C’est peu de dire que l’ingérence du général De Gaulle dans la politique intérieure du Canada a marqué de façon négative, pour une longue période, les relations entre Paris et Ottawa.
C’est le 24 juillet 1967, qu’en visite officielle au Canada, le général De Gaulle lance depuis l’hôtel de ville de Montréal un vibrant « Vive le Québec libre! » qui provoque l’enthousiasme des Montréalais massés devant le chef de l’Etat français. Cette proclamation résonne alors comme un encouragement aux revendications des indépendantistes. Le gouvernement fédéral d’Ottawa est profondément choqué et le général De Gaulle doit immédiatement interrompre son voyage et rentrer en France.
A partir de cet incident, s’installe entre Paris et Ottawa une méfiance durable. Bien que François Mitterrand ait immédiatement donné à l’époque une conférence de presse pour condamner avec fermeté cette incartade, il n’est pas complètement épargné par ce sentiment désormais ancré dans de larges pans de l’opinion publique canadienne et chez nombre de dirigeants de ce pays.
C’est ainsi que, plus de dix années plus tard, le 2 novembre 1978, à Dorval, lors d’une visite qu’il effectue au Canada en tant que Premier Secrétaire du Parti socialiste, il est mis sur la sellette avec une insistance agressive par quelques uns des journalistes présents à sa conférence de presse. L’inquiétude de ceux qui le questionnent est avivée par le fait qu’il représente les socialistes français dans la mesure où ceux-ci soutiennent les revendications nationales des peuples opprimés. « Je représente un parti socialiste qui se déclare partisan des droits nationaux des peuples opprimés », précise alors François Mitterrand avant d’ajouter : « Je pense au Chili, je pense à l’Argentine, je pense à l’Uruguay, je pense à la Bolivie. (…) Si de mes propos vous avez tiré quelque comparaison que ce soit quant à l’oppression dictatoriale avec la situation du Québec, ce serait un jeu de mots de votre part. Il n’y a pas à nos yeux de dictature du pouvoir fédéral sur le Québec. » Et de développer pour ceux qui pensent, autant que pour ceux qui feignent de croire que le Premier secrétaire s’inscrit ou pourrait faire sienne à son tour quelque démarche d’ingérence, il poursuit : « Il y a simplement l’affirmation d’une communauté québecoise qui me semble ne plus se satisfaire, si j’en juge par ce que j’ai entendu d’une façon générale, des formes institutionnelles dans lesquelles elle vit, qui estime que les temps ont changé et que l’affirmation de ce peuple du Québec justifierait une discussion de fond avec les autorités fédérales. (…) Mais ça, c’est de la responsabilité des dirigeants québecois…»
Le premier septennat de François Mitterrand commence sans que les escarmouches aient vraiment jamais cessé.
Dans l’ambiance qui prévalait jusqu’alors de mauvaises habitudes ont été prises que François Mitterrand déplore. Citons, pour illustration, l’interview donnée en juillet 1983 au journal québecois « La Presse » par un haut-fonctionnaire français, non-autorisé. Evoquant l’éventuelle victoire des indépendantistes au référendum sur le statut du Québec, celui-ci s’emporte au point de déclarer : « Avec une victoire au référendum, la France pourrait aller très loin dans son soutien politique, y compris jusqu’à la brouille diplomatique avec Ottawa. » Pierre Eliott Trudeau, Premier Ministre du gouvernement canadien est ulcéré. Il verse au dossier du contentieux franco-canadien cette déclaration immédiatement contredite par Paris.
Néanmoins des deux côtés de l’Atlantique, nombreux sont ceux qui s’emploient activement à calmer les esprits et à découvrir les voies d’une relance de la collaboration entre les deux pays. Il est clair que le volet économique ne peut guère servir de support à une initiative d’envergure, les échanges commerciaux entre les deux parties étant des plus infimes. C’est donc le domaine de la culture qui va permettre les premiers pas vers la décrispation souhaitée. C’est dans cet état d’esprit que Régis Debray, à cette époque conseiller du Président de la République, s’envole vers Ottawa (janvier 83) en réponse à une invitation de Pierre Eliott Trudeau. Au menu des conversations : la mise sur orbite de la francophonie. Ce premier contact étant fructueux, il reviendra, du côté français, à Frédérique Bredin et à Jean Musitelli de porter ce projet difficile jusque sur les fonts baptismaux.
Le dialogue se renoue peu à peu. Les relations à l’intérieur du triangle Paris-Ottawa-Québec finissent par trouver un nouvel équilibre. Mais il faudra attendre l’arrivée à la tête du gouvernement fédéral de Brian Mulroney pour que l’apaisement souhaité devienne effectif. La mise en place du premier sommet de la francophonie, à Paris, en février 1986, joue un rôle de puissant catalyseur. Réunir le Canada et le Québec représentait alors une gageure susceptible à tout instant de faire échouer ce projet. Il faudra tout le doigté et l’énergie de Brian Mulroney pour que soient surmontés les nombreux obstacles rencontrés en chemin.
« Je mène une politique de réconciliation nationale, déclare celui-ci. La francophonie était perçue depuis vingt ans dans certains endroits du Canada comme un élément de discorde.(…) Elle a maintenant des chances de devenir un instrument productif pour tout le Canada, anglais et français .Cette première réunion remporte un vif succès. Dès lors les relations entre les deux Etats prennent un tour des plus positifs.Au mois de mai 1987, François Mitterrand effectue un voyage officiel au Canada. Lors de son discours au Parlement, à Ottawa, il met surtout l’accent sur l’aide au Tiers-monde, thème sur lequel les deux pays, membres du G7, se retrouveront désormais étroitement liés. Le lendemain, à Québec, il prononce un discours devant le monument à Jacques Cartier. Son passage dans la capitale de la « Belle Province » lui donne l’occasion d’insister sur ce qui inspire son action : « Ce n’est pas à nous de définir les structures de l’Etat fédéral canadien. »
Les nuages dans le ciel franco-canadien sont devenus rares, mais il en surgit parfois encore. C’est ainsi qu’à la fin de 1987, le dossier de la pêche s’envenime. La discorde vient d’une différence d’appréciation des quotas à accorder aux pêcheurs de Sain-Pierre-et-Miquelon. L’affaire évolue mal. L’impasse devient totale dans le courant de 1988. Un navire canadien est même arraisonné par la marine française. Il faudra toute la qualité des relations personnelles qui se sont nouées entre François Mitterrand et Brian Mulroney pour que cette crise trouve enfin son issue. Entre les deux hommes le dialogue est permanent et approfondi, en particulier en amont de chaque sommet du G7. (Voir pages 4 et 5).
Le 13 mai 1993, Brian Mulroney annonce à François Mitterrand au cours d’un déjeuner à Paris qu’il a décidé de quitter ses fonctions. Ce qu’il fait dès le mois de juin suivant. Une page exceptionnelle des relations franco-canadiennes est alors tournée.