Le Président François Mitterrand est accueilli par le Maire Maurice Voiron lors de son déplacement à Jarnac à l’occasion de l’inauguration de l’Espace Culturel de l’Orangerie le 6 mars 1995.
A l’occasion de la commémoration du 19e anniversaire du décès de François Mitterrand, l’Institut François Mitterrand et l’Association des Amis de l’Institut François Mitterrand, vous convie le 8 janvier 2015 aux manifestations commémoratives organisées à Jarnac :
10h : Regroupement à la Maison Natale de François Mitterrand,
10h30 : départ à pied pour le cimetière des Grands’ Maisons,
11h00 : Commémoration et dépôt de gerbes au cimetière des Grands’ Maisons
ENTRETIEN ACCORDE PAR MONSIEUR FRANCOIS MITTERRAND, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, A FRANCE 3
A L’OCCASION DE L’INAUGURATION DE L’ESPACE CULTUREL DE L’ORANGERIE
Jarnac, le lundi 6 mars 1995
QUESTION : Monsieur le Président de la République, bonjour. Merci d’avoir accepté d’accorder cet entretien à France 3 Poitou-Charentes. Nous sommes donc à Jarnac, à quelques pas seulement, de la maison où vous êtes né. Nous nous trouvons dans l’Espace culturel de l’Orangerie que vous venez d’inaugurer. C’est ici qu’est rassemblée votre donation : 200 objets qui vous ont été offerts par des chefs d’État, des particuliers ou des élus, ainsi que l’ensemble de vos discours prononcés lors de vos deux septennats. Vous avez, nous dit-on, choisi le nom : Espace culturel de l’Orangerie. Pourquoi ce nom ?
LE PRÉSIDENT : On m’en a proposé plusieurs. Je n’ai fait aucun effort d’imagination. Il y a eu des propositions dont certaines portaient mon nom : je ne l’ai pas souhaité. Et je trouvais que « l’Orangerie », qui est le nom même du lieu, Quai de l’Orangerie, au bord de la Charente, que j’ai toujours connu depuis ma petite enfance, s’adaptait le mieux. Et en plus c’est beau, l’Orangerie !
QUESTION : Qu’est-ce qui a présidé au choix des objets, puisque vous avez déjà créé un musée du septennat à Château-Chinon : pourquoi ce nouvel espace culturel ?
LE PRÉSIDENT : Comme je l’ai expliqué tout à l’heure, j’ai réparti en quatre fondations l’ensemble des objets que j’ai reçus pendant mes septennats. Les objets divers, – dont certains objets très intéressants, d’autres moins, peu importe, – cela constitue le fonds du musée de Château-Chinon, qui est un musée relativement important. Les livres : j’en ai envoyé 18.000 environ, pour l’instant, au centre culturel Jean Jaurès à Nevers. Les tableaux : ils sont allés au musée de peinture de Clamecy. Pourquoi ces trois villes ? Clamecy et Château-Chinon sont les deux principales villes de la circonscription que j’ai représentée et Nevers est la capitale du département de la Nièvre, département dont j’ai été l’élu pendant trente-cinq ans. C’est donc toute ma vie publique qui se trouve là et j’ai voulu marquer ma gratitude à l’égard des habitants de ce département. Mais je ne pouvais pas oublier mon département d’origine, auquel je suis très attaché. J’ai donc mis à part les estampes ; c’est-à-dire toutes les images imprimées par le cuir, par le bois ou par la pierre, et qui représentent un certain nombre d’oeuvres originales intéressantes. J’y ai ajouté une quarantaine de sculptures, de façon à agrémenter l’exposition.
QUESTION : Et vous léguez également vos discours à Jarnac.
LE PRESIDENT : Ces discours sont à la disposition de tout le monde.
QUESTION : C’est très symbolique, parce que les discours c’est un peu ce qui permet de décrypter votre personnalité. Est-ce une façon pour vous d’être plus présent auprès des vôtres, d’inviter les historiens à faire le lien entre Jarnac et votre part de vérité ?
