L’idée qu’il nous faille agir solidairement, au niveau international, pour protéger la planète est somme toute récente. Elle n’a guère plus de trente ans.
Dans les années soixante-dix, l’écologie politique en est encore à ses balbutiements. Les pays développés célèbrent leur industrie, les autres ne rêvent que d’avoir les moyens de se lancer enfin sur leurs traces. Si le premier choc pétrolier atténue quelque peu l’euphorie des « trente glorieuses », les experts autant que les dirigeants sont loin de tirer toutes les conséquences de cette crise qui est d’abord vécue comme étant économique. Ils sont peu nombreux ceux qui évoquent alors la pollution provoquée par l’utilisation sans frein de cette ressource énergétique et son impact sur le climat.
En France, la brève apparition de René Dumont, en 1974, sur la scène politique, le temps d’une campagne électorale, ne suscite que très peu d’intérêt. Celui-ci prône alors, pour l’essentiel, un contrôle démographique, des économies d’énergie, une coopération internationale en faveur des pays en voie de développement, la protection et la remédiation des sols. Soutenu par une myriade d’associations aux objectifs dispersés, il développe un discours alors inaudible et n’obtient que 1.32% des voix. Pour l’essentiel, l’opinion retient de son message qu’il est nécessaire de “protéger la nature”.
Si en 1971, la France se dote pour la première fois d’un ministère chargé de la protection de la nature et de l’environnement, celui-ci est sans grands moyens. Par la suite, les intitulés successifs de ce portefeuille révèle bien le flou dans lequel se situe l’action gouvernementale en la matière. A partir de 1974 se succèdent trois ministres de la “qualité de la vie”, bientôt remplacés par un ministre de la “culture et de l’environnement”. La confusion est la règle, l’expertise insuffisante, l’opinion publique peu informée des problèmes qui se profilent à l’horizon.
Il faut attendre 1981 pour qu’un ministère de l’environnement soit installé avec des compétences mieux précisées. Il est confié à Michel Crépeau, député-maire de La Rochelle, un des rares élus ayant fait de cette question un des points forts de son action au niveau local. Sa ville est alors une sorte de laboratoire de la lutte contre la pollution. Son passage à la tête de ce ministère est marqué par le lancement de la “loi littoral”, de la “loi montagne” et par l’organisation des premiers Etats-généraux de l’Environnement. Il entreprend également de modifier la procédure d’enquête publique.
C’est au cours de cette période que François Mitterrand affine sa perception de ce problème, de la gravité et de la nature des enjeux. Sa réflexion sur ce sujet est celle d’un humaniste. Partant du constat que les populations pauvres courent le risque d’être exclues du progrès global à cause de problèmes liés à la gestion de l’environnement, il entre dans ce combat en en faisant d’abord une question de justice.
En mai 1984, dans les Hautes Alpes, s’adressant aux associations européennes de protection de la nature, il s’élève contre “les calculs à court terme, reportant sur les générations futures la charge, démultipliée parce que tardive, des réparations et le fardeau des nuisances, qui pèsent presque toujours sur les plus pauvres.” A cette occasion, il pointe le besoin urgent de se doter de moyens de lutte contre la déforestation et réclame la mise en œuvre d’un plan pour les pays européens mais plus encore pour les pays du sud.
Le 5 octobre 1986, à Cannes, il prend la parole à l’ouverture du XIIIème congrès de la Conférence mondiale de l’Énergie pour dire, une fois encore, sa préoccupation quant aux déséquilibres qui ne cessent de s’aggraver du fait du jeu du marché entre les pays industrialisés : «Que dire d’un marché qui enregistre des transactions tout en ignorant la nécessité de renouveler les réserves ? Que dire d’un marché où les prix fluctuent au gré des émotions, des évènements, des spéculations quotidiennes ?»
Sa réflexion progresse à mesure que, de son côté, l’expertise se fait plus précise. La préoccupation environnementale devient un des grands thèmes de son action internationale.
En novembre 1988, par exemple, au cours d’un voyage à Moscou, il insiste auprès de Mikhaïl Gorbatchev sur la nécessité d’une coopération internationale en matière d’environnement. Il plaide que cette question ne peut être traitée dans le cadre des frontières et qu’on ne trouvera de solutions satisfaisantes qu’en dépassant les divisions de l’Europe. Il lui remet à cette occasion un projet de sauvegarde de la biosphère.
