En 1984, après trois années de crise, le projet de grand service public unifié et laïque est abandonné. Le gouvernement de Laurent Fabius réussit à apaiser les esprits. Le nouveau ministre de l’Education nationale, Jean-Pierre Chevènement parvient à instaurer un équilibre nouveau entre l’enseignement public et l’enseignement privé, quand bien même les deux camps en présence continuent à se surveiller. Le moindre incident peut encore raviver les passions.
En 1991, l’UNAPEL prend l’initiative de rompre ce fragile équilibre. Elle réclame des moyens supplémentaires pour l’enseignement privé et donc la modification de la loi Falloux. Celle-ci, qui date de 1850, interdit à l’Etat (et par extension aux collectivités locales) de financer plus de 10% des investissements des bâtiments scolaires. Dans l’entourage du Premier ministre, Michel Rocard, quelques-uns pensent que le moment est venu de se montrer conciliant avec les milieux catholiques afin d’élargir les soutiens au gouvernement. Ils font savoir que le Premier ministre est ouvert aux demandes de l’UNAPEL et serait disposé à procéder à la révision de cette loi et le font savoir aux collaborateurs de François Mitterrand. Celui-ci, alerté le 14 mars par une note, fait aussitôt connaître sa ferme opposition à toute initiative en ce domaine.
Le 9 juillet, le président de l’UNAPEL, écrit au Président de la république pour lui demander que soit entamée une concertation dont l’objectif final serait la révision du dispositif réglementaire et législatif. Il annonce que ce courrier est l’ultime démarche avant des actions plus fermes. Il est clair que si le Président cédait à cette réclamation, les laïques qui ne sont pas satisfaits du statu quo imposé depuis 1984 se mobiliseraient fortement pour s’y opposer. Au mois de septembre, le président de l’UNAPEL adresse à ses adhérents une lettre dans laquelle il affirme que «le gouvernement tente de marginaliser et même d’étouffer l’enseignement privé sous contrat ». Il annonce que l’UNAPEL va se lancer dans un certain nombre d’actions et appelle les parents à les soutenir. Puis, le 9 septembre, il écrit à nouveau à François Mitterrand pour lui dire qu’il attend que le gouvernement donne davantage de moyens à l’enseignement privé, faute de quoi, estimant que c’est la liberté de l’enseignement qui est menacée, il appellera les parents d’élèves à se mobiliser.
Le 20 septembre, François Mitterrand répond par un courrier qui vise à l’apaisement. S’il ne répond pas de façon positive aux demandes formulées, il annonce l’ouverture de négociations entre le ministre de l’Education nationale et l’enseignement privé pour traiter d’un autre problème, un contentieux posé par le montant de quelques crédits attribués au privé sous la rubrique « forfait d’externat ». En retour, l’UNAPEL entame une campagne de pétitions. Au mois de novembre, des milliers de ces pétitions sont adressées à l’Elysée.
A la fin de l’année, commence la négociation annoncée sur le forfait d’externat. Le grief de l’enseignement privé repose sur la revalorisation insuffisante de ce financement. Saisi, le Conseil d’Etat a condamné l’Etat à payer le retard de revalorisation. Selon les responsables du privé, cette dette s’élève à 6 milliards de francs. Le ministre de l’Education nationale, Lionel Jospin, faute d’estimation « sérieuse » conteste ce montant. Plusieurs semaines de négociations, permettent d’arriver à un compromis dont le négociateur de l’enseignement privé, le père Cloupet, semble se satisfaire. Le montant de la dette est fixé à 1,8 milliards de francs. En échange l’Etat prendra en charge le financement de la formation des professeurs du privé et le salaire des directeurs d’école et des documentalistes. En avril 1992, un protocole est sur le point d’être signé mais le père Cloupet recule. Pendant tout ce temps, l’UNAPEL persiste à réclamer l’abrogation de la loi Falloux. Le gouvernement envisage, en dépit de la dérobade du négociateur, de faire voter une loi attribuant les 1,8 milliards de francs prévus, pour solde de tous comptes. Les plus extrémistes dans le camp catholique accusent le gouvernement de chercher à « s’auto amnistier » de sa dette. En cette période, ce mot a une bien mauvaise résonance dans l’opinion publique.
François Mitterrand pressent que le débat parlementaire risque d’être des plus houleux. Il demande au nouveau Premier ministre, Pierre Bérégovoy, de se montrer vigilant. Le ministre de l’Education nationale, Jack Lang fait savoir au Président de la République qu’il serait disposé à traiter d’une révision de la loi Falloux. Celui-ci, souhaitant ne pas réveiller la guerre scolaire, le lui refuse.
Faute de se faire entendre par la gauche, l’UNAPEL se tourne alors vers la droite. Le RPR et l’UDF acceptent d’inscrire la révision de cette loi dans leur programme pour les élections législatives de 1993.
En mars 1993 , commence une nouvelle cohabitation. Le ministre de l’Education, François Bayrou, prépare aussitôt un projet de loi qui est rapidement soumis à l’Assemblée. D’amendements en amendements, le débat s’éternise au point qu’il ne reste plus de temps pour que le projet soit soumis au Sénat, sauf en session extraordinaire. Or l’ordre du jour dépend du Président de la République qui refuse au gouvernement cette facilité.
C’est le moment que choisit le CNAL pour annoncer alors une grande manifestation pour le mois d’octobre. François Bayrou semble hésiter : il confie à une commission le soin d’évaluer le dossier. Le CNAL annule donc sa manifestation. La gauche pense que celui-ci est, au moins provisoirement, abandonné. Le 14 décembre, coup de tonnerre. Le Premier ministre, Edouard Balladur, le fait inscrire à l’ordre du jour du Sénat dans la matinée pour un débat dans l’après-midi.
Le PS décide de soumettre la loi votée au Conseil Constitutionnel. Le CNAL et les syndicats enseignants appellent à la grève dans les établissements scolaires pour le 17 décembre. Des manifestations ont lieu dans tout le pays.
Le 17 décembre, François Mitterrand recevant une délégation d’enseignants en présence de la presse, leur dit son désaccord avec cette loi, dans la mesure où elle autorisera les collectivités locales à accorder ou non des crédits en fonction de convictions politiques ou spirituelles. Cette prise de position rassénére un peu la gauche tandis qu’elle exaspère la droite.
Début janvier, le Conseil Constitutionnel rend son arrêt : l’autorisation que donne l’article 2 de la loi aux collectivités territoriales de financer ce qu’elles veulent, n’offre pas les garanties d’égalité indispensables et n’est donc pas constitutionnelle. A ce point, deux solutions s’offrent à François Mitterrand : promulguer la loi amputée de cet article 2 qui contient pour l’essentiel les intentions du législateur ou demander au Parlement une seconde lecture qui donnerait à la droite la possibilité d’une réécriture tenant compte des remarques du Conseil Constitutionnel. Il en serait fait alors de la loi Falloux, ce qui aurait pour effet certain de rallumer la guerre scolaire. Il choisit donc d’apposer sa signature sur ce qu’il qualifie en aparté de « loi-moignon ».