LE PRESIDENT : Je crois que c’est un lien évident : donc il faut s’y reporter. Je ne peux pas m’expliquer à moi-même ce que je suis et ce que je ressens sans retrouver tout ce qui m’a formé ici, en Charente : les images d’abord, les sensations, les impressions, les souvenirs de famille et puis l’environnement amical. Tout cela est lié et fait partie de moi.
QUESTION : Vous avez dit : « Je n’ai jamais vraiment quitté Jarnac ».
LE PRESIDENT : C’est vrai, jamais vraiment. Il y a toujours la maison, il y a les tombeaux de mes parents, grands-parents, arrière-grands-parents. C’est dire combien les racines sont profondes.
QUESTION : Vous avez des liens profonds, vous venez de le dire, avec la Saintonge. Vous l’avez écrit mais vous n’avez jamais vraiment fait preuve de favoritisme, comme d’autres responsables politiques à l’égard de votre pays natal. Vous n’avez pas, à notre connaissance, en tout cas, reçu ici, comme à Latche par exemple, des chefs d’Etat ou de gouvernement. Est-ce qu’il faut attribuer ce comportement à une forme de pudeur saintongeaise ?
LE PRESIDENT : Non. Je suis Saintongeais, j’ai les qualités et les défauts des habitants de ce pays mais la question ne s’est pas posée car je n’ai pas de demeure à Jarnac. La maison familiale appartient à l’une de mes soeurs, aujourd’hui. Tandis que Latche, c’est chez moi et c’est donc un peu différent. Mais j’aurais aimé habiter Jarnac. C’est la vie qui a fait les choses autrement.
QUESTION : Il n’y avait pas une volonté de préserver un jardin secret ? Vous avez eu une enfance très heureuse, je crois.
LE PRESIDENT : J’aurais été très fier de montrer la maison de mes parents, qui fut celle de mon enfance. Non, non, cette pudeur ne va pas jusque-là.
QUESTION : Vous avez souvent été décrit comme l’homme d’un terroir ; justement, la Saintonge avec le fleuve Charente qui est juste derrière vous mais aussi les vignes de Cognac, les bois, les prairies, un paysage ondoyant. « On est du pays de son enfance », avez-vous écrit. Certains de vos biographes vous ont même décrit comme aussi insaisissable que le fleuve Charente, dont le maire a dit tout à l’heure qu’il est sage mais que parfois il se fâche. En quoi ce paysage a-t-il forgé votre caractère ?
LE PRESIDENT : Vous me posez là une question bien calée ! Je ne peux pas vous le dire. Mes origines, par mon père, sont berrichonnes et si j’ai dit qu’on était du pays de son enfance c’est parce que je n’ai pas vécu dans le Berry. J’ai vécu dans le pays de ma mère, ici même. Et si j’aime aller dans le Berry retrouver les traces de ma famille paternelle, il est vrai que tout ce qui est en moi se rattache à Jarnac ou à différents paysages de la Charente que j’ai connue autrefois. Alors, insaisissable ? Je ne sais pas. Je suis Charentais même si, en voyant les discours rassemblés ici, je pense que j’ai trop parlé, au fond, pendant ces quatorze ans. Mais je n’ai pas un naturel tellement bavard. J’aime bien me taire, et c’est vrai qu’il y a une forme de discrétion charentaise dont j’ai pris ma part.
QUESTION : Est-ce que vous pouvez être l’homme de plusieurs paysages ?
LE PRESIDENT : Oui, quand même ! Mais ici, je ne connaissais pas la montagne ; ici, je ne connaissais pas la mer. Il fallait aller jusqu’à l’autre bout de la Saintonge. Pendant longtemps, j’ai cru que le monde s’arrêtait à la distance où pouvait me conduire ma bicyclette.
QUESTION : Vous connaissez bien les chemins, encore ?
