Monsieur le Président,
– Madame,
– Permettez-moi de vous dire à vous-même, à vos convives, à tous vos compatriotes combien nous sommes heureux de nous retrouver en Hongrie, à ce moment de son histoire et de l’histoire de l’Europe.
– Ma première visite dans votre pays date de 1982. Il s’agissait également de mon premier déplacement officiel en Europe centrale.
– Aujourd’hui, le visage de l’Europe change, plus vite et plus profondément que quiconque, il y a encore un an, quelques mois, n’eût osé l’espérer. Grâce au courage des peuples et grâce à ceux qui ont compris qu’il était temps que la liberté retrouvât ses droits, cette fin de siècle voit la renaissance de l’Europe.
– Votre pays a été l’un des premiers, sinon le premier, a vouloir ce changement, à s’y préparer depuis longtemps, à y contribuer en décidant, d’appliquer, dans les faits, le principe de la libre circulation des hommes. J’ai rappelé le choix fait par la Hongrie des réformes économiques. Ce choix s’est renforcé, étendu à la sphère politique. Les premières élections libres depuis la guerre auront lieu au printemps de cette année. Et dans le même souffle, pourrait-on dire, la Hongrie renoue avec son passé, récent ou plus lointain, avec son histoire, avec sa culture. Je pense aux funérailles d’Imre Nagy, célébrées par tout un peuple, qui, dans l’allégresse et la gravité mêlées du souvenir, se retrouvait uni autour d’une idée de la patrie et de la liberté, qui n’a pas varié depuis que Petofi la chantait et la défendait au prix de sa vie.
Monsieur le Président et madame, mesdames et messieurs, je veux vous dire que dans ce qu’elle entreprend la Hongrie peut être assurée du soutien et de l’amitié de la France, dans tous les domaines : économique, d’abord : nos échanges ont progressé, ce qui ne signifie pas que nous ne soyons pas désireux et capables de faire mieux. La création des premières sociétés mixtes franco-hongroises, l’implantation durable dans votre pays de bureaux de représentation de banques françaises sont de bon augure pour l’avenir. Eh bien, ces exemples doivent se multiplier. Le colloque qui vient de se dérouler avec la participation d’industriels des deux pays permettra, je le pense, de jeter les bases d’une coopération plus étroite encore.
Nous voulons également développer notre présence et notre action culturelles. Nous ne faisons en cela qu’obéir à une loi très ancienne qui, depuis des temps reculés, guide nos pays l’un vers l’autre. Le roi Etienne Ier n’invita-t-il pas des savants, clercs et moines de l’Abbaye de Cluny ? D’autres vinrent ensuite, de Citeaux, de Clairvaux appelés par les grands monarques de Hongrie qui savaient à la fois combattre sur les confins et reconnaître la richesse de la culture humaniste. C’est en se réclamant de cette tradition illustre que nous devons travailler ensemble, échanger nos expériences, lancer des programmes de formation, en matière linguistique sans doute, mais aussi de gestion, d’informatique, d’économie. Nous sommes prêts, quant à nous, à multiplier ces initiatives avec votre aide, dans le cadre notamment des lycées bilingues franco-hongrois.
–
Il est normal, il est juste que s’exprime par un ensemble d’actions concrètes la solidarité entre nos deux nations. La réussite de ce qui se passe ici, comme dans les autres pays d’Europe centrale et orientale est en effet déterminante pour les nations occidentales. La communauté des Douze s’y est engagée en Hongrie, en Pologne et maintenant dans d’autres pays. Les programmes d’aide mis au point par la Commission, le lancement il y a trois jours à Paris de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, traduisent cette volonté. Encore ne sommes-nous qu’au début du chemin et nos efforts paraîtront-ils en ce jour signifiants par rapport à ce qu’il convient d’accomplir dans un avenir proche.
