J’ai reçu le Chancelier Kohl pendant quelque deux heures qui nous ont permis d’aborder un certain nombre de sujets concentrés autour d’un sujet principal : le devenir des Allemands autour du thème de l’unification des deux Etats avec Berlin. Hypothèse qui découle naturellement des événements de ces derniers mois mais qui suppose aussi un certain nombre de débats, de discussions, de circonstances que nul ne peut imaginer mais dans une ligne historique qui paraît claire. Notre conversation a tourné sur ces domaines : de quelle manière l’Allemagne fédérale et son Chancelier voient-ils ce problème-là qui est du ressort allemand. Quelle est l’opinion, toujours par rapport à cette hypothèse fondamentale, d’un pays comme la France, non pas par rapport à la décision des Allemands, qui est de leur ressort, mais par rapport aux conséquences de ces décisions qui sont du ressort international ? Cette opinion, je l’ai exprimée.
– Tout ceci par rapport à un certain nombre de perspectives ou de responsabilités qui s’expriment soit dans le cadre de notre alliance commune, de notre alliance particulière aussi, mais aussi au regard de la Communauté européenne à laquelle nous appartenons les uns et les autres. Ainsi ont été évoqués les problèmes de sécurité ainsi que les problèmes dits de frontière et de stabilité en Europe.
– Nous sommes d’accord pour estimer que la Communauté doit maintenir sinon accélérer ces perspectives, ces objectifs pour 1992 ou 93 et pour assurer aux relations franco-allemandes le climat qui depuis longtemps est le leur.
– Maintenant, il vous appartiendra de poser les questions que vous désirerez et je laisse notre hôte, le Chancelier Kohl vous adresser quelques mots. Nous n’avons pas beaucoup de temps car le Chancelier doit rentrer à Bonn et son avion l’attend.
CHANCELIER KOHL.- Monsieur le Président de la République, mesdames, messieurs c’était une nouvelle discussion très importante que nous avons pu avoir ici mais c’était surtout une discussion qui comme toutes les discussions que nous avons eues ces dernières années était marquée par un esprit très amical.
– Ce qui se passe en Allemagne et surtout en RDA montre que l’unification de l’Allemagne, l’unification ou la réunification de Berlin, de la RDA et de la République fédérale avance et que les élections qui vont avoir lieu en RDA le 18 mars sont particulièrement importantes. C’est une question qui touche le peuple partout en Allemagne.
– Bien entendu, aujourd’hui personne ne peut dire quels seront les événements dans l’avenir proche. Après les élections, j’espère que très bientôt le premier Parlement libremement élu pourra créer un gouvernement en RDA et à ce moment-là les négociations commenceront dans tous les domaines qu’il faudra aborder.
– Pour moi ce qui est important et j’aimerais le dire ici ce soir c’est ce qui se passe, nous voyons bien le développement s’est fait sur deux rails qui doivent toujours rester parallèles. D’une part, le premier rail dans lequel les questions allemandes sont liées aux questions européennes et internationales. Questions de désarmement, développement des relations entre les deux pactes, pacte de Varsovie et OTAN. Des accords importants à ce sujet ont été conclus à Ottawa ces jours-ci et après les élections en RDA il faudra que nous travaillions sur ces domaines. Et là je suis d’accord avec le Président de la République, avec M. le Président Bush avec qui j’ai téléphoné encore ces jours derniers et c’est également le résultat des discussions que j’ai pu avoir avec le secrétaire général Gorbatchev, samedi à Moscou.
– Enfin, l’autre rail, c’est ce que les Allemands doivent faire eux-mêmes et qui est de leur responsabilité. Et bien entendu quand je dis responsabilité cela veut dire aussi responsabilité vis-à-vis des voisins. Ce qui se passe aujourd’hui dans l’Europe centrale, en Allemagne, ne doit pas, ne peut pas toucher l’équilibre de l’Europe de manière négative.
– Il est absolument important que nous, les Allemands, comme jusqu’à présent soyons dans une relation d’amitié très étroite avec la France et que nous continuions à pousser le processus d’intégration européenne.
