Le Président de la République à Saint-André, 211-214 :
Le Président de la République à Saint-André (1988)
Martine Charrier. Les années 1988-1989 marquent une étape importante dans votre
carrière. Elles consacrent la réussite de votre action en matière de développement
économique local. C’est ce que montrent les Assises de Valence, le
22 septembre 1989, au cours desquelles Jean-Pierre Soisson, ministre du Travail,
de l’Emploi et de la Formation professionnelle dans le gouvernement
Rocard, cite en exemple la MDE1 parmi les initiatives, qu’il entend promouvoir.
Mais ce qui frappe surtout, c’est la confirmation de votre rôle politique :
le 12 janvier 1988, François Mitterrand, Président de la République, se rend
à nouveau à Saint-André. Et, un peu plus tard, vous menez campagne en vue
d’une double réélection : en mars 1989, pour un troisième mandat municipal,
et en septembre pour un second mandat au Sénat. Une année bien remplie, et
qui vous assoit pour longtemps dans un paysage local de plus en plus dominé
par l’affrontement entre le Conseil général et la mairie de Montpellier. Vous
maintenez à ce sujet une attitude prudente : partenariat raisonné avec l’assemblée
des conseillers généraux, dont vous ne faites pas partie, et rapprochement
avec Gérard Saumade ; en revanche, distance affichée, mais pas confrontation,
avec Georges Frêche, une sorte de paix armée, en somme. Cette
situation n’est pas facile à vivre, et elle aurait pu être fatale, si, dégagé désormais
de toute responsabilité à la direction du PS, vous n’aviez entrepris
depuis quelque temps d’accroître votre poids politique, en devenant le sénateur
du péri-urbain et, surtout, du rural. À longueur de mois, période estivale
comprise, vous sillonnez villes moyennes, gros bourgs et petits villages, à l’invitation
des maires, heureux de voir reconnues leurs réalisations par la présence
inhabituelle d’un sénateur. Vous vous rendez aux inaugurations, vous
visitez des chantiers en compagnie des élus, vous vous faites l’avocat des dossiers
auprès du corps préfectoral et des différents ministères. Nombre de communes
font appel à vous pour une discrète intervention en vue d’un financement.
Et vous répondez à ces demandes, indépendamment des étiquettes politiques,
mais après avoir évalué le dossier. Vous acquérez ainsi progressivement
une réputation de sérieux, au niveau départemental, et une crédibilité
nationale, qui fait de vous l’interlocuteur des gouvernements, quelle que soit
leur orientation. Cette image-là, vous l’avez construite au prix d’un travail de
terrain incessant, qui se double de vos interventions dans les débats du Sénat.
Gérard Delfau. La visite du Président de la République, début 1988, a une histoire
que je peux raconter aujourd’hui. Elle avait failli avoir lieu lors d’un précédent
voyage dans l’Hérault, en juin 1985. Cela ne s’était pas fait, sous la pression
1 Jean-Pierre Soisson veut privilégier le développement local (cf. Partenaires pour l’emploi,
juin 1989), et il lance à Valence des Rencontres interrégionales, sur ce thème. La MDE figure
en bonne place, cf. Midi Libre, 25 septembre 1989. Déjà le 8 juin 1989, sous le titre « Saint-
André-de-Sangonis, ambassadeur de la région », Midi Libre, a fait le récit de la visite d’Alain
de Romefort, chargé d’évaluer pour le ministère « les principales clés de la réussite de la Maison
des entreprises et de la zone d’activités afférente ».
212 5. Le Président de la République à Saint-André
de Robert Capdeville, homme fort du PS de l’Aude et président du Conseil
régional. Un personnage au caractère difficile, et qui sans doute voyait en moi
un éventuel concurrent2. Cette fois, François Mitterrand répond à l’invitation
de Gérard Saumade, qui veut lui présenter le nouvel Hôtel du Département,
un bel équipement. Il a prévu, ensuite, de se rendre à Castelnau-le-Lez, où
Jean-Pierre Grand, maire RPR, mais personnalité indépendante, le reçoit devant
un public attentif. Là, se termine la partie officielle de cette journée. Il
faut noter qu’au cours de ce programme la ville de Montpellier a été soigneusement
contournée… Alors commence la partie privée de la visite : Gignac et
Saint-André. D’abord un déjeuner dans un restaurant3 réputé, à Gignac, à l’invitation
de Gilbert Sénès, député et maire de ce chef-lieu de canton. Le repas
se prolonge par une promenade au bord de l’Hérault.
MC. Et, pendant ce temps, c’est l’attente, fébrile sans doute, pour vous et
vos concitoyens.
GD. Enfin, le Président arrive à Saint-André, avec près de deux heures de
retard. Une foule enthousiaste l’accueille. La place de la mairie est noire de
monde. Les enfants des écoles, tout excités, brandissent des petits drapeaux
tricolores, que Primerose Brégier, directrice de la maternelle et fervente militante
socialiste, a fait confectionner par les parents. L’atmosphère est à la fois
sérieuse et joyeuse. On sent du respect et de la reconnaissance pour le Président.
