Il y a quelques mois Danielle Mitterrand nous quittait à l’âge de 87 ans.
Ecrire sur elle, écrire pour elle est le moindre des hommages à rendre à cette personnalité si riche. Je le fais avec émotion et respect.
Danielle Mitterrand était née à Verdun – étonnant symbole – d’un père directeur d’école, révoqué en 1940 par Vichy pour ne pas avoir dénoncé les élèves juifs de son collège, et d’une mère institutrice, tous deux militants de la SFIO et tous deux militants laïques. En 1941, âgée d’à peine 17 ans, elle avait rejoint le maquis comme infirmière bénévole pour devenir l’une des plus jeunes médaillées de la Résistance.
C’est à Cluny (Saône-et-Loire), dans la maison familiale où s’était réfugié son père, qu’elle a rencontré le capitaine « Morland », François Mitterrand, recherché par la Gestapo qu’elle épousa le 27 octobre 1944.
Comme l’écrivait l’ami Robert Schneider : « Ils se marieront quelques mois plus tard et formeront un couple atypique. Un demi-siècle de vie commune qu’elle avait récemment résumé ainsi : » Nous étions mariés, nous avions des enfants et, à un moment, nos vies affectives ont bifurqué. Mais cela ne nous a pas empêchés de rester des amis très proches l’un de l’autre. » »
Le 10 mai 1981, j’étais à Château-Chinon avec Danielle et François Mitterrand pour le résultat de l’élection présidentielle. Quelques jours plus tard, les deux compagnons de route entrent à l’Elysée, séparés, mais ensemble…
Très vite Danielle déclara : « Je ne suis pas une potiche ». La nouvelle Première dame entendait bien préserver sa personnalité et son indépendance. Si elle assume toutes ses obligations d’épouse de Président (réception à l’Elysée, visites officielles, représentation), elle ne veut pas être une simple observatrice.
A l’Elysée, la « Présidente » a son bureau personnel, ce qui ne devrait choquer personne, ni hier, ni aujourd’hui quand on sait qu’arrivent au Palais présidentiel des milliers de courriers chaque année auxquels il faut bien répondre ! Des millions de demandes d’aide, individuelles ou collectives auxquelles il faut bien donner suite ! Mais, parallèlement, elle créé très vite la Fondation du 21 juin qui deviendra la fondation France Libertés en 1986 et qui a pour mission de défendre les droits de l’homme et le droit à l’autodétermination des minorités ethniques.
Aujourd’hui, et elle s’en serait sans doute réjouie, c’est la radicalité de l’engagement politique de Danielle Mitterrand qui reste. Un engagement pour les Droits de l’Homme de l’internationalisme.
Roger Hanin, son beau-frère avec l’humour si particulier et chaleureux qui le caractérise, a dit un jour : « Si vous lui demandez l’heure, elle vous répond 5 heures moins Kurdes… » Il est vrai que les Kurdes ont été « LA » cause de Danielle
Mitterrand, celle pour laquelle elle s’est démenée tous azimuts, montant au créneau sans cesse, en paroles mais aussi en actes, organisant la transplantation de réfugiés dans le Massif Central, ouvrant des écoles… Elle frôlera (avec Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé et de l’Action humanitaire) la catastrophe dans le Kurdistan irakien, le 7 juillet 1992, quand un attentat contre son convoi fera sept morts. Mais son activisme était sans frontières et pléthorique. Citons, de tête et sans exhaustivité : anti-apartheid, anticolonialisme, antilibéralisme, anti-peine de mort, contre le sida en Afrique, pour l’alphabétisation au Bangladesh, pro-Amérindiens, pro-Tibétains, pro-zapatistes mexicains, pro-Saharaouis, pro-sans-papiers, pro-Fidel Castro, pro-sous-commandant Marcos… La liste de ses combats et de ses causes atteste une capacité d’indignation, de colère, qu’on pourrait qualifier de « génétique ». Encore tout dernièrement, alors que l’accès à l’eau potable était devenu son fer de lance – j’y reviendrai -, Danielle Mitterrand s’était prononcée en faveur de l’éradication complète des gaz de schiste.
Je me souviens d’une conversation que nous avons eue tous les deux le 21 avril 2002, au soir du désastre électoral du 1er tour, quand elle était venue au Q.G. de campagne dire sa tristesse et sa solidarité : « vous avez perdu parce que vous n’avez pas vu qu’un nouveau monde est en train de naître autour du commandant Marcos. » C’était tout elle.
Mais redonnons la parole à Robert Schneider : « Le 14 octobre 1994, trois mois après sa seconde opération. François Mitterrand, très affaibli, m’invite à déjeuner en tête à tête à l’Elysée. Danielle nous rejoint au café. En souriant, il me dit : » Vous avez de la chance, votre femme est française ! La femme du président de la République, elle, est kurde ! Elle m’a fait rencontrer récemment l’un de ses protégés, un courageux résistant kurde, m’a-t-elle dit, dont j’ai appris ensuite qu’il était un dangereux terroriste ! » Danielle sourit à son tour de cet hommage exaspéré à sa foi militante ».
Les combats de sa femme, son entêtement, sa naïveté parfois, n’ont jamais agacé François Mitterrand contrairement à ce que certains ont pu dire ou écrire. Ses prises de positions ont été souvent abruptes, notamment son soutien inconditionnel à Fidel Castro ou au sous-commandant Marcos qui s’opposaient à la diplomatie française. Certes on raconte qu’à chacun de ses voyages à risques, les ambassadeurs étaient discrètement chargés de la surveiller, de corriger ses éventuels dérapages, de faire en sorte qu’elle ait le moins de contacts possibles avec la presse. Mais lorsqu’on attaquait Danielle, François Mitterrand la défendait toujours : » il ne supportait pas qu’on émette la moindre critique sur elle, en sa présence « , se souvient son ami André Rousselet. »
Il la défendait toujours parce que c’était une caractéristique fondamentale de leur « couple séparé et maintenu » : il respectait fondamentalement la liberté de Danielle. Il respectait sa liberté et son indépendance. Ce qu’elle faisait, ce qu’elle disait l’engageait, elle. Pas lui. Mais il la respectait profondément.
Un dernier mot : je passe depuis 30 ans mes vacances dans les Landes, pas loin de Latche. Dans les dernières années de la vie de François Mitterrand, on s’y voyait régulièrement, à Latche, chez moi, chez des amis communs. Après sa mort, j’ai gardé l’habitude de rendre visite chaque été à Danielle. A ma dernière visite, un an avant sa mort, on a parlé de choses et d’autres, du P.S., de la Droite, des Droits de l’homme, de ses combats et, notamment, de son dernier combat pour le droit universel à l’eau, que je voulais relayer au Parlement, d’abord par un rapport sur la Géopolitique de l’eau, ensuite, bientôt je l’espère, par une proposition de Loi. Puis je l’ai interrogé sur sa Fondation.
« – Ah ! Tu ne sais pas ? Il a fallu que je me sépare encore de toute mon équipe…
– Pourquoi ?
– Figure-toi que je me suis aperçue qu’elle ne faisait que du Droit. Du Droit et encore du Droit. Alors je leur ai expliqué : « mais nous ne sommes pas des juristes, nous ne sommes pas là pour faire du Droit !
– Certes mais alors la Fondation est là pour quoi précisément ?
– Nous sommes là pour changer le monde »
C’était tout elle. Ambitieuse et idéaliste.