– Il y a trente-cinq ans, Konrad Adenauer en une seule phrase donnait la bonne direction lorsqu’il disait et cela vaut encore pour aujourd’hui : « la question allemande ne peut être résolue que sous un toit européen ». Et c’est pourquoi, il est très important que nous poursuivions nos objectifs internes à la Communauté d’une manière conséquente. Cela reste la politique que je poursuis, pour la République fédérale d’Allemagne.
LE CHANCELIER KOHL.- Il y a une grande date devant nous, c’est le 31 décembre 1992. La conférence intergouvernementale sur l’Union économique et monétaire sur laquelle nous nous sommes mis d’accord à Strasbourg et il n’y a strictement aucune raison de douter que d’aucune manière nous puissions ne pas respecter cet engagement car ce serait un retour arrière ; un échec terrible. Justement particulièrement pour les Allemands, à cause de ce qui se passe en Allemagne, du processus d’unification. Cela ne doit pas gêner le processus d’unification communautaire. A cette occasion, je tiens à souligner que je soutiens tout particulièrement l’idée qui avait été présentée par le Président de la République au moment de sa présentation des voeux le 31 décembre.
– L’idée que pour les pays européens qui se trouvent en dehors de la Communauté et qui ont un Etat de droit libéral, on doit trouver un système pour les intégrer dans les années 1990 ; on peut appeler cela une confédération, on peut trouver un autre nom mais l’idée est juste.
– Mon intérêt et là je suis d’accord avec le Président, en dehors du fait que nous nous voyons très fréquemment, (je crois que cette année, nous avons dépassé de loin les 70 rencontres) dans cette situation historique concrète, la communication entre nous est particulièrement étroite. Je pense que vous n’avez pas besoin de vous étonner si vous voyez que nous allons nous voir encore plus souvent ces temps-ci.
QUESTION.- Au sujet de la proposition d’avancement de la date de la conférence intergouvernementale.
– LE PRESIDENT.- Cette initiative ne peut être qu’irlandaise et surtout italienne puisque ce sont les Italiens qui auront à organiser la conférence intergouvernementale. Pour le Chancelier allemand, il se pose un problème particulier, puisqu’il a des élections à organiser début décembre, je crois. Mais pour moi qui suis dégagé de ce genre de souci, je dis : je le souhaite.
– LE CHANCELIER KOHL.- Pour dire les choses tout à fait clairement, c’était un sujet dont nous avions déjà discuté à Strasbourg et pour nous en République fédérale, ce sera un problème si nous avançions la conférence de quelques semaines. Parce qu’au début du mois de décembre, nous avons des élections. En octobre, nous avons également des élections locales importantes et nous avons bien entendu un travail énorme à accomplir sur tout ce qui concerne la RDA. Mais je suis sûr que nous aurons l’occasion de parler de cette question à l’occasion de ce sommet informel extraordinaire que notre collègue irlandais a l’intention de convoquer.
– LE PRESIDENT.- Je répète que je comprends très bien les problèmes difficiles qui se posent aux uns et aux autres. Si la réunion se tient, comme il était prévu à Strasbourg, ce sera déjà bien pour l’Europe. Si elle se réunit plus tôt, ce sera encore mieux. Quant à l’invitation du Premier ministre irlandais tendant à la réunion d’un Conseil européen informel, enfin dans le genre de celui qui a été tenu ici même à l’Elysée au mois de novembre, qui ne pourrait avoir lieu qu’après les élections en Allemagne de l’Est, donc fin mars ou pendant le courant du mois d’avril, nous sommes tout à fait d’accord, le Chancelier et moi, pour estimer que c’est tout à fait désirable.
QUESTION.- Il semble que les opinions publiques en Allemagne fédérale comme en Allemagne de l’Est tendent de plus en plus vers l’acceptation d’une Allemagne réunifiée neutre et désarmée. Pensez-vous qu’une Allemagne réunifiée puisse imposer cette volonté aux quatre puissances et aux autres pays et je voulais aussi vous demander est-ce que pour vous il est tout à fait évident que Berlin redevienne la capitale de l’Allemagne ?
