Avant François Mitterrand je ne connaissais rien à la politique, je ne m’y intéressais guère. Mon dépucelage politique s’est fait avec mon futur beau-père, Georges Vinson, compagnon de première route de Mitterrand, qui lui est resté fidèle jusqu’à la mort et qu’il a nommé ambassadeur après 81. Au début des années 70, Vinson était maire de Tarare et se présentait à la députation. Bernard Roux, mon associé de l’époque, qui était son beau frère, m’a proposé de lui faire son affiche et sa brochure. Je lui ai donné rendez-vous au Bois de Boulogne, il est arrivé avec sa femme, Judith, et ses deux filles de douze ans. Je lui dit : « on va faire une première photo, à la Kennedy, au lieu de parler de toi tu vas parler de la famille, de ton amour pour la famille ». La campagne était autour de ça. Six ans après j’épouserai son ainée, Sophie. Mes premiers rapports avec la politique ont été des rapports prometteurs et amoureux et cela n’a jamais cessé.
Je ne connaissais rien à la politique au point qu’aux élections législatives de 78 j’ai fait les trois campagnes par hasard. Jean-Pierre Soisson est venu me voir : « il faut que tu fasses une affiche pour Giscard ». Sur ce, le directeur de communication de Mitterrand est venu me dire « il faut que tu me fasses une affiche ». Goudard et Brochand 1, en charge de la communication de Chirac, m’ont appelé à la rescousse pour titrer leur campagne qui est devenue : la France qui ose, la France qui gagne. Á cette époque on appelait les créatifs un peu à la mode et les candidats choisissaient parmi les dix campagnes qui leur étaient présentées. J’ai gagné au Loto, car, à ma grande surprise, j’ai décroché les trois. J’ai vu sur les murs mes trois affiches, j’ai trouvé cela rocambolesque et plutôt que de faire un scandale de presse qui d’ailleurs n’aurait pas eu lieu, je me suis tu. L’élection passée, j’ai donné une conférence de presse : « est-ce que vous trouvez cela normal que ce soit le même publicitaire qui fasse les trois affiches ? » Pas une ligne dans la presse, rien.
Le temps a passé, en 81, j’ai écrit à mes trois clients : « j’ai été votre publicitaire, mais votre publicitaire anormal, il est temps de normaliser la communication politique, de la rendre professionnelle. Je me suis beaucoup intéressé aux campagnes politiques, aux États-Unis, en Angleterre, dans les autres pays du monde, je veux mettre mon expérience à votre disposition, en exclusivité réciproque. Vous signez avec une agence qui vous accompagnera pendant tout le temps de la campagne, dans des pratiques régulières et transparentes ». Le seul qui m’ait répondu c’est François Mitterrand qui m’a envoyé un petit mot qu’il avait griffonné à la main : « si vous êtes libre à déjeuner demain, je vous attends à telle adresse », nous nous sommes vus à côté de la rue de Bièvres, dans un de ses restaurants favori, le Pactole. Voilà comment j’ai eu ma première leçon de politique, pendant ce déjeuner de charme – pour séduire Mitterrand était meilleur que Tapie. Il m’a questionné sur la communication, sur la politique. Je lui ai répondu que je n’y comprenais rien. Il m’a alors dit « vous n’y comprenez rien à la politique, moi je ne comprends rien à la communication. Je fais un échange gagnant-gagnant, à partir de septembre on se voit tous les lundi matin de 12 à 13. Dans une première partie je vous apprends la politique, dans une deuxième partie vous m’apprenez la communication. » Ça a commencé le premier lundi de septembre, le troisième lundi de septembre il m’a dit « Séguéla je perds mon temps, non seulement vous ne comprenez rien à la politique mais vous n’y comprendrez jamais rien, vous êtes totalement obtus. Ne perdons pas notre temps. Par contre la communication m’intéresse, je veux tout savoir ».
Le jour où je suis allé présenter La force tranquille aux socialistes, il leur a dit : « voici Jacques Séguéla qui est le meilleur des publicitaires que je connaisse, mais je n’en connais que 2 ou 3 qui sont plutôt décatis, il est par contre le pire homme politique que je connaisse et j’en connais beaucoup et des meilleurs ». Voilà ma formation politique, aujourd’hui je n’en connais pas plus. Je connais la communication politique pour l’avoir pratiquée un peu partout dans le monde et en France mais j’avoue que la politique me surprend toujours et me rend encore sceptique.
Aviez-vous déjà proposé votre aide à François Mitterrand lors des élections présidentielles de 1974 ?
