C’était donc il y a quarante ans. Consécutive à la mort de Georges Pompidou, l’élection avait lieu bien avant son échéance normale qui était 1976 et sans doute arrivait-elle un peu trop tôt. Non programmée, il avait fallu tout organiser en quelques semaines.
Nous disposions, cependant de moyens beaucoup plus importants qu’en 1965. Les 800 m2 d’un étage de la Tour Montparnasse avaient remplacé les quatre petits bureaux de la rue du Louvre.
Des onze candidats qui sollicitaient les suffrages des électeurs, trois seulement avaient une chance d’accéder au second tour : François Mitterrand lui-même, à nouveau candidat de toute la gauche et, pour la droite, deux candidats qui ne se ménageaient pas bien qu’ils aient naguère gouverné ensemble : Jacques Chaban-Delmas et Valéry Giscard d’Estaing.
François Mitterrand menait une campagne particulièrement active. Présentant un programme concret, notamment en matière économique et sociale, réunissant des foules de plus en plus nombreuses et le tout dans une bonne harmonie avec les organisations politiques, dont le Parti communiste, et syndicales engagées à ses côtés. Il dira lui-même, dans un entretien à l’Unité que « pas une seconde, le candidat de la gauche ne s’est trouvé devant une pression des formations qui le soutiennent ».
A la veille du 1er tour, nous savions que le scrutin final se jouerait à quelques centaines de milliers de voix. Il restait donc, dans les dernières heures, à convaincre les électrices et les électeurs qui hésitaient encore à voter à gauche et dont l’effort serait décisif.
Le dimanche 5 mai, onze millions de Françaises et de Français votaient pour le candidat de la gauche qui se retrouvait donc en présence de Valéry Giscard d’Estaing après le sévère échec de Chaban-Delmas. Selon les sondages, les deux finalistes avaient des chances de victoires à peu près équivalentes. François Mitterrand se retrouvait en tout cas dans la même position que le Général De Gaulle en 1965 et que Georges Pompidou en 1969. Un vrai changement était devenu possible avec la gauche rassemblée. Il nous paraissait à portée de la main.
Les médias s’intéressaient évidemment au face à face télévisé dont certains diront qu’il s’était déroulé à l’avantage de Valéry Giscard d’Estaing traitant François Mitterrand d’ « homme du passé ». Je soulignais au contraire dans l’Unité que François Mitterrand avait attiré à lui de nouveaux courants bien au-delà des organisations qui dès le départ soutenaient sa candidature : il s’agissait non seulement de l’extrême gauche mais aussi de tous ceux, gaullistes, chrétiens, centristes, républicains de diverses nuances qui, placés devant le choix décisif, préféraient le camp du progrès et de la justice à celui du conservatisme et de la réaction.
Toute la journée du dimanche 19 mai nous étions donc dans l’attente anxieuse des résultats qui allaient, hélas, se traduire pour nous par une énorme déception. François Mitterrand avait obtenu 13 millions de voix. Il en avait manqué 420.000, bien qu’il ait dépassé la majorité absolue dans 44 départements, ce qui était une grande promesse pour l’avenir.
C’est à partir de là que François Mitterrand va aussitôt rebondir dès le lundi matin. Alors que nous l’attendons, un peu triste, à la Tour Montparnasse, il arrivait en pleine forme. « Pas d’abattement, nous disait’ il, le combat reprend dès aujourd’hui. La prochaine fois sera la bonne ».
Il avait raison. « La prochaine fois », le 10 mai 1981 était la bonne !