En 1981, j’ai été désigné par le Vice-président du Conseil d’Etat pour contrôler la régularité de la campagne pour l’élection du Président de la République. Je ne connaissais pas François Mitterrand, que j’allais alors rencontrer, comme les autres candidats, quotidiennement à la Maison de la Radio. Fort heureusement aucun incident majeur ne vint troubler la campagne qui s’est déroulée dans un climat lourd de méfiance réciproque. C’est à la suite des élections législatives de mai que le Président me fait appeler pour me demander si j’acceptais de quitter provisoirement le Conseil d’Etat et de m’occuper de communication. Quelques jours plus tard, Georges Fillioud me proposait à mon grand étonnement la présidence de TF1.
François Mitterrand nourrissait une certaine méfiance à l’égard des média, justifiée par l’ostracisme dont il avait été victime dans l’opposition de la part des radios et télévisions qui étaient toutes sous l’autorité des gouvernements. Sans qu’il y ait de véritable projet – du moins à ma connaissance – de réforme d’ensemble de l’audiovisuel, chacun savait que l’arrivée de la gauche au pouvoir signifiait une libéralisation des ondes. Je pris mes fonctions rue Cognac-Jay dans une maison où la rédaction était dans un climat quasi insurrectionnel. Les journalistes avaient mal supporté l’éclatement de l’ORTF au début du précédent septennat, qui avait été ressenti comme une sanction et réalisé pour justifier l’éviction des journalistes de gauche. La réintégration de ceux-ci et un profond désir de changer les responsables en place allaient agiter pendant quelques semaines chaque rédaction et particulièrement celle de TF1.
C’est en juillet 1982, à la suite de la commission Moinot, que le Parlement vota la première grande réforme de l’audiovisuel et que fut instaurée une Haute Autorité de l’Audiovisuel à laquelle Louis Mermaz, qui présidait l’Assemblée Nationale me proposa de participer. Je percevais mal les compétences de cette institution demeurées assez floues et j’ai finalement décliné cette offre. Je préférais poursuivre ma carrière dans une administration plus classique, la Direction générale des relations culturelles du Quai d’Orsay, dont j’eus la responsabilité jusqu’en 1987. Presque 10 ans plus tard cependant je devais revenir vers l’audiovisuel, lorsque François Mitterrand me proposa de présider le CSA, qui en janvier 89, remplaça le CNCL. J’étais très conscient des difficultés de réussir cette troisième tentative et des risques qu’aurait comporté pour l’indépendance indispensable des chaînes publiques un troisième échec, après ceux de la Haute Autorité et de la CNCL.
Il fallait d’abord convaincre la presse que cette tentative était la bonne et mes nouveaux collègues que l’instance était une autorité juridique et qu’elle devait être indépendante politiquement… Ce qui n’a pas été toujours facile. Il fallait surtout habituer à la discipline qu’impose la collégialité, des personnalités qui n’en avaient pas l’habitude. Solidarité de tous lorsque la décision est arrêtée, secret des délibérations sont des règles difficiles à comprendre et à respecter lorsqu’on n’a pas au préalable de formation en ce sens. En même temps il fallait faire évoluer l’institution, mettre en place les comités techniques radiophoniques, lancer des appels à candidature pour l’exploitation des services de radio et de télévision, et veiller à ce que la réglementation soit respectée au besoin en sanctionnant sérieusement les défaillances.
15 ans après sa création, le CSA n’est plus contesté. Les affrontements politiques qui ont marqué la vie de la Haute Autorité, de la CNCL et les premiers mois de son existence ont cessé. Cela ne signifie pas que les règles de la loi audiovisuelles sont immuables. Bien au contraire : c’est un des pans de notre législation qui doit être sans cesse revisité et adapté. Les évolutions technologiques l’imposent. Mais également certaines règles, justifiées en 1981, le sont moins dès lors que l’indépendance de l’information des chaînes publiques, voulue par François Mitterrand, ne peut plus être remise en cause. Je pense au pouvoir de nomination des présidents qui devrait revenir au gouvernement responsable des ressources des sociétés. Le CSA en revanche, aurait seul compétence pour mettre fin à leur fonction et assurerait sur les organismes publics le même contrôle que celui qu’il exerce sur les chaînes privées.