Non, en 74, c’est Robert Delpire qui faisait la publicité et, en tant qu’ancien de son agence, je ne me le serais pas permis. Le directeur de campagne était Claude Perdriel, le patron du Nouvel Observateur, il avait fait cette belle affiche mais qui n’était pas du tout populaire, trop intellectuel de gauche, à la Libé : La seule idée de la droite : garder le pouvoir. Mon premier projet : vous le rendre, une affiche complètement ratée. Ma première affiche pour Mitterrand (la plus belle que j’ai faite pour lui) date de 78 2 : Le socialisme, une idée qui fait son chemin.
Quel rôle a joué Gérard Colé dans votre lien avec François Mitterrand ?
C’est André Rousselet qui a suggéré à François Mitterrand de venir me voir et c’est Gérard Colé – qui avait travaillé à l’agence – qui, face aux socialistes, s’est battu pour ce choix. Je ne le remercierai jamais assez. Il a eu, ensuite, un rôle de go-between entre l’Elysée et les communicants. Dans un premier temps j’étais le seul communicant puis Jacques Pilhan est devenu le 3e homme, celui du génie du marketing politique. Colé a toujours été un peu en parallèle à tout cela, il était l’homme du parti, de l’Elysée et nous, nous étions les hommes de l’art. Ce n’était ni un homme de marketing ni un communicant, il l’est devenu car il a passé plusieurs années à travailler aux côtés de Mitterrand, mais au départ il était un peu le chef de pub de l’ensemble. Il y a toujours un trio dans lequel on trouve un chef de publicité, un homme de marketing et un créatif.
Pouvez vous nous parler de la carte sociologique construite avec Pilhan en 1981, de sa logique d’image, de qualités, de défauts ?
Tous les soirs je réunissais les équipes à l’agence, rue Bonaparte. Je ne voulais pas que les gens travaillent officiellement pendant les heures de travail sur la campagne, pour ne pas gêner les annonceurs (plus de droite que de gauche). Ne travaillaient, à partir de 20h, que les gens qui étaient pour la cause et qui le faisaient pour la cause, gratuitement. Un soir, j’ai dit « il faut que vous me donniez chacun votre vision marketing ». Etait présents Cayzac, mon associé et patron marketing de l’agence, des hommes de marketing et d’autres personnes. Le matin Jacques Pilhan était venu me voir, il m’a dit « je me passionne beaucoup pour la communication politique, je peux vous aider, j’ai des idées », je lui ai répondu « ce soir, j’ai ma réunion, viens, écoute et on parlera après ». Je fais le tour de table et je n’ai que des idées de marketing traditionnel, de grande consommation. On ne vend pas les hommes politiques comme les lessives même si ce sont les mêmes qui font les publicités pour les lessives et que le même stylo écrit les slogans, ce n’est pas la même approche. J’étais très déçu de tout cela et je demande à Pilhan s’il a une idée un peu différente et il me fait un récital marketing sur Mitterrand à mourir de bonheur. Je me suis fâché avec Cayzac pendant un certain temps, je lui ai dit « je suis désolé, je ne veux plus vous déranger, je vais travailler avec Pilhan, je n’en veux pas d’autre, vous sortez de la campagne, je la fais avec Jacques ». Plus tard Pilhan deviendra directeur marketing de l’Agence pendant un temps, jusqu’à ce que Mitterrand me dise :
« – J’ai besoin de Jacques à plein temps,
– Mon agence est en plein boum, c’est à vous que je la dois, je ne peux pas,
– Créez une agence avec Jacques Pilhan et qui me soit spécialement affectée,
– Monsieur Le Président ce n’est pas une bonne idée, il faut donner à Pilhan son indépendance, il faut qu’il créée son agence, évidement lorsqu’il aura besoin de moi, de l’agence, tout sera entièrement à sa disposition, mais il n’est pas sain qu’une agence qui ne soit pas strictement indépendante travaille pour l’Elysée ».
Gérard Colé dit qu’à la fin de l’année 1980, il s’était entretenu avec vous et que vous considériez que Michel Rocard avait plus de chance de succès que François Mitterrand ?
