Il serait fastidieux, tant ils sont nombreux, de citer tous les articles de quotidiens ou d’hebdomadaires qui font régulièrement référence à l’action ou à la personne de François Mitterrand. Brèves citations ou analyses plus fouillées telle que celle du chercheur Patrick Garcia publiée le 21 mars dernier dans « Le Monde 2 » et consacrée aux « Présidents de la République face à l’histoire ».
L’auteur rappelle qu’en matière de communication, François Mitterrand avait « ouvert la voie, que ce soit en se rendant seul dans la crypte du Panthéon au lendemain de son élection en 1981, ou encore en tenant la main d’Helmut Kohl de façon spectaculaire à Verdun en 1984. »
Le Président et l’Histoire
Soulignant que le Président est aussi en devoir de délivrer une parole d’autorité sur l’Histoire, l’auteur revient sur un intéressant épisode :
« Au moment des cérémonies du bicentenaire de la Révolution française, François Mitterrand a clairement choisi son camp. A contre-pied des analyses de François Furet sur “l’achèvement” de la Révolution, reprises par son premier ministre Michel Rocard dans le but de promouvoir une culture politique du compromis contre une culture de conflictualité, il fit le choix de s’inscrire dans une autre tradition, née de la synthèse entre l’historiographie républicaine et la lecture économique et sociale défendue à l’époque par l’historien Michel Vovelle. »
L’étude se termine par une longue citation du discours prononcé à Versailles, le 20 juin 1989, dans le cadre du bicentenaire de la Révolution et qui est aussi une leçon d’Histoire :
« Un peuple sans mémoire n’est pas un peuple libre. Les dictatures commencent par effacer de l’histoire les faits qui les encombrent, par barrer l’accès au passé et, se croyant maîtresses des voies de l’avenir, musellent toute pensée, toute parole rebelles. Souvenez-vous.Chaque fois que l’on a chez nous voulu brouiller la trace de la Révolution, les libertés ont été menacées (…) De l’aventure collective de 1789, nous n’avons pas à gommer les aspérités, à retrancher ce qui pourrait nous déplaire, à ne retenir que ce qui nous convient. Nous n’aurions rien à y gagner. Qu’on en débatte vivement, tant mieux, c’est un signe de vitalité de notre démocratie, la preuve que la Révolution n’est pas un objet inerte, que les questions posées n’ont rien perdu de leur modernité. Mais s’il y a débat, et il y a débat -et sur quel ton, comme si à distance les adversaires de la Révolution avaient repris espoir- occupons la place qui nous revient, celle d’héritiers fidèles et fiers, déployons le drapeau et donnons à la République l’élan auquel aspire notre peuple. »
Plusieurs livres récents font également une large place à François Mitterrand. Soit de façon indirecte comme l’ouvrage de Cyril Auffret, « Le Conseiller », consacré à Jacques Attali où reviennent plusieurs épisodes de la collaboration de celui-ci avec le Président. Soit de façon plus directe comme c’est le cas de deux livres de mémoires : « Autobiographie non autorisée » de Jacques Séguéla (Plon) et « Demain comme hier» de Jack Lang (Fayard).
Les surprises de Séguéla
Jacques Séguéla raconte sa première rencontre avec François Mitterrand, rue de Bièvre, en 1977, déjà dans la perspective de l’élection présidentielle de 1981:
« Je m’attendais à un appartement bourgeois et pomponné comme la rive gauche les cultive. Je découvris un hôtel particulier lilliputien décoré de façon loft new-yorkais. Meuble de Saarinen dans des murs XVIIIe, c’était le programme commun du contemporain et de l’ancien. J’eus un premier réflexe sectaire: ainsi le pape de la gauche vivait dans le décor raffiné et design d’un manager de droite. Pauvre de moi. Je ne connaissais encore rien de la modernité de cet homme. Le bureau était au troisième sous les combles, poutres apparentes, crépi blanc, chien assis et montagne de livres. La tanière mitterrandienne tranchait sur les pièces de réception: on se serait cru dans les combles d’une maison de campagne d’académicien.
Sans un mot, sans un geste, le futur président me sonda du regard. Ce silence me glaça. D’ordinaire, les êtres ne s’expriment jamais aussi intensément que lorsqu’ils se taisent. Notre physique traduit notre psychique. Pas chez lui. Son esprit attirait, son attitude déconcentrait. Toute l’étrangeté du personnage venait de cette vivacité de la pensée dans un corps enclin à l’immobilisme. »
Nouvelle rencontre trois ans plus tard, en juillet 1980.