Au Conseil européen de Rhodes, le 3 décembre 1988, la question environnementale figure à l’ordre du jour. Dans ses conclusions, le Conseil affirme que la protection de l’environnement est vitale pour la Communauté comme pour le reste du monde et engage celle-ci et les États membres à prendre toutes les initiatives et toutes les mesures nécessaires, y compris sur le plan international. Il souligne l’importance particulière de la coopération dans ce domaine avec les autres pays en Europe aussi bien les pays de l’AELE que les pays en Europe de l’Est. A cette occasion, François Mitterrand annonce que la France financera les études qui permettront d’éviter les inondations qui ravagent le Bangladesh et de lutter contre la désertification du Sahel.
A la fin de cette même année, à l’occasion de ses vœux aux Français, François Mitterrand place la protection de l’environnement parmi les priorités de la présidence française de la Communauté européenne qui commence. Le 11 mars suivant, à La Haye, devant les représentants de vingt-quatre pays, il lance un appel dans lequel il affirme qu’étant donné le caractère planétaire du problème de nouveaux principes de droit deviennent nécessaires. Il réclame que soit mis en œuvre un mécanisme d’exécution plus efficace à partir de nouvelles autorités institutionnelles, soit par le renforcement d’institutions existantes soit par la création d’institutions nouvelles, sous la houlette des Nations Unies. C’est la première fois qu’un chef d’État évoque un transfert partiel de souveraineté nationale pour régler ce type de problème de la pollution.
Après La Haye, François Mitterrand va persévérer en portant le problème devant d’autres instances internationales. Le 6 mai, il écrit aux participants du G7 pour leur proposer que soit mise à leur ordre du jour une série de mesures environnementales concrètes. Il en donne une liste : développement d’un réseau mondial d’observatoires des émissions de gaz carbonique, actions pour la protection des forêts équatoriales, la lutte contre la désertification et les pluies acides, lancement de programmes de recherche pour le développement de «voitures propres».L’année suivante, les 8 et 9 décembre 1989, à Strasbourg, le Conseil enregistre l’accord unanime de ses membres sur les modalités de création, dès l’année suivante, de l’Agence européenne de l’environnement. Cette Agence, dont il est prévu qu’elle sera ouverte aux pays européens non membres de la CEE qui le souhaitent, marque une étape décisive vers une meilleure connaissance de l’état de l’environnement européen et permettra d’améliorer les stratégies de réponse aux problèmes qui se posent.
C’est sans doute dans le discours prononcé devant la Conférence de Rio-de-Janeiro sur l’environnement et le développement, le 13 juin 1992 qu’on découvre le mieux le point d’aboutissement de sa réflexion.
Ce jour-là, quatre-vingt-quatorze chefs d’État et de gouvernement et sept vice-présidents sont présents pour ce qui représente alors la plus importante réunion de dirigeants mondiaux dans l’histoire de la diplomatie internationale. Les pays industrialisés sont représentés au plus haut niveau avec, entre autres, George Bush, John Major, Helmut Kohl, François Mitterrand, Brian Mulroney. Mahathir bin Mohamad de Malaisie, Fidel Castro, de Cuba et P. V. Narasimha Rao de l’Inde se font les porte-parole des pays en voie de développement.
Devant cette assemblée exceptionnelle, François Mitterrand recommande tout d’abord que les moyens soient mis en œuvre pour parvenir à une meilleure connaissance de notre planète, «à commencer par la biosphère qui constitue un préalable», précise-t-il. Puis il insiste sur le fait qu’il est indispensable de «mieux cerner le rôle, ou la responsabilité des pays du Nord. (…) Qu’ils ont à s’interdire toutes atteintes à l’environnement des pays du Sud.»
Ensuite, il plaide pour un effort «planétaire» de solidarité, du Nord vers le Sud, qui devrait se traduire par des transferts massifs de technologies, l’objectif visé étant de permettre aux pays du Sud d’assurer «leur progrès économique et technique sans polluer comme l’ont fait les pays industrialisés dans le passé.»
Enfin, il donne rendez-vous aux États, à l’opinion publique et aux organisations non gouvernementales pour une évaluation des résultats obtenus sur les quatre points affichés dans l’Agenda 21.
Et de conclure en affirmant que «le nouvel ordre international sera celui qui saura combiner le désarmement, la sécurité, le développement et le respect de l’environnement. De cet impératif naîtra une éthique mondiale».