Et pour cause, je regardais les sondages et je voyais que Mitterrand avait dans les sondages, je ne me souviens plus très bien, 35% et Rocard 55, j’étais sûr d’avoir tiré le mauvais numéro. Mais il m’avait choisi, donc je l’avais choisi parce qu’il m’avait choisi, je n’allais pas travailler pour Rocard, je ne l’ai vu que quand il a fait la campagne pour les Européennes, je ne l’ai connu que quand il est devenu premier ministre. Colé était déjà un mitterrandien à part entière. Je n’étais ni mitterrandien, ni rocardien, je n’étais même pas socialiste, je ne l’ai jamais été, je ne suis ni de droite ni de gauche, je vote pour le mouvement et contre l’immobilisme. Si c’est Sarko qui est plus un homme de mouvement cela me va très bien, si c’est Mitterrand cela me va très bien. Si un jour c’est Hollande il m’ira très bien. C’est pour cela que je n’ai pas pu suivre Ségolène Royal parce qu’elle avait toutes les apparences du mouvement et de la modernité, Désir d’Avenir était une idée formidable et de communication, mais le projet datait du milieu du XXe siècle, c’est pour cela que je suis allé vers Sarkozy. Elle aurait peut-être fait une bonne présidente, mais elle n’était pas prête, peut-être qu’aujourd’hui les choses seraient différentes.
François Mitterrand, quand vous le découvrez, a toujours une image de personnage glacial…
Il l’était.
… une image de personnage de cire, mais ce qui vous surprend, c’est que lorsque l’on parle avec lui d’homme à homme, c’est quelqu’un de chaleureux qui coupe avec l’image qu’il avait dans les médias.
Mitterrand n’était pas chaleureux, il créait entre vous et lui, qui que vous étiez, y compris avec ses enfants et même un peu Danielle (j’ai partagé beaucoup de repas le week-end à Latche avec eux), une espèce de carapace de verre. Danielle est la seule qui a réussi à la percer un peu (je n’ai pas connu sa seconde vie, donc je ne sais pas comment il était avec Madame Pingeot). Cette carapace il la brisait de temps en temps, moi il m’a pris deux fois dans ses bras, simplement deux fois, les deux fois où il a été élu. J’ai eu cette chance. La première fois j’étais à côté de lui, il ne m’a pas embrassé, mais j’étais tellement surpris, d’habitude c’était du bout des doigts. Il avait pour moi, il en a témoigné plusieurs fois, une affection un peu paternelle : « Séguéla vous êtes fou » et une tendresse particulière dans les échanges, mais qui se reglacifiait dès qu’il y avait du monde et qui se libérait lors des déjeuners et des diners privés. Lorsqu’il était en famille, surtout lorsqu’il y avait Roger Hanin ou des copains, il éclatait de rire, c’est lui qui racontait les histoires les plus énormes. Il pouffait de rire dans sa serviette jusqu’à étouffer de rire, c’était très extraordinaire, ce n’était plus du tout le même homme. Ensuite il redevenait l’homme d’État un peu glacial, qu’il aimait être. On ne peut pas être chef d’État si on n’est pas glacial, c’est ce qui a tellement manqué à Sarkozy, c’est ce qui manque tellement à Hollande.
Vous nous parliez des difficultés des relations avec le parti : comment cela s’est-il passé en 1981, avez-vous eu des difficultés particulières ?
En janvier 81, Mitterrand m’a dit « Séguéla j’ai oublié une chose, je n’ai pas présenté la campagne au parti, c’est lui qui paye, donc il le faut absolument, je prends rendez-vous demain ». Les affiches étaient déjà imprimées prêtes à être posées 15 jours après. Je vais pour la première fois à Solferino, c’est la première fois que je les voyais, je ne connaissais pas les hommes politiques. Autour de la table, les 20 allaient devenir ministres trois mois après, Mitterrand était là : « je vous présente Jacques Séguéla, comme je vous l’ai dit c’est le pire des politiques que je connaisse …, il va vous raconter la campagne, je vous laisse, j’ai une interview ». Je commence, j’argumente et j’arrive à la Force Tranquille. Paul Quilès qui était le directeur de campagne propose un tour de table et je n’entends que des horreurs, des incommunicants complets qui n’avaient rien compris à rien : « mais ce n’est pas politique, il faut dire votez pour nous, … ». Je leur réponds « c’est tout le contraire, il faut casser les codes », j’essaye de me débattre un peu et Quilès propose de passer au vote, ils votent : 20 voix contre. Arrive Mitterrand :
« – Alors Séguéla comment ça c’est passé ?
– On a voté…
– très bien
– Il y a 20 voix contre !
– Mais le vote n’est pas terminé… (il s’assoit à sa chaise, restée vacante, personne ne s’assoit dans la chaise de Mitterrand, il était déjà Le Président avant de l’être).
