Véritable choix politique et perçue comme un acte de libération, la suppression du monopole par la loi du 29 juillet 1982 ne s’est pas accompagnée de l’effacement de l’État ; heureusement et malheureusement. Heureusement pour la liberté d’expression et la diversité des contenus ; malheureusement pour l’inflation réglementaire due à une politique brouillonne, restée à mi-chemin dans bien des domaines. Le résultat est un secteur en perpétuelle ébullition peinant à trouver son équilibre, aussi bien en termes économiques que culturels et sociaux.
La communication audiovisuelle est devenue libre et, comme toutes les libertés en démocratie, il restait à l’organiser pour qu’elle s’exerce dans le respect des règles applicables. Las, les règles n’ont cessé de se multiplier, décidées au coup par coup, devant le constat des difficultés rencontrées par les uns et les autres qui n’ont cessé de demander et d’obtenir des réajustements. Les alternances politiques à répétition, au lieu d’être l’occasion d’assainir et de simplifier, n’ont fait que rajouter de nouvelles sources de déséquilibre entraînant une perpétuelle instabilité des règles du jeu. Si les évolutions techniques et la nécessaire adaptation au contexte européen obligent à des révisions régulières, on est allé bien au-delà, pour donner satisfaction aux revendications des opérateurs, au détriment d’une vision d’ensemble et au mépris de ceux qui devraient être les principaux bénéficiaires, les téléspectateurs.
C’est ainsi que l’on a connu une demi-douzaine de lois, plusieurs centaines de décrets, sans parler de la valse des responsables des chaînes publiques. Tandis que l’impact des mutations économiques et technologiques n’a jamais été correctement pris en compte, autrement qu’à court terme et dans un esprit plus clientéliste qu’ambitieux. En fait, jamais l’attitude du gouvernement -quel qu’il soit- n’a été déterminée par une vision vraiment prospective. Ni le dirigisme, ni le libéralisme n’ont su fixer clairement les buts à atteindre, ni placer ce secteur d’activité – entreprises publiques et privées confondues – en position de pouvoir se développer harmonieusement. La conscience en a été si vive, qu’au fil des années, rapports officiels et parlementaires se sont entassés à une cadence soutenue, sans qu’aucun n’ait réussi à orienter les réformes législatives qui allaient suivre, ni leur assurer un caractère durable.
L’hypertrophie réglementaire
Déjà, en 1992, M. Marceau Long, alors viceprésident du Conseil d’État, avait vivement déploré cette inflation. En matière audiovisuelle, il notait que le régime juridique du secteur avait été modifié par seize textes législatifs successifs, en dix ans, depuis la loi du 29 juillet 1982 ! D’après lui, la dégradation de la norme avait accru l’insécurité juridique et entraîné le développement de textes d’affichages : « un droit mou, un droit flou, un droit à l’état gazeux ». On ne saurait mieux dire ! Quant au projet de loi sur la communication audiovisuelle, voté en première lecture au Parlement, en février-mars 1997, il ne représentait jamais que la vingt-deuxième modification à la loi de 1986 et la dissolution de l’Assemblée nationale en avril 1997 en a fait un texte mort-né !
Les exonérations de redevance
Le principe des exonérations de redevance repose sur l’ordonnance du 14 février 1959, mais son application automatique découle du décret du 17 novembre 1982 (n° 82-971) ; ses conséquences ont été amplifiées par la réduction du nombre des contribuables assujettis au paiement de l’impôt sur le revenu. La France est le seul pays à avoir appliqué un tel principe d’exonérations automatiques.
Mais on ne peut à la fois se lamenter sur l’état de notre audiovisuel public, déplorer la baisse de la qualité, prêcher un romantisme culturel échevelé, imposer des obligations de plus en plus lourdes et, dans le même temps, fermer les yeux sur l’importance de la ponction opérée par l’État lui-même sur l’audiovisuel public ; alors que l’augmentation des ressources publicitaires (particulièrement pour France 2) était devenue la seule variable possible d’ajustement des budgets des sociétés du secteur public. C’est ce qui a conduit le secteur public à mener une guerre frontale d’audience contre le secteur privé et avec les mêmes armes que celui-ci. En définitive, cette mesure qui se parait du prestige de la solidarité sociale fut à l’origine de dérapages constatés sur de trop nombreux programmes des chaînes du secteur public.
Les financements et leur conséquence
Le déséquilibre est patent. La privatisation, puis la domination d’une chaîne sur toutes les autres, a des effets sur l’ensemble de l’économie du secteur. La prime au plus fort, l’inflation des coûts destinée à ébranler la concurrence (une chaîne en est morte, exemple sans précédent), l’affaiblissement du secteur public, le faible développement de la télévision à conditions d’accès, plombée par le développement – certes spectaculaire – d’une chaîne cryptée dont l’opérateur, également câblo-opérateur, a assuré le succès aux dépens de l’équilibre du secteur. Tout a joué dans le même et mauvais sens.
Certes, les mutations technologiques n’ont pas facilité les choix. Sauf à passer à côté et à prendre du retard, il faut bien se lancer. Mais, avant d’arrêter les choix, il faut arbitrer. Ingénieurs et opérateurs ont donc rivalisé de persuasion pour obtenir les « bonnes » décisions et l’adoption d’une réglementation qui leur soit favorable. Il en est résulté un secteur clé en matière culturelle, dont l’étendue ne se traduit pas par une diversité des contenus puisque la loi du plus fort a fini par l’emporter.
Depuis 1996, la production de programmes audiovisuels baisse en France, seul pays européen à connaître une telle situation. Parce que la France n’a jamais su choisir entre le financement des contenus (les programmes) et des contenants (les supports) ; si l’on se rappelle les milliards de francs engloutis dans les plans câble successifs, les satellites TDF 1 et TDF 2 , les bouquets satellites fanés sitôt que lancés, la baisse de la redevance votée lors de la privatisation de TF1 et dont le montant a été bloqué l’année suivante.
Le secteur public dans un espace sans frontières
L’ouverture de l’espace audiovisuel au privé aurait pu et dû s’accompagner d’une politique résolue de défense du service public. Tous les pays européens comparables l’ont fait. Le modèle audiovisuel français n’a pas résisté à la pression du progrès technique, des révolutions idéologiques et des forces économiques.
Mais, si les faits sont têtus, les Français le sont aussi. Ils font de la résistance en restant attachés au service public ; bien que l’idée n’en figure pas dans les textes, elle continue de justifier l’existence d’un important secteur public chargé de garantir la diversité des contenus, et d’accomplir un certain nombre de missions…
Dans un contexte marqué par la montée de la concurrence des opérateurs privés, les chaînes publiques ont d’autant plus de mal à trouver leurs marques qu’elles sont les héritières directes d’entités organisées et dimensionnées pour un espace protégé ; ce qu’il n’est plus. La valse de leurs dirigeants, des moyens financiers notoirement insuffisants, des missions non adaptées au regard de la concurrence nouvelle, les laissent au milieu du gué, sans que l’État et le Parlement en soient tenus pour seuls responsables. Mais les téléspectateurs en font les frais.
En définitive, les effets sont politiquement, culturellement et socialement néfastes : la politique audiovisuelle de la France a, depuis longtemps, péché par manque d’ambition et de véritable générosité et, par conséquent, de lucidité.