Entretien avec Fernando Puerto réalisé par Sergio Molina Garcia le 17 avril 2021
Biographie de Fernando Puerto :
Directeur de la délégation du Conseil supérieur des chambres de commerce auprès de la Communauté européenne 1978-1985
Chef de cabinet de Pedro Solbes, secrétaire d’État pour la CEE, 1986-1989
Chef de cabinet d’Enrique Barón, président du Parlement européen, 1989-1992
- Quelles étaient vos positions et responsabilités politiques en 1981 ?
En 1981, j’avais 32 ans et j’habitais à Bruxelles où j’étais directeur de la délégation du Conseil supérieur des chambres auprès de la Communauté européenne.
- Quelle connaissance aviez-vous de la politique française actuelle à cette époque ?
Dans le cours 1975-197676 j’ai fait un Cours d’Etudes Supérieures Européennes à l’Université de Nancy-Lorraine-Fr et depuis, j’ai suivi l’actualité politique en France, un pays dans lequel j’ai voyagé très fréquemment parce que j’ai épousé une partenaire française . Mes enfants ont la double nationalité.
- Avez-vous suivi la campagne électorale française ?
Comme je vivais à Bruxelles, j’ai eu accès aux chaînes de télévision françaises et j’ai suivi la campagne présidentielle cette année-là avec beaucoup d’intérêt. Je me souviens parfaitement du débat François Mitterrand avec Valéry Giscard d´Estaing à la télévision, qui a été très important pour assurer la victoire de Mitterrand aux élections présidentielles.
- La victoire de François Mitterrand était-elle attendue en Espagne ?
En Espagne, on sentait déjà que le PSOE de Felipe González pourrait remporter les élections de 1982 et plus important que les prévisions étaient les vœux d’une victoire socialiste en France. Une partie de la population pensait, avec raison, que cela faciliterait la victoire socialiste espagnole et permettrait au PSOE d’assumer plus facilement le gouvernement après la longue et noire période franquiste.
- – Quelle image aviez-vous de François Mitterrand et du PS français ?
A cette époque, le PS français était très important, avec de grandes personnalités de haut niveau et avec beaucoup de projection dans la société. Parmi ces personnalités figuraient : François Mitterrand, Jean-Pierre Chevènement, Pierre Mauroy, Gaston Defferre, Laurent Fabius, Michel Rocard, Lionel Jospin, Jacques Delors …
Le programme de ce gouvernement était très progressiste: libéraliser la radio et la télévision; faire passer une taxe sur les grosses fortunes; augmenter le salaire minimum et les prestations familiales; établir la 5e semaine de vacances payées; réduire la semaine de travail à 39 heures; fixer l’âge de la retraite à 60 ans; abrogation de la peine de mort; dépénaliser l’homosexualité; nationaliser Banco Paribas et d’autres banques ainsi que certains groupes industriels comme Rhône Poulenc, Saint Gobain, etc. Une politique très gauche qui a heurté les patrons et les secteurs les plus conservateurs du pays. Malgré ces mesures, le déficit des caisses publiques et le chômage ont augmenté. Malgré ces mesures d’ordre social, il y a eu un certain mécontentement populaire qui s’est accru avec la fermeture de certaines mines de charbon dans le nord, le début de la décentralisation administrative, …
Ce premier gouvernement de Pierre Mauroy a duré deux ans, le Premier ministre étant remplacé par Laurent Fabius. Le nouveau Premier ministre s’est rapidement débarrassé des ministres communistes, il a stoppé certaines des mesures importantes en cours et il a adopté une politique plus centriste.
- Quel a été l’impact de la victoire de François Mitterrand pour l’Espagne ?
L’expérience française était très importante pour les socialistes espagnols qui, depuis la victoire électorale d’octobre 1982, formaient déjà un premier gouvernement à programme centriste. Probablement la situation espagnole de ces années n’aurait permis aucune autre option.
Par conséquent, l’expérience socialiste française a été très importante pour la formation du premier gouvernement de Felipe González. À partir de 1982, les relations entre les deux gouvernements socialistes étaient bonnes. Une relation étroite s’est établie entre François Mitterrand et Felipe González. Les discussions seraient fondamentalement liées à la question de l’adhésion de l’Espagne à la Communauté économique européenne et à l’entrée dans l’OTAN.
Depuis la transition vers la démocratie en Espagne, les relations sont devenues très fluides. Le prédécesseur de Mitterrand, Giscard d’Estaing, a été le seul chef d’État européen qui, après la mort du dictateur, a assisté à la proclamation du nouveau régime à Madrid avec Juan Carlos à la tête de l’État.
Avec F. Mitterrand, ces bonnes relations se sont consolidées non seulement pour l’adhésion à la Communauté européenne. Il y a également eu un flux important d’investissements français vers l’Espagne dans les secteurs alimentaires – Carrefour, Leclerc, Intermarché, Auchan, …-, pétrole – Elf Aquitaine, Total – automobile, etc.
- Quelles ont été les questions politiques les plus importantes débattues ?
A cette époque, je n’étais pas dans l’administration ou la politique. C’était quelques années plus tard, quand en 1986 j’ai rejoint l’équipe de Pedro Solbes en tant que directeur de son cabinet, au sein du secrétaire d’État à la Communauté européenne (1985-1991). À l’époque, la définition des alliances était essentielle pour le contexte postérieur à l’adhésion à la CEE : le rôle des secteurs industriel et agricole dans cet avenir où il semblait que l’Espagne et la France partageraient un rôle de premier plan et, surtout, l’adhésion de l’Espagne à l’OTAN, une négociation qui semblait être une «condition sine qua non» qui s’est finalement imposée.
- Avez-vous rencontré François Mitterrand personnellement ?
J’ai eu le plaisir de rencontrer personnellement Mitterrand lors de mon séjour au Parlement européen, lorsque j’étais directeur du cabinet de son président Enrique Barón (1989-1992)
Mitterrand était un personnage très sympathique, toujours correct bien que distant avec ses subordonnés. L’un des grands présidents de la République française. Il ne nous a jamais caché son excellente relation avec Felipe González.