Nous vivons un moment exceptionnel de l’histoire de la mondialisation ultra libérale qui a échappé, dérèglementation aidant, à ses promoteurs. Ironie de l’histoire, en cette fin d’année, les dérégulateurs occidentaux apprentis sorciers n’entrevoient soudain de salut que dans des interventions massives des États qu’ils discréditaient encore hier, tout en maintenant des ambigüités qui font douter de leur capacité à corriger le système.
Cela ne nous fera pas oublier les quolibets méprisants quand certains Socialistes s’inquiétaient des conséquences économiques et sociales de la déréglementation thatchero-reaganienne triomphante. Où sont aujourd’hui ceux qui affectaient de voir dans ce débat l’éternelle résistance des anciens contre des modernes, des frileux contre les audacieux ? Modernes, les tenants d’une financiarisation illimitée de l’économie ? Ceux qui refusaient d’adhérer au protocole de Kyoto ou qui voyaient dans le « consensus de Washington » imposé par le FMI, l’alpha et l’oméga du progrès économique et social ? Anciens ceux qui parlaient de règles et du rôle de l’Etat ?
En dépit de leurs proclamations, il ne faut pas trop compter sur ces dérégulateurs récemment convertis à un interventionnisme de circonstance pour mettre en œuvre les réformes indispensables dans une économie désarticulée. À les écouter, il est clair qu’ils espèrent que la crise ne sera qu’un accident, un cycle parmi d’autres. Elle serait « naturelle » et renverrait à des lois qu’il serait dangereux de trop remettre en cause. Pendant ce temps là, le bilan s’alourdit et les perspectives 2009 s’assombrissent encore. Travailleurs pauvres, classes moyennes menacées, salariés et retraités malmenés, remontée massive du chômage, précarité accrue, voilà le bilan d’un capitalisme et d’une économie de marché dérégulés à outrance, de l’économie « casino ».
Soyons sûrs que les forces de dérégulation n’ont pas désarmé. Au sein du nouveau G20 –- innovation bienvenue –- ou ailleurs, la bataille de la régulation sera rude.
Le silence des Socialistes européens sur ces dérèglements commençait à être étonnant, alors que leur légitimité pour les dénoncer et faire des propositions, est grande. Il est donc heureux que le 1er décembre, à Madrid, les partis socialistes, sociaux-démocrates et travaillistes aient adopté leur Manifeste pour les prochaines élections européennes, et que ce texte traite des principaux défis du moment. Ils y affichent leur volonté de mettre en œuvre une stratégie européenne de croissance verte et « intelligente » génératrice de nouveaux emplois, d’imposer aux marchés financiers, à tous les acteurs financiers, y compris les fonds spéculatifs et de capital d’investissement, comme aux agences et aux organismes de supervision, une nouvelle réglementation. De promouvoir un pacte européen sur les salaires pour que soient garantis des salaires minimaux décents dans tous les États membres, etc.
Après avoir eu du mal à choisir entre Martine Aubry, qui fut ministre de François Mitterrand, et Ségolène Royal, qui le fut également, le parti socialiste français est très attendu évidemment sur la crise immédiate, mais plus profondément sur la redéfinition de l’ambition politique et du volontarisme dans une économie de marché globale (re-régulée), et dans le cadre européen. Afin de contribuer à cette réflexion et à cette reconstruction, la Lettre, qui s’emploie à maintenir vivante la connaissance de la pensée et de l’action de François Mitterrand, donnera la parole dans ses prochains numéros à un certain nombre de personnalités sur ce que devrait faire le Parti Socialiste pour se remettre en position de jouer à nouveau pleinement son rôle.