J’étais membre de la commission de la défense de l’Assemblée nationale en 1981. Et je me suis retrouvée ministre délégué au temps libre, à la jeunesse et aux sports. Peut être le devais-je à ma brève carrière d’escrimeuse lorsque dans la Nièvre, tout enfant, je fréquentais la salle d’armes de la rue du Fer.
Je le devais peut être aussi, moins à la botte de Nevers qu’à Marie-Thérèse Eyquem, qui décéda avant la victoire de la Gauche et qui occupait le poste de la jeunesse et des sports dans le contre-gouvernement de François Mitterrand. Pour une fois, on avait imaginé une femme dans un poste traditionnellement tenu par les hommes. Je fus l’heureuse élue et, par la suite, il y eut une sorte de dynastie de femmes de gauche comme de droite.
J’ai occupé ce poste trois années avec l’attention bienveillante de Pierre Mauroy qui adorait ce ministère et, surtout, l’intérêt permanent du Président de la République. J’eus conscience assez vite que le sport était pour lui une attitude de vie. Il y voyait un moyen de promouvoir les meilleurs, de développer, au-delà des opinions, des solidarités, d’aborder autrement la relation internationale. J’ai pensé à lui tout particulièrement en lisant récemment, dans un quotidien, un philosophe en vogue qui disait beaucoup de bien de la France, mais ajoutait aussitôt qu’un pays n’existe au monde que par le sport et la défense.
Ayant eu la bonne fortune de connaître l’un et l’autre secteur, je pense que le Président de la République aurait pu soutenir cette opinion. J’eus en effet à préparer, pendant son premier septennat, une loi sur le sport, le statut des athlètes de haut niveau et la reconnaissance des fédérations sportives. J’ai eu aussi à assumer, sur un plan plus international, la préparation des Jeux Olympiques de Los Angeles, les Championnats d’Europe de football et nos candidatures d’été et d’hiver aux J.O. Nous avons relancé la Confejes qui regroupait tous les ministres des sports et de la jeunesse des pays francophones et commencé d’établir, avec les pays de l’Est comme avec ceux du Moyen Orient, de fructueux échanges sportifs.
Certains de mes collègues me jalousaient fort, car j’étais souvent dans les voyages officiels. Le sport était un passeport merveilleux.
A un niveau plus quotidien, j’étais frappée par la connaissance qu’avait le Président de la République des milieux sportifs et par le respect qu’il y rencontrait. J’en prendrai deux exemples : tout d’abord, il était impossible de lui voir commettre une erreur en ce qui concerne les vainqueurs du Tour de France et du Critérium de Château-Chinon. Pour le football, c’était pire encore et il n’y avait que Jacques Delors qui se risquait parfois à rivaliser. L’autre exemple qui m’a laissé un fort souvenir est la manière dont il m’a aidée à régler un problème politico-sportif où je me retrouvais bien seule. Compte tenu de l’apartheid, le Quai d’Orsay et le Premier ministre avaient souhaité que j’intervienne pour empêcher le déplacement de l’équipe de France de rugby en Afrique du Sud.
J’avais avec Albert Ferrasse, le président de la Fédération, des relations de grande estime. Mais, en dépit de cette cordialité, il était le président d’un monde très masculin, pour ne pas dire essentiellement, qui ne souhaitait pas a priori obéir à une femme. Albert Ferrasse me fit comprendre avec intelligence que ce ne serait pas pareil si c’était mon chef, le Président de la République, qui lui passait l’ordre. L’affaire était suffisamment médiatique et compliquée pour que j’oublie toute vanité personnelle. Un jour, à la fin d’un Conseil des ministres, François Mitterrand me fit venir dans son bureau. Il m’expliqua qu’Albert Ferrasse avait souhaité son arbitrage. Et il me demanda simplement : » vous avez agi en service commandé « . Je lui répondis qu’en effet j’étais un bon petit soldat. Alors il prit un papier et il écrivit, devant moi, une lettre à Albert Ferrasse, lui demandant, pour l’image de la France, d’annuler sa tournée. Cette lettre, que tous les journaux s’empressèrent de publier, obtint l’effet recherché. Elle me maintint aussi dans mon poste alors que les postulants se pressaient déjà.
J’aurai, pour finir, une pensée amusée et aussi une certaine mesure de la relativité en rappelant une anecdote qui date très exactement du soir de la deuxième victoire de François Mitterrand aux élections présidentielles. La cohue l’amena vers le groupe où je me trouvais. Je lui dis spontanément » Monsieur le Président, c’est pour la deuxième fois la médaille d’or « . Il me répondit en faisant la moue : » Edwige, ce n’était qu’une petite compétition locale « . Je devins peu après son ministre délégué aux affaires étrangères, sans doute pour mieux connaître le monde et ses affrontements.
Comment oublier un pareil homme ? Je lui dois une grande partie de mon amour de la vie et de mon goût persistant, malgré les déceptions, pour la politique.