QUESTION.- Monsieur le Président, l’année dernière il y avait des changements considérables dans les pays de l’Est. Est-ce que ces changements qui sont intervenus dans les structures de ces pays ne risquent pas de bouleverser la construction de l’Europe prévue en 1992 ? LE PRESIDENT.- Je ne vois pas pourquoi cela se produirait de cette façon. Les événements qui se sont produits dans l’Europe de l’Est doivent être considérés en tant que tels, méritent d’être traités avec la plus grande attention, mais ne gênent en rien – peut-être au contraire – la construction de l’Europe des Douze prévue sous forme d’un marché unique et donc de la disparition des frontières à compter du 31 décembre 1992. Ces événements offrent une ouverture importante pour les relations entre la Communauté des Douze et chacun des pays des Douze d’une façon bilatérale, et les pays de l’Europe de l’Est qui se trouvent aujourd’hui disposer d’une plus grande capacité de décision autonome et qui le voudront. Je vois donc cela comme des éléments complémentaires et non pas contradictoires. Il est complémentaire de renforcer l’Europe des Douze et de penser dès maintenant aux mécanismes et aux institutions qui pourraient permettre aux pays de l’Europe de l’Est qui le souhaiteront de travailler avec les pays de la Communauté.
QUESTION.- Justement, certains critiquent votre idée de confédération disant que c’est un peu idéaliste parce que cela n’a jamais réussi dans l’histoire de cette région de l’Europe. Comment imaginez-vous le rapprochement des pays de l’Est et de l’Europe des Douze ?
– LE PRESIDENT.- On n’avait jamais non plus réuni une Communauté comme celle des Douze. Ce sont, en effet, des phénomènes tout à fait modernes et qui n’ont pas de précédent. Cela est dû sans doute à l’autodestruction de l’Europe au cours de deux grandes guerres mondiales et aux désastres qui s’en sont suivis, en particulier la disparition de l’Europe en tant que partenaire des affaires mondiales. Donc, l’argument « on n’avait jamais vu » n’est pas un argument suffisant. Pour moi qui suis Français et qui parle au nom de la France, l’axe même de notre politique, c’est la Communauté des Douze. Nous estimons qu’il faut renforcer les structures et lui donner un contenu de plus en plus dynamique pouvant aller jusqu’à la décision politique commune. Mais quand je vois se développer une véritable révolution dans les structures des différents pays de l’Europe de l’Est, je pense qu’il serait tout à fait absurde et dangereux pour l’Europe elle-même d’exclure ces pays qui sont en pleine évolution, d’une démarche commune à l’Europe.
– Si l’on peut s’arrêter à cette image, il y aurait d’une part un premier cercle avec des institutions fortes et fermes, des disciplines, c’est la Communauté des Douze ; et un deuxième cercle de démarches en commun, d’échanges de toutes sortes, de sécurité garantie entre les Douze et tous les autres qui sont prêts.
– Votre pays, la Hongrie, se pose aujourd’hui, pas mal de questions. Quelles seront ses relations avec l’ensemble des pays qui sont aujourd’hui au sein du Conseil de l’Europe, et plus encore au sein de la Communauté ? La Pologne se pose le même type de question. Il est probable que la Tchécoslovaquie ne va pas tarder à se les poser, et les autres aussi. Il faut apporter une réponse à ces pays. Il faut leur ouvrir l’horizon. Il faut qu’ils sachent qu’ils pourront en tant qu’Etats souverains traiter avec leurs partenaires de l’Europe de l’Ouest et avec la Communauté. Car il ne s’agit pas de substituer à la Communauté des Douze une vague confédération. Il s’agit d’une autre construction complémentaire.
– QUESTION.- Pensez-vous que ces pays devraient se rapprocher un par un, vers la Communauté des Douze ou essayer de faire d’abord une confédération entre eux ?
– LE PRESIDENT.- Je ne veux rien dicter. C’est un projet que j’ai développé. Il mérite discussion avec tous nos partenaires. Personnellement, je pense qu’il n’y a aucune raison de ne pas prévoir une marche de chaque Etat vers une confédération commune. Je ne vois pas pourquoi nous passerions par toute une série de démarches institutionnelles intermédiaires. Il y a le cadre de la CSCE, étant entendu que les objectifs d’Helsinki sont tout à fait clairs mais particuliers. Il y a des pays non européens qui prennent part à ces discussions. Mais on peut très bien imaginer à partir des bases de cette conférence la naissance d’institutions européennes communes à l’Est et à l’Ouest, y compris l’Union soviétique. Cela suppose naturellement aussi une démarche vers la démocratie. Il n’y aura pas de confédération européenne, d’institutions communes s’il y a une trop grande disparité entre les systèmes politiques, économiques, sociaux des différents pays membres.