LE PRESIDENT : Très bien, très bien ! Quelquefois, je les reconnais moins bien, parce que toute une vie moderne est passée par là : regardez les routes pour aller de Jarnac à Cognac. Mais je connais les détours et je passe par là.
QUESTION : Alors, la ténacité : on dit beaucoup que vous êtes tenace. Est-ce que c’est saintongeais ?
LE PRESIDENT : C’est saintongeais ! D’ailleurs, toutes les vieilles histoires saintongeaises m’ont été contées par des Saintongeais. L’un des mes arrière-grands-pères, qui s’appelait Beaupré Lorrain, a été, avec Burgaux des Marets, l’un de ceux qui ont essayé de ressusciter le dialecte charentais, le patois. Il le parlait fort bien, d’ailleurs ! Et j’ai trouvé, à travers ces fables, ces contes, ces récits, beaucoup d’exemples qui montrent que l’on considérait déjà depuis longtemps que la ténacité et la patience étaient charentaises.
QUESTION : Alors, pourquoi n’avez-vous pas envisagé de mener votre vie politique à Jarnac ou en Charente, hors les raisons de circonstances ? Il y avait des raisons pour cela ?
LE PRESIDENT : Non, pas du tout, ce sont les circonstances. A l’époque, c’était Félix Gaillard qui était député de la circonscription de Cognac et Jarnac. Je le connaissais d’ailleurs bien, j’avais avec lui des relations très cordiales. Mais il ne m’est pas venu à l’idée de venir le combattre ici.
QUESTION : Vous l’auriez souhaité ?
LE PRESIDENT : J’aurais bien aimé.
QUESTION : Un petit regret ?
LE PRESIDENT : Je n’ai pas de regret parce qu’ensuite j’ai vécu une vie politique passionnante dans la Nièvre, qui m’a beaucoup apporté.
QUESTION : Justement, quelle distinction personnelle vous établissez entre Jarnac, Château-Chinon, dont vous avez été longtemps l’élu – vous l’avez rappelé tout à l’heure – et puis bien sûr Latche où vous avez votre résidence ?
LE PRESIDENT : Cela, c’est autre chose. Je suis Saintongeais, essentiellement. Ma vie politique s’est déroulée entièrement dans le Nivernais et dans le Morvan. J’ai été leur représentant pendant trente-cinq ans et l’on pourrait dire à la limite que je le suis toujours : donc, pendant quarante-neuf ans. Tout cela crée naturellement des attaches très fortes. Mais c’est une greffe, pas tout à fait le tronc original. Quant à Latche, c’est la maison, la maison familiale. J’y trouve beaucoup de plaisir, j’aime les Landes. C’est une qualité d’une nature un peu différente : je vais là-bas, mais je ne suis pas de là-bas.
QUESTION : C’est toujours ici que vous revenez ?
LE PRÉSIDENT : J’y viens souvent. Je ne suis pas revenu depuis quelques mois mais je suis bien content aujourd’hui.
QUESTION : Est-ce que vous n’avez pas été tenté tout de même, une fois, de faire une sorte de coupure avec Jarnac parce que c’est quand même une terre plutôt modérée, de modération, de conservatisme parfois ? Alors, que vous, vous êtes devenu le leader du socialisme français. Est-ce qu’à un moment, il n’y a pas eu une rupture de lien ?
LE PRÉSIDENT : Il n’y a pas eu de rupture parce que les Jarnacains ont été très gentils avec moi. Et si, dans l’ensemble de leurs suffrages, pour leurs élections locales, ils sont, en effet, de la couleur ou de la teinte que vous venez d’indiquer, lorsqu’il s’est agi de moi, ils m’ont toujours apporté un concours très important. Et j’étais très fier de cela. Ce n’était pas tellement pour moi, mais c’était en souvenir de ma famille ou peut-être à cause de l’amitié naturelle de gens du même pays, qui dépassait les idéologies.
