ALLOCUTION PRONONCÉE PAR MONSIEUR FRANÇOIS MITTERRAND PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE LORS DE SON DÉPLACEMENT A LA ROCHELLE
Port de La Palice – vendredi 28 septembre 1990
Monsieur le Maire,
Vous avez tout dit, même les compliments. Je ne pourrais guère ajouter grand chose. Mais je m’exprimerai comme un témoin, car j’ai reçu, en effet, dès 1981, la visite de mon ami Michel CREPEAU, visite insistante, éloquente, persuasive, courageuse. Il n’était possible, enfin, il était possible, à qui que ce soit, sauf peut-être à un autre charentais de comprendre à ce point l’urgence et la nécessité de vos démarches. Et puis La Rochelle pour nous, pour vous, pour vous messieurs, pour moi, j’imagine pour celles et ceux qui m’entendent, c’est une ville phare dont la signification dans l’histoire se situe pratiquement à chaque siècle, comme un point de conquête ou bien de résistance. Affirmation de caractère, volonté, tempérament, capacité d’aller au-delà des mers et de donner à cette ville la beauté qui est la sienne.
C’est vrai que cela ne devait pas être si facile il y a cent ans de venir de La Rochelle à La Palice. Quand on songe aux difficultés qu’on éprouve pour remuer trois grains de poussière. Mais, La Palice existe, elle n’a pas été seulement une implantation théorique, presque imaginaire. Ce port est devenu celui que vous voyez, celui que vous devinez au travers du récit qui vous en a été fait et par monsieur le Président de la Chambre de commerce, et par monsieur le Maire de La Rochelle.
Ce n’est pas pour rien, si j’ai pu bénéficier pendant plusieurs années de la présence et des conseils de Michel CREPEAU dans les conseils du gouvernement. C’était avec des hommes de cette trempe, de cet enthousiasme que vous venez encore de constater, moi, je n’en revenais pas, je me disais mais les années ont passé, on se tasse, eh bien non. Quand je vais rentrer chez moi, je vais me dire, décidément il faut faire attention car Michel CREPEAU est toujours au premier rang de ceux qui se battent pour le service du pays dont ils ont la charge.
Maintenant, ce port de pêche, après ce port céréalier, me valent vraiment l’honneur et l’agrément d’être associé étroitement au développement de La Rochelle, de La Palice, de la région et de la France, puisque ce que vous en disiez à l’instant, montrait bien que cet ensemble se situait déjà au premier rang des ensembles français, en attendant d’atteindre les premiers rangs d’Europe.
Voyez comme cette ville est belle. Vous la fréquentez, vous ici, sans peut-être y faire attention. Vous êtes d’ici. Et pourtant quand vous la montrez à vos visiteurs étrangers, j’imagine le sentiment d’orgueil et de joie qui vous habite, cette belle ville, mais aussi cette ville vivante. Vous rapportiez tout à l’heure, Michel CREPEAU, les grandes circonstances dramatiques que vous avez vécues ici. Vous êtes en train de les surmonter. Et c’est bien dans la tradition de La Rochelle dont on sait bien le combat, aussi bien par les siècles passés que dans les années récentes. Il a fallu que tout le monde s’y mette : l’Etat, la région, le département, le syndicat intercommunal à vocation multiple.
Quand le grand marché européen va s’ouvrir le 1er janvier 1993, c’est demain matin, vous bénéficierez d’installations que je crois très avantageuses, très modernes en eau profonde, avec un accès libre et sans écluse jusqu’à la haute mer.
Votre port de commerce joue déjà un rôle important pour les céréales, vous l’avez souligné : transport et stockage d’hydrocarbures, commerce des engrais, des bois et bien d’autres produits. Mais je dois dire c’est le port de pêche qui avait le plus grand besoin d’être mis en mesure d’affronter la concurrence dans de meilleures conditions. Ce n’est pas d’aujourd’hui que commencent vos efforts, rappelez-vous ce que vous me disiez lorsque vous constatiez que votre flotte de pêche hauturière était l’une des plus jeunes de France par l’âge de ses navires. Atout qu’il vous fallait absolument valoriser, même si le secteur de la pêche en France et dans la Communauté européenne est confronté aux difficultés suivantes et sans doute quelques autres.
