenons », à penser, à travailler, à coopérer à l’échelle de l’Europe, d’une certaine manière on pourrait dire « la grande Europe », enfin ni grande ni petite, l’Europe tout simplement reste à inventer en notre siècle et pour le prochain et, sans doute, ceux qui suivront.
Aux pires moments de la longue histoire de votre pays, je peux témoigner que la France a toujours été à vos côtés. Elle est heureuse de l’être tout autant aujourd’hui, de vous accueillir et de vous assurer de son concours à la renaissance de la Pologne.
– C’est pourquoi je forme des voeux pour le bonheur de votre peuple. Je vous prie de bien vouloir transmettre à vos compatriotes le témoignage de notre affection, l’assurance de notre solidarité vivante et réelle. Je pense aussi, quand je vais lever mon verre dans une seconde, monsieur le Président et vous, madame, aux êtres que vous aimez, à votre cercle de famille, à tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, ont droit à votre affection, comme à vous-mêmes pour lesquels je porte un toast à votre santé et à votre bonheur.
– Vive la Pologne et vive la France !