– Il n’est pas utile, mesdames et messieurs, de vous présenter la Communauté des Douze. Dès septembre 1988, votre pays signait avec elle un accord de commerce et de coopération. Je sais que vous appréciez et que vous comprenez le travail de longue haleine qui nous conduit, nous les Douze, à renforcer nos structures, à instaurer un grand marché unique, à préparer l’Union économique et monétaire et, à mettre en chantier une Europe sociale. Mais ce qui se passe ici et dans votre environnement, nous impose d’aller plus vite. Une communauté forte, forte de sa réussite économique, mais forte aussi de ses idéaux de démocratie, de pluralisme, de respect des droits de l’homme est nécessaire à la construction de l’Europe tout entière à laquelle il nous faut réfléchir. Mais, vous mêmes, vous êtes d’Europe autant que nous, vous appartenez à la Communauté européenne dans son ensemble. On peut imaginer des structures différentes. Mais Etat souverain égal riche d’histoire, je ne vois pas ce qui vous distinguerait de mon propre pays, sinon l’état présent, la démographie, les situations géographiques qui ne doivent aucunement empêcher un accord approfondi entre tous les peuples d’Europe.
– D’ores et déjà, l’allégement des tensions, la fin du silence, silence des individus, silence des Nations, silence qui pour certains s’apparentait à une sorte d’ordre, laissent apparaître des questions nouvelles ou bien anciennes et même très anciennes : l’éveil des nationalités, les aspirations des minorités, le devenir des alliances militaires.
– Tout cela doit être traité et réglé dans une perspective d’ensemble. D’où la proposition que j’ai émise d’une confédération européenne qui associerait tous les Etats de notre continent tant qu’ils le voudront, bien entendu, ceux qui auront franchi les étapes de la démocratie et du pluralisme au sein d’une organisation commune et permanente d’échanges, de paix et de sécurité. Il s’agit là, j’en suis convaincu, de l’avenir. Et dans l’avenir chacun pourra se retrouver. Pourquoi imaginerait-on une Communauté des Douze représentant 320 millions d’habitants aujourd’hui première puissance commerciale du monde qui pourrait être aussi en tête sur le plan industriel, sur le plan de la recherche et qui ignorerait des pays voisins qui n’ont pas connu depuis peu de temps la même histoire, mais dont les racines plongent tout autant que les nôtres dans la réalité de l’Europe ?
– Mais l’idée se précise, ces temps-ci, d’une réunion des 35 Etats membres de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. J’ai proposé d’accueillir cette conférence à Paris, surtout pour faciliter le débat et hâter les démarches. Je crois qu’un élan majeur serait donné lors de ce sommet au processus de désarmement, plus prioritaire que jamais, à la coopération économique et à l’instauration d’un véritable Etat de droit dans toute l’Europe.
Enfin, je tiens à dire que ce que nous ferons des dix années qui nous séparent de l’an 2000 commandera la suite et dira si nous avons su consolider l’immense espérance qui s’est levée en 1989.
– Monsieur le Président, madame, l’année qui vient de s’écouler est souvent comparée, dans les chroniques qui fleurissent, à 1848. Or, en 1848, un hebdomadaire hongrois publié à Paris affirmait que la Hongrie était mieux connue à l’époque de Louis XIV qu’au milieu du XIXème siècle. C’est vrai que la France du XVIIème et celle du début du siècle des Lumières se passionna pour la Hongrie : Montesquieu s’y rendit, Voltaire analysa toutes les réalités de votre pays. Un trop long oubli ou un trop long silence, une trop longue séparation mais qu’est-ce que deux siècles ? Je pense que les conditions sont maintenant réunies pour que s’épanouisse à nouveau un intérêt si ancien pour que revive surtout une amitié active, séculaire. C’est dans cet esprit, monsieur le Président, que je vous propose de lever nos verres, selon la tradition qui nous est commune. A votre santé, monsieur le Président, madame, à la santé de ceux que vous aimez, de ceux que vous avez rassemblés autour de cette table auxquels je m’adresse de la même façon et puis au-delà de vos personnes, au-delà de cette salle, au-delà de ce lieu, au peuple hongrois tout entier que je salue comme un ami de mon peuple et que j’ai été heureux de venir rencontrer dans son propre pays.