Raréfaction de la ressource qui gagne progressivement toutes les espèces de l’Atlantique, la hausse du prix des carburants, faut-il insister, qui a un effet direct sur les patrons et sur les salariés du fait de la rémunération à la part.
Eh bien le Gouvernement, comme il l’avait fait après les intempéries de l’hiver, a pris quelques mesures pour aider les pêcheurs. Je me souviens d’être intervenu, je n’avais pas grand mérite, auprès du ministre du Budget pour la détaxation des vivres de bord. Il ne me paraissait pas opportun de se réveiller soudain pour constater que ces travailleurs déjeunant à bord étaient considérés comme des privilégiés, non, ce sont de rudes travailleurs qui ont besoin d’être aidés.
Le Gouvernement a reporté le montant des remboursements des prêts bonifiés à échoir entre le 1er octobre 1990 et le 30 septembre 1991. Il a enfin repoussé de 3 mois les cotisations sociales du dernier trimestre 1990. Tout cela représente une enveloppe que je ne veux pas chiffrer, bien que j’en connaisse le montant, une enveloppe pour les entreprises françaises de la pêche industrielle et artisanale et, puis maintenant, il faut développer la formation, la formation des pécheurs, améliorer dans un cadre européen les garanties sociales qui s’appliquent à eux. Quant à la densité des poissons existants, vous sentez vous-mêmes combien il est important de la préserver et de l’entretenir, ce qui suppose l’acceptation de contraintes, de disciplines tant pour les quantités pêchées que pour le droit d’accès aux zones de pêche et ce que je vous dis là, vaut pour toutes les catégories professionnelles. On n’a rien sans rien et parmi les dépenses à faire, il y a celles de l’énergie humaine, du courage, de la patience et de la ténacité. Il n’y a pas de raison de penser que nous serions plus faibles ou en retard sur nos voisins d’Allemagne ou d’Espagne. C’est vrai que l’Espagne, c’est notre deuxième client pour les ventes de produits de la mer, mais c’est vrai que les prix sont élevés. Je le répète, il ne suffit pas d’évoquer la pêche et la grande pêche, je veux dire à toutes les Françaises et à tous les Français qui m’écoutent que quelle que soit l’industrie, le commerce, l’artisanat, qu’il s’agisse aussi bien de l’agriculture qui s’interroge tant et si douloureusement aujourd’hui, rien n’est possible sans l’effort national et sans l’intelligence volontaire de chaque profession qui voudra s’organiser pour supporter la concurrence. Et je le répète, comme je l’ai fait pendant des années, cela dépend de vous, il faut que vous en soyez sûrs, vous ne devez compter sur personne d’autre même en France dans notre République où on pratique mieux qu’ailleurs la solidarité nationale. Mais d’abord avant de vous tourner du côté des autres, avant même de vous tourner du côté de l’Etat, il faut se dire que l’Etat, c’est simplement la somme des ressources et des énergies et que ce que l’on demande à l’Etat, vient des contribuables français et que c’est l’ensemble des contribuables français qui en réalité est sollicité par telle ou telle catégorie professionnelle chaque fois qu’il s’agit de subventions, de dons, d’augmentations. Ce sont les autres, les autres Français qui sont là pour aider. Il faut donc employer un autre ton que celui de la colère ou de la rancune quand on s’adresse à l’Etat, on s’adresse aux autres, aux autres Français et les autres Français accepteront difficilement d’être considérés comme spoliateurs, ou inutiles alors que c’est de leur solidarité que l’on doit attendre le renouveau et le progrès, mais nous sommes engagés dans cette voie. Ce gouvernement, tout gouvernement de la République, sous mon autorité, connaît bien ses engagements du premier jour. Il nous faut une politique sociale chaque fois plus affirmée, une politique de juste répartition. Ce n’est pas assez le cas, c’est un travail quotidien, difficile où il convient d’entreprendre une réforme des structures et dans tous les domaines mais on ne passe pas son temps à réformer un pays, si l’on ne dispose pas du consentement général et je demande le consentement au moins sur ce point là, l’entente des Français pour qu’ensemble ils mettent leur pays en mesure de supporter tous les combats économiques, en mesure de gagner à la fin de ce siècle, ayant déjà rattrapé tant de retards accumulés au cours du siècle précédent, faire de la France un pays neuf appuyé sur ses traditions.
Je dois dire que je trouve à La Palice et à La Rochelle un exemple très clair de ce que je veux vous expliquer.
