Nous gardons de Michel Charasse le souvenir d’un homme politique haut en couleur, au langage truculent, aux réparties à l’emporte-pièce, et aux gros cigares. Il a d’ailleurs cultivé, lui-même, cette image, un rien caricaturale. Comme pour se protéger. Mais j’ai connu un autre Michel Charasse, à la personnalité très différente : d’abord au sein de la petite cohorte des compagnons de François Mitterrand, dans les années qui suivent le Congrès d’Épinay, comme je le raconte dans mon ouvrage, Je crois à la politique; puis pendant les 18 ans, où nous avons été tous les deux sénateurs, longtemps membres du groupe socialiste, avant que je ne passe en 2000 au groupe du RDSE (Rassemblement démocratique et social européen), qu’il rejoindra lui-même en 2008, après son exclusion du Parti socialiste. Une étonnante similitude de parcours, significative de la crise profonde qu’a vécue le socialisme, à partir de la mort de Pierre Bérégovoy, en 1993. Or, dans ces deux situations, au contexte si différent, je l’ai vu sous un autre jour : homme de conviction, profondément républicain et laïque, cultivant la discrétion, jusqu’au secret, entièrement dévoué au leader de la gauche, puis au Président de la République, et capable d’abattre un énorme travail parlementaire sur les sujets les plus techniques en matière budgétaire ou juridique, quand il a été question, par exemple, de modifier la Constitution. C’était une personnalité qui en imposait, et que l’on respectait, y compris à droite, comme en témoigne le compte rendu des séances et les confidences de ses collègues. Il était particulièrement à l’aise au sein de la Haute assemblée : défenseur acharné des communes rurales, faisant régulièrement référence à Puy-Guillaume, le village, dont il était maire, au Puy-de-Dôme, son département et à l’Auvergne, où il s’était enraciné, après une très brève et malheureuse expérience en Corse. Il parlait naturellement le langage de la majorité des sénateurs, quelle que soit leur appartenance politique. Il le faisait au fil d’interventions solidement argumentées. Et dans un esprit dénué de tout sectarisme. C’était même une qualité qu’il aimait revendiquer, comme on le constate dans le Portrait, que lui a consacré Public Sénat, en 2008. Nous étions généralement sur la même position, qu’il s’agisse de défendre les territoires ruraux, par rapport aux agglomérations urbaines, ou de définir le degré d’autonomie des collectivités locales par rapport à l’État. Un autre engagement nous rapprochait : la défense de l’École publique, au regard de l’école privée confessionnelle, l’affirmation intransigeante de la Séparation des Églises et de l’État, voulue par la loi de 1905, l’affirmation de la singularité de la République française, héritière des Lumières et refusant tout communautarisme de type anglo-saxon. Je me souviens à cet égard de nos interventions croisées lors du débat, en 2004, sur le projet de la loi interdisant le port de tout signe religieux ostensible à l’école, appelée depuis « loi sur le Voile ». Le groupe socialiste, auquel il appartenait encore, était partagé. Et, son plaidoyer en faveur de ce texte de loi, à la suite de l’intervention déterminante de Robert Badinter, a permis le vote positif de la très grande majorité de la gauche. Il était profondément laïque, et l’épisode fameux de son refus d’entrer dans l’église de Jarnac, où avait lieu la cérémonie des obsèques de François Mitterrand, doit se resituer dans toute une vie, fondée sur l’exigence de liberté de conscience. Au fond, la laïcité, le respect de la la conception républicaine de l’action publique, comme maire, parlementaire ou ministre, et une fidélité absolue à la personne et au message de François Mitterrand sont les caractéristiques de cet homme d’exception, qui a honoré la France.