QUESTION.- En Europe centrale, la question des minorités joue toujours un rôle important. Selon vous, comment peut-on résoudre ce problème qui n’a pas trouvé de solution pendant quarante ans de socialisme ?
– LE PRESIDENT.- Vous avez des impératifs. Le premier d’entre eux c’est qu’on ne peut pas remanier les frontières autrement qu’à l’amiable, d’une façon diplomatique. Tout cela peut se discuter mais pas par des moyens de force sous une forme ou sous une autre, force politique, force militaire, force économique. La seule réponse est dans le statut interne des actuels Etats européens. Pour régler le sort des minorités d’une façon suffisamment satisfaisante, il n’y a pas trente-six réponses possibles c’est soit le fédéralisme, en tout cas la décentralisation, et certaines formes de décisions autonomes à l’intérieur de la souveraineté de l’Etat. Il n’y a pas d’autre marche, sinon vous verrez des antagonismes se développer entre les minorités et les majorités, des conflits graves, peut-être des effusions de sang et un remue ménage de nationalités qui s’exacerberont au travers de l’Europe tout entière avec un effet de contagion. Ce problème se pose à peu près partout.
QUESTION.- Est-ce que la France fait une préférence parmi par exemple les pays de l’Est, comme on dit que par exemple l’Allemagne a une relation très rapprochée avec le DDR `RDA` avec la Tchécoslovaquie. Est-ce que c’est vrai que la France renforce plutôt ses positions avec la Pologne et la Roumanie ?
– LE PRESIDENT.- Ce sont les affinités traditionnelles mais cela ne part pas d’un principe, il n’y a pas de stratégie pour cela. La Pologne et la Roumanie puisqu’ils sont les deux pays que vous citez ont eu à travers les siècles précédents des relations particulières avec la France qui ont un certain caractère affectif. En même temps c’est le juste intérêt de ces différents pays. Nous n’avons pas l’intention de mettre un terme à cette nature privilégiée de nos relations mais ce n’est pas une politique exclusive à l’égard de quiconque.
QUESTION.- Comment voyez-vous la relation avec la Hongrie entre la France et la Hongrie et surtout Hongrie où sont intervenus beaucoup de changements, quels sont les plans de l’amélioration politiquement et économiquement ?
– LE PRESIDENT.- Il faut multiplier nos échanges. Nos deux pays sont très voisins mais nous ne nous connaissons pas beaucoup. Il faut dire que l’histoire des derniers siècles a fait que nos centres d’intérêt n’ont pas été les mêmes ! Nous appartenions à des ensembles différents et de ce fait le courant des échanges ne s’est pas essentiellement dirigé de Budapest vers Paris ou de Paris vers Budapest. Malgré cela, nous avons quand même beaucoup de raisons de nous rencontrer, de nous connaître et de travailler ensemble. On peut relever d’une façon importante le niveau de nos échanges économiques et culturels et par voie de conséquence de nos échanges politiques. Non seulement entre la France et la Hongrie mais aussi entre la Communauté et la Hongrie. C’est en tout cas le souhait que je forme et j’y travaillerai.
– QUESTION.- J’ai vu qu’il y a beaucoup d’hommes d’affaires français qui vont vous accompagner, cela signifie quelque chose ?
– LE PRESIDENT.- Nous souhaitons que nos relations ne se développent pas uniquement à la tête, mais que l’ensemble des activités françaises et des activités hongroises s’interpénètre dans la dynamique que je viens d’exposer.
– QUESTION.- Encore une dernière question. Economiquement que pensez-vous que les pays des Douze et la France financièrement peut aider ces pays qui souffrent des problèmes….
– LE PRESIDENT.- Ils l’ont déjà fait, ils doivent continuer et la France est prête à donner l’exemple.
– Je voudrais profiter de cette conversation que vous m’avez offerte et dont je vous remercie pour transmettre au peuple hongrois le témoignage de mon attachement. C’est un peuple fier, un peuple qui a su préserver son identité à travers des événements de l’histoire souvent contraires. Venant sur son sol je tiens à dire à ce peuple, en même temps qu’à ses dirigeants, le plaisir que j’ai de revenir en Hongrie.