Ce nouveau « Port de Chef de Baie », quel nom ! Peut-être est-il symbolique ? Je vous le dis j’aimerais revenir chez vous. Vous trouverez peut-être que cela fait un peu beaucoup, surtout que cela sert un peu de prétexte à mille et un rassemblements de toutes sortes, je dérange beaucoup de gens. Ceux qui viennent avec plaisir et ceux qui viennent pour se fâcher. Bien, finalement tout le monde est là ! C’est plutôt un agrément pour moi que de pouvoir en quelques mots m’adresser à tous les Français.
Nous traversons une époque difficile, si l’on considère les événements du monde qui se déroulent très loin d’ici mais dont les effets se reportent aussitôt sur notre économie et présentent une menace sur la paix. Il faut affronter, je m’y efforce moi-même, tout ce que l’histoire nous propose avec une volonté enracinée de paix, mais dans le respect du droit, dans la dignité d’une nation qui a la vocation d’une présence mondiale. Rien de ce qui se passe sur la planète ne peut nous être indifférent. Est-ce une ambition excessive ? Ce serait peut-être plus reposant de ne s’occuper que de son village, mais je mentirai à l’ambition et à la réussite de ces marins rochelais qui ont traversé les océans, je manquerai à la tradition de ces paysans, de ces artisans, je ne vais pas énumérer toutes les catégories, mais je veux dire ceux qui, à partir des produits de la terre et de ceux que l’homme a eu le génie de créer, ont, d’industrie en industrie, donné à la France la place qui est la sienne. Et si nous sommes, à l’heure où je m’exprime, le quatrième pays du monde sur le plan des exportations et de l’expansion économique, en dépit de tous les manques que je déplore, moi le premier, si nous saisissions toutes les occasions, si nous montrions plus de vigilance et plus d’énergie, alors nous semblerions tout proches des premiers, malgré notre démographie trop faible au regard des empires qui se partagent la puissance.
C’est qu’avec les Français on peut beaucoup. L’espérance ? Oui bien entendu, elle m’habite, mais je pense qu’elle est également partagée par vous-mêmes, mesdames et messieurs, mais en même temps que l’espérance, j’en appelle à la volonté, au travail, à l’imagination. Si je dis cela de cette tribune et en ce lieu, c’est parce que je me trouve devant des élus, des responsables, devant une population qui donne l’exemple.
Oui, vive La Rochelle et vive La Palice ! Vous servez la démonstration que j’entends faire à la France tout entière. Nous pouvons faire mieux, nous faisons déjà beaucoup. Mais la France de cette fin du XXème siècle, après deux guerres mondiales et tant de traverses, reste une France vigoureuse et présente. Mon ambition est de la laisser un jour, plus forte, plus sûre d’elle-même, dotée d’une capacité de travail et d’innovations, avec une jeunesse formée à tous les métiers du siècle prochain, sans nostalgie inutile pour les choses du passé. Voilà mon ambition et j’aimerais par-dessus le marché, ce n’est pas la moindre chose, que tout cela puisse se produire dans un climat suffisamment harmonieux pour que chacun comprenne qu’il ne faut pas de « laissés pour compte » et que ces progrès que j’attends de vous, Mesdames et Messieurs, soient le plus justement répartis afin qu’il n’y ait nulle part de Français abandonnés sur le bord de la route. Voilà, cette société, on peut la bâtir si on le veut, je m’y attache moi-même depuis le temps que vous me l’avez confié. Je n’abandonnerai pas cette ambition et je la répéterai partout.
Merci à vous, habitants de ce département, merci à vous aussi les voisins immédiats venus participer à cette réunion, de nous apporter à nous, la France tout entière, cette preuve, ce témoignage à partir d’une lande abandonnée, en bord de mer, dans un admirable paysage. Mais qui aurait songé à ce développement ! Vous êtes en train de bâtir un empire de vie économique et commerciale avec une sorte de surgissement de la région d’Aunis, de Saintonge et de Vendée vers les mers extérieures, les autres continents. Ce n’est pas tous les jours que je puis dire de telles paroles. Quand j’en ai l’occasion j’en profite et je vous remercie, c’est beaucoup plus facile de dire cela avec vous, Vive la République, Vive la France !
Retrouvez ci-dessous l’audio du discours :