« Je suis arrivé comme étudiant à Paris. C’était un autre monde dont je faisais connaissance et j’avais encore beaucoup à apprendre. »1
François Mitterrand arrive à Paris en octobre 1934. Il y restera jusqu’à sa mobilisation, à l’été 1939. Les quatre premières années passées dans la capitale sont des années d’études. Il s’inscrit pour cela à la faculté de droit – cette éloquence qu’il a pu constater l’a sans doute convaincu d’être avocat – mais aussi en sciences politiques, preuve qu’il ne limitait pas ses ambitions. Quel portrait donner de François Mitterrand à cette époque ? Il faut insister sur son âge. Il n’a que dix-huit ans. François Mitterrand est un jeune bourgeois de province arrivant dans la capitale. Il se cherche. C’est ce dernier verbe qui revient le plus souvent dans la bouche de ceux qui l’ont connu à cette époque.
Où se cherche-t-il ? Cinq « directions » méritent d’être soulignées.
Arrivant à Paris, François Mitterrand ne perd pas toutes ses habitudes charentaises. En particulier, il continue de s’adonner à la marche à pied. Il sillonne ainsi Paris, parcourt ses rues, fréquente nombre de ses quartiers avec une prédilection, semble-t-il, pour le Quartier latin où il a ses habitudes. Cafés, théâtres, expositions, dancings, rencontres mondaines de toutes natures, tournois sportifs, font partie de ses activités. Le voilà vite amoureux de sa « très chère cité ».
Faut-il pour autant en faire un jeune dandy de la scène parisienne comme l’ont suggéré certains auteurs ? Ce serait forcer le trait et ignorer ce que pouvait être son emploi du temps. François Mitterrand suit en effet deux formations qui réclament tout de même du travail. Dans la mesure où ses résultats sont honorables, il faut convenir qu’il a consacré du temps à ses études. Il suit les cours – avec plus ou moins d’assiduité selon les matières – mais travaille beaucoup en bibliothèque ou à l’étude. Il décroche d’ailleurs ses diplômes – droit et Science Po – en 1937 et 1938 avec mentions et dans les premières places.
Le brillant étudiant n’en a pas – encore – perdu la foi. Il réside à l’époque dans un foyer d’étudiants catholiques de la rue de Vaugirard, le fameux « 104 », tenu par des pères maristes. On y pratique la retraite. On y célèbre la messe. Des conférences sur la foi y sont données. François Mitterrand participe à toutes ces activités, conformément aux préceptes familiaux. Il continue d’ailleurs d’entretenir une correspondance régulière avec les prêtres charentais qui l’ont éduqué et n’hésite pas à rechercher leurs conseils. Beaucoup de ses amis de l’époque sont marqués par leur vie religieuse. Ajoutons qu’il adhère, comme c’était le cas à Angoulême, à la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul. Chaque semaine, il accomplit ainsi un certain nombre d’œuvres sociales : visites aux pauvres, dons et récoltes d’habits ou de nourriture, etc. En 1936, il sera d’ailleurs désigné comme président de cette association. Pour qui cherche à cerner le jeune homme de l’époque, il est clair qu’il ne faut pas négliger ce catholicisme qui guide sa conduite en de nombreuses choses.
Autre piste à explorer, celle de l’engagement politique. Arrivant à Paris, François Mitterrand adhère quelque temps aux Volontaires nationaux, c’est-à-dire à la branche « jeunesse » de la ligue des Croix de feu du colonel La Rocque, l’un des plus puissants mouvements de la droite contestataire quoique républicaine de l’époque. On sait en réalité peu de chose sur cette adhésion politique. Elle paraît toutefois assez logique compte tenu du milieu d’origine du jeune homme et des orientations familiales. Le discours de La Rocque est empreint d’un réel patriotisme, fait sans cesse référence aux vertus du catholicisme social, prône l’ordre et la rigueur morale dans les affaires publiques, etc., et se tient volontairement éloigné de tout engagement politique purement électoraliste. Cette adhésion aux Croix de feu et les contacts de François Mitterrand avec l’entourage de La Rocque permettent de situer le jeune étudiant sur l’échiquier politique : il est à droite, sans aucun doute critique à l’égard de la iiie République tout en restant à l’écart des ligues fascistes ou royalistes – par ailleurs condamnées par l’Église catholique. C’est donc sans surprise que l’on trouve à partir de 1936 le nom François Mitterrand accolé à certains articles de L’Écho de Paris, organe de presse quasi officiel du mouvement de La Rocque.
Encore faut-il préciser – dernière piste – que sa signature apparaît au bas d’articles essentiellement littéraires (quelques-uns traitant de la vie étudiante et militante du Quartier latin). Les murs de la petite chambre du « 104 » sont en effet tapissés de livres. Lui qui a la chance de côtoyer l’écrivain François Mauriac, lui dont l’un des amis n’est autre que Claude Roy, vit alors sa vraie rencontre avec la littérature. Ses goûts sont évidemment ceux d’un jeune homme de sa condition et reflètent son engagement catholique et politique. Mais pas uniquement. Il lit des œuvres de toutes natures ; on pourrait même écrire de toutes obédiences. L’humanisme de la littérature lui permet d’assouvir cette curiosité insatiable qu’il semble avoir de la condition humaine. Et c’est sans doute cette curiosité qui l’entraîne, malgré son engagement à droite, dans quelques défilés du Front populaire et à certains meetings de ses leaders ; qui lui permet de se lier dès cette époque avec l’un de ses plus fidèles compagnons, Georges Dayan, jeune étudiant juif et socialiste. Cinq directions , cinq pistes. Le portrait resterait toutefois incomplet si l’on n’évoquait « Béatrice. » Elle a quinze ans en 1938. Mais elle est déjà belle. Très belle. François Mitterrand en tombe éperdument amoureux. « Elle » – celle qu’il appelle d’abord Béatrice puisqu’il ignore son nom –, c’est Marie-Louise Terrasse, qui deviendra plus tard, dans les années cinquante, Catherine Langeais, l’une des plus populaires speakerines de la télévision française. Pour elle, il écrit des poèmes. Pour elle, il court Paris. Entre les familles, on parle déjà de fiançailles.