Il y a des amis ou compagnons dont l’absence reste « irréelle » tant ils étaient vivants. Michel Charasse était de ceux-là.
Evoquer sa mémoire, c’est privilégier les instants de complicité joyeuse même lors de rencontres studieuses et de réunions de travail ; chaque instant avec Michel était l’illustration que compétent et sérieux ne riment pas avec sinistre. Son humour dans les débats les plus rudes était une force de conviction ; il savait mettre les rieurs de son côté.
Cette joie communicative prenait toute sa portée lorsque l’on avait l’occasion de déjeuner en sa compagnie avec quelques convives qu’il avait choisis. Michel était un conteur et parfois un raconteur. Il avait toujours en réserve quelques histoires qu’il rapportait avec délectation ; sa maitrise linguistique lui permettait de faire entendre des « blagues » parfois limites sous une forme « académique ». Mais il avait aussi le talent de faire revivre de manière très imagée quelques-unes de ses visites sur notre territoire en compagnie du Président ou de membre du gouvernement. Lorsqu’un(e) de ses collègues ou collaborateur(rices)s était la cible de l’anecdote, il restait toujours extrêmement respectueux à son égard. Il combattait les idées, il ne méprisait pas celles et ceux qui les portaient.
Le Salon de l’agriculture de Paris fut l’occasion de souvenirs plus personnels avec Michel. A plusieurs reprises, il m’a proposé de m’accompagner une matinée Porte de Versailles ; j’y passais en effet presque chaque jour pour participer à des manifestations et rencontrer le maximum de responsables professionnels français, européens ou étrangers. Je lui proposais un circuit permettant de faire ressortir l’actualité et l’évolution du secteur ; mais très rapidement, nous passions aux stands des Régions de France ou, bien entendu, nous commencions par l’Auvergne pour gouter les produits des terroirs. Puis, de retour rue du Faubourg Saint Honoré, nous y retrouvions quelques collègues du Secrétariat Général pour la dégustation offerte par notre ami.
La visite du Salon de l’agriculture a toujours été un exercice difficile pour les membres du gouvernement de l’Union de la gauche sous les deux septennats de François Mitterrand, celui de François Hollande ou celui dirigé par Lionel Jospin ; leur accueil était préparé par la profession majoritaire relayée souvent par les adversaires politiques. Le style direct et la « gouaille » de Michel Charasse lui ont toujours permis de traverser les allées du parc des exposition de la Porte de Versailles de manière sereine et sans hostilité affichée, malgré les dossiers agricoles très sensibles qu’il portait en tant que Ministre chargé du Budget. Je fis le même constat lors d’une visite du Marché de Rungis avec le Président où nous fûmes interpelés sur le carreau des fleurs sur le sujet de la TVA « réduite » réclamée par la profession horticole. La présence de Michel favorisa une issue positive de l’échange rugueux avec les professionnels.
Chaque début d’année était attendue sa carte de vœux qui portait toujours un message politique fort illustré de manière humoristique.
Mais au-delà des souvenirs personnels sur un grand serviteur de l’Etat et un citoyen qui croquait la vie, les convictions philosophiques et politiques profondes que nous partagions, piliers de nos engagements, ont soudé mon attachement : la laïcité, la primauté de l’être humain, l’attention aux autres et la liberté individuelle contre les pensées totalitaires.
Jean-Claude Lebossé
Le 3 juillet 2020