Militant au PS depuis 1977, j’avais de Pierre Bérégovoy l’image d’un homme de l’ombre dans l’appareil, de ceux qui dans la discrétion faisaient sans doute tourner la machine. Je le savais proche de François Mitterrand. Mais de l’Allier où je vivais et où il n’était venu qu’une fois remplacer au pied levé François Mitterrand pour une réunion publique, j’avais l’image d’un homme qui ne semblait pas rire tous les jours et dont la réputation était d’abord son acharnement au travail et une rigueur sans pareille. (…)
Nous sommes en 1982. Pierre Bérégovoy est déjà ministre. Il s’apprête pour l’élection municipale de Clichy en 1983. François Mitterrand a quitté la Nièvre depuis plus d’un an. Les socialistes nivernais sont un peu orphelins. Et Nevers ne va pas très bien. Daniel Benoist qui a conquis cette ville contre la droite en 1971 n’en finit pas de ressasser ses rancœurs à l’égard du Président. Celles qu’il a accumulées au fil des années, lorsque la SFIO locale combattait avec des mots très durs le Maire de Château-Chinon qui avait également eu l’audace de lui souffler, en 1964, la présidence du Conseil général.
Et qui plus est, le premier adjoint de Daniel Benoist est un fidèle parmi les fidèles de François Mitterrand, Michel Girand. Les deux hommes ne se portent pas particulièrement d’affection. (…) Les clans s’organisent. Il faut pourtant songer aux municipales de 83 qui vont être difficiles pour le pouvoir en place. (…)
C’est vers Pierre Bérégovoy que le Président tourne une nouvelle fois son regard. Une nouvelle terre de mission se présente à lui. Convaincre Daniel Benoist de laisser sa place s’avère une mission difficile. Le Président qui le connaît bien n’ignore rien de l’aspiration de ce dernier à rentrer dans un gouvernement. Ce sera Nevers contre un marocain.
L’affaire semble conclue. Daniel Benoist accepte sans réserve d’être une nouvelle fois tête de liste et d’emmener Pierre Bérégovoy dans son sillage. Un sondage, pourtant, indique que Pierre Bérégovoy, tête de liste aurait réalisé un score un peu meilleur. C’est sans compter sur la personnalité du bon Docteur. Il a pris l’engagement de laisser la mairie quelques mois plus tard. Les doutes subsisteront jusqu’au dernier moment quant à sa capacité à tenir promesse. Il le fera pourtant et Pierre Bérégovoy lui en sera sans doute un peu trop reconnaissant.
La bataille des municipales s’engage. Elle est dure. La droite a parachuté de Charrette. Énarque, beau-parleur, arrogant.
Les communistes retiennent leurs voix pour ménager quelques accords de second tour à Varennes-Vauzelles, commune voisine de Nevers qu’ils détiennent depuis la guerre et où les socialistes ont fait liste à part et à Montluçon où l’union à gauche n’a pu se faire dès le premier tour.
Pour la première fois, la victoire échappe à la gauche au premier tour. Daniel Benoist en fait porter discrètement la responsabilité au parachutage de Pierre Bérégovoy et à la manœuvre élyséenne. Le second tour est serré. Le PC est revenu et la liste l’emporte aux alentours de 52%. L’entre-deux tours a mobilisé toutes les énergies. Pierre Bérégovoy devient maire en septembre et les weekends aux emplois du temps chargés et surchargés s’organisent.
1984 : Laurent Fabius devient premier ministre. Pierre Bérégovoy est ministre des Finances. La charge s’alourdit et pourtant il faut poursuivre l’implantation dans la Nièvre.