QUESTION : La Charente est une terre radicale: on dit toujours que la Charente est radicale.
LE PRÉSIDENT : Oui, on dit cela. Il ne faut pas trop répéter les mêmes choses.
QUESTION : Vous avez parlé de « civilisation » charentaise ?
LE PRÉSIDENT : Une forme de civilisation, que je vois dans le paysage, dans le langage, dans les moeurs, dans l’architecture : oui, c’est une forme de civilisation qu’on ne trouve pas partout.
QUESTION : Nous sommes ici dans une bibliothèque et vous allez bientôt inaugurer la Grande Bibliothèque de France. Alors, est-ce votre oeuvre majeure ? Vous aimez beaucoup les livres.
LE PRÉSIDENT : Je crois que j’ai engagé beaucoup de constructions, de restaurations, et que j’ai eu la chance d’avoir le temps de le faire. Je pense que ce qui restera le plus, qui marquera le plus, cela sera tout de même la restauration du Louvre et l’ensemble de ses aménagements : la Cour carrée, la Cour Napoléon et puis les Jardins des Tuileries qui, comme vous le savez, vont être complètement remaniés. Mais, naturellement, je citerai la Bibliothèque de France parmi les travaux très importants que j’ai engagés, non seulement par le volume de l’édifice mais aussi par la signification culturelle qu’elle représente, puisqu’elle sera reliée à toutes les universités.
QUESTION : On vous a souvent présenté comme l’homme du verbe, l’homme des mots, que vous aimez beaucoup. Sous les deux septennats, on a un peu eu l’impression que c’était l’image qui triomphait parfois à travers la télévision. Est-ce que vous l’avez regretté ?
LE PRESIDENT : Non, non. J’ai été très mauvais à la télévision, je m’y suis fait peu à peu et je ne sais pas quoi en penser maintenant. Mais il m’a fallu des années pour m’habituer à parler à des machines. Vous voyez, pour l’instant, je vous parle et j’ai complètement oublié qu’il y avait une machine qui nous écoutait, nous enregistrait et allait projeter cette image au loin : mais j’ai mis longtemps à l’oublier. Alors, c’est à la machine que je parlais et naturellement on parle mal à une machine.
QUESTION : Pour terminer cet entretien : – si vous le voulez bien – une question plus générale. Vous n’êtes pas encore intervenu dans la campagne électorale. Alors, est-ce que vous allez le faire ? Est-ce que vous avez déjà déterminé de quelle façon…
LE PRESIDENT : Pour l’instant, la campagne se déroule entre les candidats concurrents et je dois veiller à préserver, à la présidence de la République, tout ce qui peut signifier un consentement national qui, autrement, risquerait d’être déchiré par tous les bords. Alors, je m’efforce à la discrétion. Je m’y intéresse : je trouve tout à fait normal que des hommes et des femmes de qualité souhaitent obtenir le consentement populaire. Je l’ai souhaité moi-même, et je n’éprouve – comment dirais-je ? – aucun regret, car la vie est ainsi faite, de ce que, aujourd’hui, ce soient, après moi, d’autres qui se disputent la responsabilité principale. M’exprimerai-je avant le premier tour de scrutin ? Je vous dirais que je n’en sais rien. Je n’ai pas d’idées préconçues. Mes idées, on les connaît : on ne peut pas supposer que je vais apporter mes suffrages aux conservateurs, même si j’ai de l’estime pour eux. Mon choix se fera très facilement. Mais on aura l’occasion d’en reparler.
QUESTION : Vous ne portez pas d’appréciation sur la campagne en cours, la remontée de M. Chirac par exemple ?
LE PRESIDENT : Non, non. Vous en parlez beaucoup vous-même. C’est intéressant !
QUESTION : Monsieur le Président de la République, je vous remercie, encore une fois donc, d’avoir accordé votre temps aux téléspectateurs de France 3 Poitou-Charentes. Merci.
LE PRESIDENT : Et merci aux Charentais !