– Nous sommes est en démocratie, tout le monde est d’accord ?! Je vote pour et on va faire la campagne, car c’est la mienne ce n’est pas la vôtre, c’est moi qui décide ! »
J’ai mis 3 ans à récupérer les socialistes. Une haine rentrée, ils l’ont toujours dit : « il n’est pas de la famille, il n’est pas des nôtres, on ne sait pas si il est de gauche ou de droite ». Je leur ai dit, « je suis le cœur à gauche et le portefeuille à droite », ce qui, pour moi, était la position de Mitterrand, qui était le plus social-libéral des Présidents, ce dès sa première décision, bien avant Hollande, qui essaye de l’être – et j’espère qu’il le sera car c’est la seule chose qui peut sauver la France.
Comment expliquez vous que La force tranquille ai marqué les esprits beaucoup plus que L’autre chemin, l’affiche sur laquelle François Mitterrand pose avec ses collaborateurs ?
L’Autre chemin est restée peu de temps, elle était complètement ratée. Bombard avait raté son train, il n’était pas arrivé quand on a pris la photo, il a fallu faire une retouche et à l’époque… La photo était catastrophique, le musée de cire. En plus c’était une mauvaise idée, c’est Mitterrand qui l’avait voulu pour rassurer le parti en disant « il y a La force tranquille mais on va faire votre affiche à vous ». Son slogan était « l’Autre Chemin », elle est restée très peu parce que j’en avais honte et que le PS est allé se plaindre à Mitterrand en disant « l’affiche est nulle, il faut la retirer des murs, il faut changer de publicitaire ». Mitterrand leur a dit « Séguéla il est ce qu’il est, c’est un grand professionnel, ils peuvent se tromper une fois mais pas deux, parce qu’ils comprennent pourquoi ils se sont trompés », c’est la seconde chose qui m’a repoussé à tout jamais des cercles socialistes. C’est à ce moment là qu’est arrivée La force tranquille. François Mitterrand l’a tout de suite aimée « Séguéla vous m’avez trouvé », il a réfléchi intensément, et il m’a dit « mais la photo ne va pas ». Il était là il recadrait la photo : « on peut couper là ». J’ai compris qu’il voulait que l’on cache sa calvitie : « c’est le regard qui compte », qu’on le cadre plus serré, je lui ai dit « si on vous cadre, on ne verra pas l’église de Sermages, c’est ça qui compte, c’est une affiche de droite, on ne fait pas une affiche pour convaincre la gauche, sinon vous avez aucune chance d’être élu, mais pour convaincre la frange de droite qui peut se rallier à vous. L’effet viendra du titre et de Sermages ». Puis j’ai compris « vous avez peur de votre calvitie, mais c’est ça qui va vous faire aimer des Français. Ils veulent un grand-père, ils ne veulent pas un copain, n’ayez pas peur de votre âge, c’est votre plus grande force ». Quand la Force Tranquille est parue, elle a été critiquée par tout le monde. Les journaux étaient de droite, aujourd’hui ils sont à 80% de gauche, et nous tapaient dessus comme des sourds. Les publicitaires ont voté et j’ai eu 8/10. L’affiche, complètement nulle, de Chirac a eu 14/10. La force tranquille a fait son chemin. Je continue à dire que c’est parce que Mitterrand a gagné et qu’il l’a soutenue jusqu’au bout que cette affiche est devenue célèbre et mythique. Dans sa campagne, il a plusieurs fois rappelé La force tranquille. Je lui avais dit « finissez tous vos discours par La force tranquille ». Sur la fin, ça c’est enflammé et le slogan l’a porté. C’est le miracle de cette affiche, qui au début est sortie à la fois dans l’indifférence et dans l’irrespect de la publicité traditionnelle. On avait encore en tête Lecanuet avec son sourire haleine fraiche et un titre ridicule. Ça a fait monter la sauce quand on a compris qui était Mitterrand, que les Français le retrouvaient dans cette Force Tranquille pendant la campagne puis tout au long de ces quatorze ans. L’affiche est encore présente aujourd’hui, elle a même effacé Génération Mitterrand qui est une affiche bien plus créative, bien plus marketing, bien plus astucieuse que La force tranquille qui est assez brutale. La grande force, ce que je voulais, fut de faire une affiche sociologique et pas politique.
Pourquoi la Force Tranquille est-elle une affiche « de droite » ?