Entre-temps, Daniel Benoist a dû quitter le gouvernement. Son passage y aura été de courte durée. Il en conçoit une rancœur et une amertume farouche à l’égard du Président qu’il n’a jamais aimé et considère qu’il a été floué. Il le dit à qui veut l’entendre. Il n’aurait jamais dû laisser sa ville pour un modeste secrétariat d’état. Il va donc retourner sa vengeance non contre le Président qui est difficile à atteindre mais contre Pierre Bérégovoy qu’il a à portée de main lui reprochant de ne pas l’avoir suffisamment soutenu. Cette vengeance sera différée de quelques mois et attendra les élections cantonales de 1985, il sait que Pierre Bérégovoy songe à se présenter. Daniel Benoist est alors toujours conseiller général d’un vaste canton comprenant Nevers et une dizaine de communes rurales dont certaines très proches de Nevers. (…)
Quelques jours avant le premier tour, Pierre Bérégovoy a fait effectuer un sondage qui le donne vainqueur face au candidat UDF. Mais l’orage ne s’est pas encore abattu. La CGT déclenche une grève dans l’une des plus mythiques entreprises de la ville et envahit une séance du Conseil Municipal de Nevers.
La droite fait venir les poids lourds dans la campagne. Raymond Barre vient défier le ministre des Finances sur ses terres.
Au soir du premier tour, Pierre Bérégovoy est en tête devant le candidat UDF. Le sondage avait vu juste. Mais le piège va se refermer. Le candidat de droite arrivé en deuxième se retire au profit du candidat divers gauche arrivé en troisième position. Le PC fait le service minimum pour ne pas dire plus.
Nouveau sondage d’entre-deux tours dans l’urgence. Pierre Bérégovoy y est donné gagnant à 51-49. La panique qui s’ installe.
Comme pour les municipales de 1983 toutes les forces sont jetées dans la bataille. Les arguments les plus fallacieux font mouche dans la commune voisine où les habitants sont menacés de payer les impôts de Nevers, si Pierre Bérégovoy est élu, alors qu’ils sont justement allés habiter en dehors de la ville pour échapper à la fiscalité du chef-lieu. Les amis de Benoist sont surpris à coller et distribuer des tracts et des affiches. L’un d’eux, conseiller municipal de Nevers et gaulliste dit de gauche a pris publiquement position pour le maire de St Eloi.
Pierre Bérégovoy sent qu’une nouvelle fois le sort s’acharne. Il n’a jamais été élu sur son nom seul. Cela va-t-il échouer une fois encore ? Il a 60 ans, il sait qu’il joue sa place au gouvernement et que l’Elysée observe. (…)
Le jour du second tour est arrivé. Pierre Bérégovoy passe la journée en famille. (…) Il paraît que le résultat officiel fut de 5 voix d’écart.
Jamais plus il n’échouera dans un combat électoral.
1986 : il est candidat tête de liste aux élections législatives à la proportionnelle départementale. Il a conquis la Nièvre socialiste. Personne ne s’y opposera même si nous savons que nous n’aurons plus que 2 députés sur 3. La concomitance des élections régionales permet d’offrir d’autres responsabilités à d’autres camarades notamment à Eugène Tesseire qui fut quelques temps député en remplacement de Daniel Benoist devenu Secrétaire d’état. (…)
Mais le sillon était désormais creusé. Plus rien n’arrêterait la marche de Pierre Bérégovoy et son emprise politique sur la Nièvre.
Fin 1986, le président du Conseil Général qui avait succédé à François Mitterrand en 1981 meurt. François Mitterrand suggère à Pierre Bérégovoy d’en être le successeur. Il refusera poliment et aidera Bernard Bardin à s’installer à la tête du Conseil Général afin disait-il de partager les responsabilités.
1988 : Les législatives sont un jeu d’enfant. Tête de liste aux municipales à Nevers en 1989, il l’emporte dès le premier tour, face au fameux candidat UDF qui l’avait mis en difficulté aux cantonales de 85. (…)
Arrive 1993 et la déroute annoncée. Il est le seul élu socialiste de la Nièvre. Au premier tour, il sera même à égalité à la voix près avec le candidat de droite dans la première circonscription. La suite, hélas, nous est connue.