– LE CHANCELIER KOHL.- Pour ce qui est de la capitale, pour l’instant ce n’est vraiment pas le moment de décider de ce genre de chose parce que de toute façon il faut d’abord mettre sur pied ce qui fait une capitale. Ma sympathie pour Berlin est connue. Pour ce qui est de la première partie de votre question, je ne sais tout simplement pas d’où vous tenez cette information. Il se peut qu’une partie de l’opinion publique telle que vous la trouvez dans les journaux soit de cet avis pour ce qui est du neutralisme. Une Allemagne neutralisée ne se fera pas avec moi et ne se fera pas non plus avec la majorité des Allemands.
QUESTION.- Etes-vous d’accord pour un sommet informel extraordinaire ?
– LE CHANCELIER KOHL.- Oui, nous venons en fait de répondre à la question. Peut-être nous nous sommes exprimés de manière trop compliquée. L’idée est que notre collègue irlandais convoque un sommet informel du même style que celui qu’a réuni en novembre le Président Mitterrand. Nous en parlerons. Mon idée serait que la conférence ait lieu en avril à une certaine distance des élections en RDA de telle sorte que l’on puisse voir comment se fait la formation du gouvernement en RDA.
QUESTION.- Vous avez évoqué les questions des frontières. Est-ce que de ce point de vue, le Chancelier Kohl vous a apporté quelques garanties, concernant le respect des frontières héritées de la deuxième guerre mondiale ?
– LE PRESIDENT.- S’il s’agit de connaître ma position, il m’est facile de l’exprimer. C’est à dire qu’il faudra que les frontières à l’Est de l’Allemagne notamment, c’est-à-dire à la frontière entre la Pologne et l’Allemagne, aujourd’hui l’Allemagne de l’Est, soient solennellement confirmées. Nous en avons parlé en effet. Le Chancelier m’a fait connaître son opinion mais je préfère qu’il vous l’exprime lui-même.
– LE CHANCELIER KOHL.- Mon opinion est connue. Je l’ai exposée il y a peu de temps à Paris. Lorsque nous aurons un Parlement et un gouvernement commun à toute l’Allemagne, eh bien ce gouvernement et ce parlement devront donner la réponse.
– LE PRESIDENT.- Je n’ai pas les mêmes empêchements ; je peux vous le dire tout de suite. La ligne Oder – Neisse doit être reconnue.
QUESTION.- Au sujet du sommet cocaïne de Carthagène.
– LE PRESIDENT.- Le Chancelier et moi, sommes venus parler des problèmes européens autour du problème allemand. Je pense que l’on s’éloigne un peu, bien que je forme les voeux les plus vifs pour que les pays rassemblés à Carthagène puissent durcir, renforcer les moyens de leur lutte et de la nôtre contre la drogue, producteurs et trafiquants et le cas échéant consommateurs.
QUESTION.- Au sujet de l’éventuelle neutralité d’une Allemagne unifiée.
– LE PRESIDENT.- Il semble que le Chancelier s’est exprimé tout à l’heure à ce sujet en disant que lui, considérait sa politique engagée sur ce problème par un refus absolu de ce que l’on pourrait appeler la neutralisation de l’Allemagne, cela a déjà été dit. Quant à la France, elle ne considère pas qu’il soit concevable que l’Allemagne puisse être privée du droit qui est celui de tout Etat souverain d’avoir à déterminer sa politique militaire. Or, l’Allemagne fédérale appartient aujourd’hui à l’Alliance atlantique et rien n’indique qu’il puisse y avoir de changement sur ce plan-là, tant que ces alliances existeront. Donc, non, il n’y a pas de position favorable, il y a une position défavorable à cette suggestion et cela ne doit pas entraîner à nos yeux une modification des lignes avancées de l’OTAN en Europe, ce qui veut dire que, s’il devait y avoir à la fin de ce processus une unification entre la RDA et la République fédérale, il ne serait pas sage, si par dessus le marché les troupes soviétiques devaient se retirer de l’Allemagne de l’Est, que les lignes de l’OTAN puissent avancer dans l’Allemagne de l’Est.
– J’ai exprimé cette position il y a 48 heures encore dans une interview à la presse régionale et je peux vous confirmer, il ne peut pas y avoir de neutralité mais il doit y avoir souci de respecter les équilibres en Europe, donc, de maintenir les lignes là où elles sont et de résister à la tentation de les avancer, ce qui serait une façon de troubler gravement le climat et l’équilibre européen.