C’est une affiche de droite pour qu’optiquement les gens de droite soient rassurés, le mécanisme de lecture d’une affiche n’est pas du tout rationnel, surtout pour une affiche politique, on sait, avant de la regarder, si on va l’aimer ou non. Si tu es de gauche tu l’aimes, de droite tu ne l’aimes pas. Il fallait que même un électeur de droite puisse aimer, être intéressé. Je voulais que le slogan qui allait porter sa campagne, La force tranquille – je n’ai jamais voulu de L’autre chemin qui était là pour faire plaisir aux socialistes – soit un slogan sociologique pour dépolitiser la campagne. Les Français détestent la politique politicienne, c’est-à-dire la politique en campagne, ils l’adorent avec un grand « P ». Mais pendant, quand les choses se politisent, tout ce qui est politisé devient sale, c’était moins vrai à l’époque, maintenant c’est totalement vrai.
Michel Bongrand s’attribue également la paternité de la Force Tranquille ?
Pour Michel Bongrand, c’est le combat de sa vie, il avait fait une affiche – je n’étais pas au courant – qui était une France forte et tranquille, mais qui ne montrait pas Mitterrand, il y avait des paysages français. Il est persuadé que j’ai pensé à la Force Tranquille parce que ses deux créatifs se sont retrouvés un moment chez moi, ils seraient venus me vendre la campagne. Cela ne s’est pas du tout passé comme cela ; nous étions rue Bonaparte, en conclave, il fallait que l’on trouve le titre de l’affiche, j’avais rendez-vous le lendemain avec François Mitterrand, on faisait ça très vite, on faisait des campagnes en une journée. Il y avait sept ou huit créatifs présents et j’expliquais « Mitterrand ne veut pas la Révolution il veut l’évolution, mais il veut absolument la sérénité dans tout cela, il veut la France avant tout, la France dans son ensemble ». A un moment, deux créatifs3 disent « en somme ton Mitterrand c’est la force tranquille du système ». Puis tout le monde parle, agite des slogans. Je les interromps :
« – Arrêtez vous, vous avez dit c’est La force tranquille, mais c’est l’affiche !
– T’es pas malade, mettre la force tranquille sur une affiche !
– C’est lui
– Ce n’est pas lui, Mitterrand c’est le contraire de ça !
– Vous ne le connaissez pas, moi je le connais, j’ai déjà passé 3 mois avec lui, une heure tous les lundi matin. C’est lui, c’est l’affiche !
– Tu vas au casse-pipe, mais si tu veux y aller, vas-y. »
J’ai du faire la mise en page avec un jeune stagiaire parce qu’ils ne voulaient pas faire cette campagne. Ils ne pensaient pas que c’était un slogan, j’ai choisi de toute cette réunion ce qui était la force de la campagne, c’est mon métier de directeur de la création.
En 1981 la première évolution de cette campagne c’est l’affiche, est-ce que l’on peut dire que la seconde vraie évolution c’est l’utilisation des courants socio-culturels ?4
Il ne faut pas se tromper, la première évolution c’est Mitterrand, il est vomi par les médias, exécré par la droite, avec une France qui est fondamentalement à droite, il est critiqué chez lui par le courant Rocard, il porte la croix de deux défaites cuisantes et est le ringard de la politique. Il est encore marqué par l’Observatoire et affublé des qualificatifs de « Janus » ou « Mazarin ». Il va se révéler pendant cette campagne, dès son premier face à face contre Giscard – que nous préparions tous les deux chaque lundi – c’est là qu’il gagne. Il enfonce le clou dans le second face à face. Il va prendre la tête et il ne la perdra plus. Le 1er janvier il était à 50,5%, il n’est plus jamais passé en dessous. La campagne était dans la poche.
Les courants socio-culturels – c’est ma nourriture terrestre – issus des sondages et des études donnent l’attente des Français. Autrement dit La force tranquille est sortie directement des attentes socio-culturelles. Quand Bongrand dit une France forte et tranquille, il ne dit pas du tout la même chose – mêmes si les mots sont les mêmes – c’est une affiche politique politicienne. Avec La force tranquille, c’est : « moi, Mitterrand, je suis la Force Tranquille », je suis la force, c’est mythique, c’est Spielberg et Lucas.
pour lire la seconde partie de cette interview n°48 de la Lettre de l’Institut François Mitterrand).
Journal de TF1 du 21 Mars 1981 : Présentation de la « seconde « affiche de campagne du candidat François Mitterrand
- Bernard Brochand, député-maire de Cannes, était à l’époque patron de l’Agence DDB
- NDLR : cette campagne se situe dans le cadre de la préparation des élections municipales de 1977 et date de 1976. Le slogan a été attribué à Jean-Pierre Chevènement, mais Philippe Maraninchi, directeur de la création, le revendique.
- NDLR : Dominique Chevallier (directeur de la création), Anne Storch (rédactrice stagiaire).
- La parole de Dieu, Editions Albin Michel, Paris, 1995.