Quand nous pénétrons dans la salle du Conseil municipal, j’ai la surprise
de voir au premier rang quelques-uns de ceux qui n’ont cessé de me combattre.
Ils sont là, tout sourire. « Pourquoi pas », me dis-je ? Mais je vois surtout les
membres du Conseil municipal, rangés derrière la longue table des délibérations,
l’air grave, et comme éblouis par ce moment historique que connaît la
commune. Mon regard parcourt aussi les rangs serrés des assistants : Paulette
et Albert Ayot, avec un groupe d’Anciens Combattants, de nombreux présidents
et présidentes d’associations, de vieux militants socialistes et communistes,
les yeux embués de larmes. Bref, toutes les composantes de la communauté
saint-andréenne, droite comprise, sont représentées. Et une nouvelle fois
je me sens submergé par l’émotion.
« La cérémonie doit être brève et sobre », m’a recommandé Jean Glavany,
chef de cabinet, puisqu’il s’agit d’une vite privée. J’ai prévu un simple pupitre,
d’où je m’adresserai au Président. Tout à l’heure, une enfant dévoilera la
plaque commémorative, que nous avons fait apposer sur le mur, derrière la
longue table ovale du Conseil municipal. Elle voisine avec celle qui rappelle
le souvenir de la visite du Président Fallières, en 1907, au lendemain de la
mutinerie du régiment du 17e, en pleine crise viticole. À mes côtés se tient
l’écrivain en langue d’Oc, Max Rouquette4, que j’ai voulu associer à cette manifestation.
C’est à lui, le poète qui vit dans un petit village5 de la Vallée de
l’Hérault, et dont l’audience est déjà grande, que j’emprunte la conclusion de
ma courte intervention : « Au terme de ce propos, je voudrais reprendre les
deux vers de Max Rouquette inscrits sur la plaque commémorative : « Vers le
songe du cyprès, / Chemin d’autrefois, tu montes. » Et j’explicite : « De cette
citation, je retiendrai l’idée d’une communauté en marche, qui surmonte l’obstacle
sur son chemin posé ; nourrie du passé, où elle puise sa force, elle est
tout entière tendue vers l’avenir qu’elle s’est choisi ; et le « songe du cyprès »,
immatérielle projection d’elle-même, la guide dans sa course. Image de la
France en cette année 1988. »
MC. Cette association de l’homme de culture à la réception du chef de
l’État est caractéristique de votre personnalité profonde. D’ailleurs cela se
ressent jusque dans le style de votre allocution. On croirait entendre de la
prose rythmée…
GD. Pour les initiés, mon évocation se charge aussi d’un contenu politique.
En effet, en ce début d’année, se prépare une nouvelle élection présidentielle
et François Mitterrand n’a pas encore fait connaître sa décision. Il y a donc
dans mes propos comme une invite discrète, que je réitèrerai explicitement en
le raccompagnant, sans bien sûr, obtenir de réponse. Mais le message est
passé, souligné par la ferveur de la foule et les cris : « Mitterrand Président »,
qui jaillissent à sa sortie de la mairie. Le Président me répond par quelques
mots personnels et par des voeux adressés à la population qui l’a si bien accueilli.
Il reste dans la tonalité privée de la visite, et l’impact en est d’autant
plus fort. Dans cette salle archicomble du Conseil municipal, l’atmosphère est
devenue plus grave. D’autant que j’ai évoqué, au début de mon intervention,
l’état dans lequel se trouvait la commune, lors de la visite du Premier secrétaire, pour les municipales de 1977, et les multiples réalisations d’aujourd’hui
: création de classes à l’école publique et d’une radio associative,
naissance de la MAS et de la MDE, publication de Sites et Vins du Pays d’Hérault,
autant d’entreprises que je replace, dans le cadre du bassin d’emploi,
sous le label du Développement local. À dix ans de distance, le contraste est
parlant. Saint-André s’est affirmé. Le Pays d’Hérault s’est réveillé. Ce que je
souligne ainsi : « C’est pourquoi, Monsieur le Président de la République, si
vous trouvez chez nous la conscience aiguë des difficultés – par exemple, le
fait que l’arrondissement de Lodève détient le triste record du chômage
des 16-25 ans sur l’ensemble de la France – vous ne percevrez jamais amertume
ni défaitisme, encore moins de complexe d’infériorité vis-à-vis de la
grande ville. Par rapport à la métropole régionale, nous croyons à la complémentarité.
» Ces paroles prennent un relief particulier en cette journée, dont le
maire de Montpellier a été absent. En guise de cadeau traditionnel, nous avons
offert deux ouvrages de Max Rouquette à notre hôte qui, on le sait, est un
grand lecteur. J’ai su par la suite que la visite en mairie de Saint-André-de-
Sangonis avait été beaucoup commentée à l’Élysée.