« Première surprise, François Mitterrand fut à l’heure. J’avais tellement été prévenu de ses retards légendaires que je fus presque pris de court. Je le trouvai beau, d’une beauté sculptée de l’intérieur. Où était cette figure de cire qu’affichaient les gazettes? Et où se cachait sa froideur qu’elles caricaturaient à plaisir? Trois années s’étaient écoulées et l’âge le rajeunissait. A moins que ce ne soit le feu de l’âme qui lui brûlait les veines: la volonté de s’engager, pour la troisième fois, dans ce duel suprême, dont ni le vainqueur, ni le vaincu ne sortent indemnes. »
Encore une notation à l’occasion d’un dîner à l’Elysée avec le Dalaï Lama. Comme celui-ci dénonçait l’oppression de la vérité que fait règner l’ordre chinois, Séguéla entendit cette réponse de François Mitterrand: « Vous avez raison. Je m’enorgueillis depuis que je suis dans cette maison de ne pas avoir commis un seul abus de pouvoir. J’ai libéré tous les moyens d’information. Jamais la télévision, la radio, la presse n’ont été aussi libres. Peut-être ne le seront-elles jamais autant. »
Habité par la fonction
Dans son livre d’entretien avec Jean-Michel Helvig, Jack Lang parle abondamment de François Mitterrand.
D’abord sa première visite à Latche en août 1978:
« Ce qui me frappe, c’est la simplicité des lieux et l’accueil. Un cadre d’une élégance sobre. C’est loin d’être la grande propriété que la presse de droite a parfois décrite. Nous sommes logés, ma femme et moi, dans une chambre minuscule où nous aurons beaucoup de peine à dormir, assailis toute la nuit par des hordes de moustiques. Le lendemain, il m’entraîne dans une promenade où il me raconte les arbres. J’aime beaucoup sa manière de les caresser, comme s’il touchait des êtres vivants. Il a une main très physique, sensuelle, comme un paysan qui palpe un animal. »
Ensuite, cette impression lorsque François Mitterrand est devenu Président de la République:
« Cela peut paraître paradoxal. Je trouve qu’il s’humanise. Il n’est plus obligé de mener cette vie de chien qui a été la sienne comme chef de parti souvent contesté, et comme un candidat arrachant son élection après deux campagnes sans succès. C’est une libération. Bien sûr, il est habité par la fonction, mais il l’était déjà avant. Le voilà qui respire, qui prend un peu plus son temps. J’ai avec lui des rapports plus aisés, plus directs. Il organise mieux sa vie. Mitterrand respecte la fonction du Premier ministre. En dehors de quelques sujets bien précis – les relations internationales et l’Europe, mais aussi les nationalisations, les premières grandes mesures sociales -, il fait confiance à Robert Badinter pour l’abolition de la peine de mort, ou à moi-même pour mener une politique de la culture. Il m’apparaît plus disponible, plus accessible. »
Et encore cette réponse à la campagne de presse qui avait été menée sur la présence de François Mitterrand à Vichy :
« Il n’a jamais été un fonctionnaire de Vichy. Après son retour des stalags d’Allemagne, il s’est engagé dans une association de prisonniers et, à ce titre, il a dû frapper aux portes des administrations de l’époque. Il a été un héros de la Résistance. Marguerite Duras m’a dit un jour qu’elle n’avait jamais rencontré un homme d’un tel courage physique. A-t-on alors interrogé tous ceux qui l’ont connu -gens simples pour la plupart- et qui auraient pu se porter garants de son comportement exemplaire durant la guerre -même si l’on peut discutailler de la date, au mois près, de son entrée en Résistance? Pourquoi de Gaulle l’aurait-il nommé commissaire général aux Prisonniers à la Libération? »
Et à la question: que reste-t-il aujourd’hui du mitterrandisme ?
« Une nostalgie et une espérance. Les personnes qui lui sont liées étroitement se sont dispersées. Ce qui demeure, c’est un enthousiasme, une volonté de l’action, un attachement très fort à des valeurs avec lesquelles on ne transige pas. »
Je voudrais citer enfin la remarquable thèse que vient de soutenir notre ami Jean Battut, « Itinéraire militant d’un instituteur socialiste nivernais » dans laquelle il évoque longuement ses rencontres et sa collaboration avec François Mitterrand dans ce qui fut son département d’élection.