Emile Biasini, l’homme du Grand Louvre et de la Bibliothèque François Mitterrand, nous a quittés le 5 juillet dernier, à l’âge de 88 ans.
Gaulliste de la Résistance, il devient conseiller technique d’André Malraux en 1960 avant d’être nommé, par l’homme des Métamorphoses, directeur du théâtre, de la musique et de l’action culturelle. Convaincu de l’importance de l’art pour façonner une société, il contribue à la création des « Maisons de la Culture », qui sont encore aujourd’hui à l’origine de l’esprit et de la démarche d’une majorité d’institutions culturelles.
Remercié par Malraux, il devient délégué interministériel pour la télévision en couleur, puis directeur à l’ORTF, en septembre 1967, où il impose notamment la série télévisée Les Shadocks créée par Jacques Rouxel.
Esprit indépendant au caractère trempé, il s’oppose à la « chasse aux sorcières » lancé par le pouvoir gaulliste après « les événements de 1968 » et démissionne avec fracas de son poste.
Réintégré au Ministère de l’économie et des finances, il préside alors, à la demande de Jacques Chaban-Delmas, la Mission interministérielle pour l’aménagement de la côte Aquitaine.
« Un jour, le 12 mars 1982, je m’en rappelle, le maire de Moliets [Landes] m’appelle: « Mitterrand veut vous voir. » Il m’emmène dans sa jeep jusqu’à Latche. Le Président taillait ses rosiers. Il m’a tendu la main comme s’il m’avait vu la veille : « Bonjour, Monsieur Biasini, voulez-vous faire le Grand Louvre ? » Je réponds : « Je ne sais pas bien ce que c’est, mais je suis d’accord. » »
L’aventure commence… Si François Mitterrand avait apprécié la rénovation de la National Gallery menée par l’architecte Ieoh Ming Pei et souhaitait qu’il participe « à l’un des grands projets publics » français, c’est Emile Biasini, nommé à la présidence de l’établissement public du Grand Louvre, qui finit de convaincre l’homme de l’art de se charger des travaux projetés.
« Le bulldozer du Louvre », comme l’avait surnommé le Président de la République, fut d’ailleurs le premier à lui présenter le projet de la fameuse « Pyramide » et défendit par la suite vigoureusement le choix présidentiel.
« J’ai été convié à New York au début de l’année 1983, I.M. Pei m’a montré une maquette sans la pyramide. Puis il m’a demandé de me retourner et a sorti de sa poche une petite pyramide qu’il a posée au milieu de la cour Napoléon. Il m’a demandé ce que j’en pensais : j’étais émerveillé. J’ai immédiatement téléphoné à François Mitterrand qui a donné son accord sur ce choix. »
Nommé le 13 mai 1988 secrétaire d’État chargé des Grands Travaux, il donnera corps à la Bibliothèque nationale de France, entre 1988 et 1993, et mettra une nouvelle fois la culture « en chantier » pour en faire « l’un des atouts majeurs de la promotion des hommes et de l’universalité de la démocratie » .
Emile Biasini aura participé à la réalisation de deux des plus importants chantiers du double septennat de François Mitterrand et restera surtout comme l’un des grands artisans de la politique culturelle « à la française ».
L’institut François Mitterrand publie, en sa mémoire, un texte qu’il avait réalisé en novembre 2003 sur les « Paris de François Mitterrand ».
Émile J. BIASINI, Ancien secrétaire d’Etat aux Grands Travaux
L’association du Louvre, monument le plus représentatif depuis près de 8 siècles de notre continuité nationale et de l’offre d’un enrichissement culturel universel, a permis à François Mitterrand de symboliquement illustrer un aspect fondamental de sa pensée politique : lier la continuité historique à la nécessaire universalité de la promotion des hommes.
C’est pourquoi, si le Louvre n’a pas été la plus importante de ses actions, il lui a toujours accordé une place de choix dans son bilan personnel.
Sa volonté de modernisation de la Bibliothèque Nationale relève de la même politique. Mais outre que la décision d’origine ne lui est pas propre, la valeur symbolique de l’immeuble réalisé n’a pas le même sceau historique.
Les deux réalisations restent cependant les plus représentatives de l’importance que François Mitterrand accordait à la culture dans son action politique. Il en a donné la preuve. En attribuant d’abord au ministère de la culture plus de moyens financiers qu’il n’en avait jamais reçus. En prélevant ensuite sur le budget général de l’Etat les crédits nécessaires pour que les grandes institutions culturelles dans tous les domaines mettent un terme à un étiolement qui paraissait malheureusement inéluctable tant les charges de l’Etat sont lourdes et multiples.
Pour avoir eu l’honneur d’être associé à cette action pendant ses deux septennats, je peux témoigner de l’importance fondamentale que François Mitterrand attachait à l’action culturelle. D’aucuns ont voulu y voir les effets d’une recherche de notoriété personnelle. Cette réaction vaniteuse est injuste et injurieuse pour sa mémoire.
Bien au contraire, je peux ici témoigner qu’il m’a toujours reproché d’associer son nom aux réalisations qui procédaient de son ordre. Je m’en défendais en précisant que je ne le faisais que pour des raisons d’efficacité. Il me répondait alors par un sourire las et indulgent que je n’oublierai jamais.
Mais l’obtention des crédits était tellement liée à sa personne que je souhaitais ainsi rendre inéluctable l’achèvement des travaux, au-delà des fluctuations politiques. Les difficultés rencontrées lors de la cohabitation de 1986 pour la continuation harmonieuse du Grand Louvre m’ont servi de leçon (et coûté au surplus beaucoup d’argent).
D’éminentes complicités ne suffisaient plus alors. J’ai compris pourquoi l’agrandissement de la Bibliothèque Nationale de la rue de Richelieu avait mis environ 130 ans à se faire (la Révolution fut certes cause de retard mais pas à ce point !). François Mitterrand put, lui, visiter à la fin de ses mandats la nouvelle Bibliothèque Nationale qu’il avait commandée.
Aujourd’hui, comme l’ensemble des Grands Travaux, elle témoigne bien de sa volonté de faire de la culture et de son actualisation l’un des atouts majeurs de la promotion des hommes et de l’universalité de la démocratie. Il a su pour son temps en donner les moyens à l’Etat.
L’adéquation entre discours et action n’est malheureusement pas une qualité permanente des hommes d’Etat. François Mitterrand la possédait.