Le monde des sports est un monde à part, où les milieux d’affaires font à peu près ce qu’ils veulent, tandis que, sous l’honorable prétexte de respecter l’indépendance des activités sportives, les pouvoirs publics ne s’y hasardent pas sans réticence (à l’exception toutefois des autorités communautaires qui savent, à l’occasion, tenir en échec les « pouvoirs sportifs » pour mieux les intégrer dans l’économie de marché).
Exceptionnelle ou occasionnelle jusqu’aux années trente, l’intervention des pouvoirs publics dans les affaires du sport remonte en fait au gouvernement du Front populaire, bientôt relayé par les autorités de Vichy, qui poursuivaient, on s’en sera douté, des objectifs bien différents de ceux de Léo Lagrange, mais qui, hélas, ont marqué de leur empreinte la législation des sports. Les choses n’ont guère évolué jusqu’à la loi du 29 octobre 1975, dite loi Mazeaud, qui préfigure le régime actuel tel qu’il résulte de la loi du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives (loi Avice) et de ses règlements d’application.
Des fédérations toutes puissantes
Ces textes ont été plusieurs fois modifiés au cours des quinze dernières années, mais sans que soit remise en cause la suprématie des fédérations sportives agréées par le ministre chargé des sports, qui participent à l’exécution d’une mission de service public (loi de 1984, art. 16) et, plus spécialement, de celles qui ont reçu délégation du ministre pour organiser les compétitions officielles et procéder aux sélections correspondantes (ibid., art. 17).
Les fédérations délégataires (football, rugby, cyclisme, etc.) et leurs émanations, comme les ligues du sport professionnel, sont dans une situation paradoxale: expression suprême d’une masse de licenciés éphémères, elles sont en fait la propriété de dirigeants quasi-inamovibles, qui règlent leurs querelles entre eux et se comportent en véritables féodaux. Cette situation est perpétuée par le mode spécifique d’élection des instances régionales et fédérales qu’autorisent les statuts-types du décret du 13 février 1985 et sur lequel le Conseil d’Etat avait émis, à l’époque, des réserves qui n’ont pas eu beaucoup d’écho, mais dont le bien-fondé n’est que trop évident.
Il est vrai que la loi du 16 juillet 1984 prévoit expressément que les fédérations sportives « sont placées sous la tutelle du ministre chargé des sports » (7ème alinéa de l’art. 16); mais quelle tutelle? Il ne suffit pas, en effet, d’en poser le principe: à défaut de dispositions législatives définissant les conditions dans lesquelles la tutelle est exercée, le 7ème alinéa est lettre morte, ainsi que le Conseil d’Etat l’a rappelé dans un avis que lui demandait le gouvernement pour l’application de cette disposition.
Une tutelle anémique
Lorsque Roger Bambuck, au début de 1991, entreprit de réformer la loi Avice, il fut question, un moment, d’instituer sur les fédérations sportives une forme de tutelle adaptée à des organismes privés dont on veut sauvegarder l’indépendance et limitée (comme c’est le cas, par exemple, pour les caisses de sécurité sociale) aux questions de légalité et d’équilibre financier. C’en était encore trop pour les fédérations et leurs dirigeants: emmenés au combat par le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), les milieux sportifs ont aussitôt réagi, et le ministre s’est rallié à la solution qui avait les préférences du CNOSF.
C’est ainsi que la loi du 15 juillet 1992 a introduit dans la loi Avice un article 17-1, qui ne concerne d’ailleurs que les fédérations délégataires et leur applique le système substitué par les lois de décentralisation à l’ancienne tutelle des communes: un recours du représentant de l’Etat devant la juridiction administrative. C’est un contresens évident, puisque les lois de 1982 avaient pour objet, non pas d’instituer une forme de tutelle, mais de la supprimer: et, du reste, il n’est pas nécessaire de faire une loi pour permettre au ministre de saisir un juge.
Il y aurait beaucoup à dire sur ces reculades, qui ne sont pas innocentes. Le fait est que les fédérations sportives, soumises à la double allégeance résultant de la localisation de leurs activités sur le territoire de la République, d’une part, et de leur affiliation aux fédérations internationales, de l’autre, acceptent plus facilement les lois de celles-ci que les contraintes de celle-là. Il faut croire que, dans le domaine du sport comme ailleurs, la « mondialisation » est aussi payante qu’elle est dévastatrice.