Monsieur le Président,
– Mesdames et messieurs,
– Je vous dirai à vous, monsieur le Président, à vos invités de ce soir, à tous vos compatriotes roumains, notre grande satisfaction d’être dans votre pays aujourd’hui, en ce moment particulier, déterminant, de votre histoire et de l’histoire de l’Europe.
– Après le temps des épreuves, voici venu celui des retrouvailles. Nous sommes ensemble et nous pouvons parler de l’avenir.
– Je suis heureux pour ma part, de renouer avec la Roumanie et sa population, son peuple si proche des Français. Vous avez évoqué la longue tradition d’amitié, de contacts, d’affinités tissées au cours des derniers siècles. Ce n’est pas une phrase rituelle, mise là simplement parce que c’est simplement de tradition ou de courtoisie. C’est vraiment ressenti par nous tous.
– A Paris et à Bucarest, que vous surnommez je crois le « Petit Paris » – pourquoi petit ? – se sont rencontrés tant de personnalités, d’écrivains, d’artistes des deux pays, de responsables politiques. Je pourrais en citer une longue liste j’en ai noté ici quelques-uns. Je me sens presque gêné de les dire tant j’ai le sentiment d’être injuste pour les autres. J’avais noté naturellement le nom de Paul Morand, dont je lisais encore il y a quelques jours, pour me rappeler d’anciens souvenirs et préparer ce voyage, quelques-unes des oeuvres consacrées à la Roumanie, le nom de Roland Barthes. Evoquerais-je Tristan Tzara, dont j’achetais la semaine dernière dans une libraire rencontrée au hasard de mes promenades dans Paris, le « Manifeste de Dada », Anna Brancovan que nous connaissons sous le nom de Comtesse de Noailles. Et plus près de nous, combien d’autres dont certains sont nos voisins, nos contemporains, dont nous aimons voir une pièce de théâtre, lire les poésies, les réflexions, la philosophie, regarder la sculpture. Tout cela est tellement mêlé à notre vie française que je ne puis vous dire ce qui est roumain et ce qui est français.
Je crois être le premier chef d’Etat occidental à effectuer une visite ici depuis 1989. Je ne suis pas fâché de cette particularité. Serait-ce un manque d’empressement de la part de quelques autres ? C’est sans doute beaucoup plus le doigt du destin qui veut que la France soit là quand ses amis ont besoin d’elle.
– Au demeurant, ma visite n’est pas le comment de toute chose. Dans les quarante-huit premières heures de votre révolution, plusieurs de mes amis étaient déjà auprès de vous. Je veux vous répéter maintenant la volonté qu’a la France de soutenir la Roumanie dont nous savons qu’elle entreprend dans des conditions difficiles, héritées de la dictature, le changement d’institutions, un changement plus profond encore de façon d’être, de concevoir la vie en commun, changement de mentalité le plus difficile, le plus long à acquérir au milieu de tant de doutes, d’inquiétudes, d’incertitudes. Et voilà que vous devez mettre en place les réformes qui conduisent à l’état de droit et au marché ouvert dont vous avez parlé. Je veux aussi apporter le témoignage de la sympathie qu’éprouve le peuple français pour tout ce qui est entrepris par le peuple roumain. C’est la deuxième fois que je le dis en quelques minutes. J’éviterai de le répéter ; c’est pourtant l’explication majeure de tout ce que j’ai à vous dire.
– La France a retrouvé le chemin de la Roumanie. Vous vous souvenez, vous avez bien voulu le noter, des actions d’urgence décidées pendant les journées de décembre qui ont permis, je crois, à de nombreux convois dits humanitaires ou simplement d’amitié d’atteindre la Roumanie.
– L’élan, soyez en sûrs, n’est pas retombé. Il a été poursuivi et il le sera. Deux mille jumelages reliant des villes et des villages de nos deux pays ont été consacrés.
– Plus de dix membres du gouvernement français – je m’aperçois qu’ils voyagent beaucoup – se sont déjà rendus à Bucarest pour y lancer avec leurs homologues roumains de nouvelles actions de coopération. Certaines d’entre elles touchent à des problèmes douloureux, le sort des orphelins, des handicapés. Je vous remercier pour leur dévouement à ces grandes causes toutes les organisations caritatives françaises et leurs partenaires roumains.
– Ces visites s’expliquent par les raisons que j’ai évoquées tout à l’heure, mais aussi par notre conviction que la coopération et le dialogue sont porteurs d’évolution et de progrès.
Les moyens budgétaires mis par la France au service de la coopération culturelle, scientifique et technique avec la Roumanie ont été considérablement augmentés. C’est là qu’il faut placer l’effort.
– Et vous comprendrez que nous ne négligeons rien pour assurer la diffusion de notre langue et de notre culture qui trouvent parmi vous un terreau si favorable. Nous sommes chaque fois surpris d’entendre parler notre langue en Roumanie avec une sûreté, une souplesse et une présicion que j’aimerais retrouver partout où je vais en France. Nous apprécions votre attachement à la francophonie : des centres culturels nouveaux ont été créés à Iasi, à Cluj et Timisoara. Des lycées bilingues et des filières francophones sont mis en place dans les universités. Notre présence audiovisuelle a été renforcée, je vous en remercie, des échanges de jeunes ont été relancés, un accord sur la coopération et les échanges dans le domaine de la jeunesse et des sports sera signé pendant notre visite.
– En matière économique, si nécessaire, je crois que nos relations sortent du gel qui leur fut imposé. Favorisés par la soif d’apprendre de la jeunesse et la qualité de nos techniciens et spécialistes, les contacts entre nos industriels redeviennent actifs, jamais assez à mon goût, mais prennent un nouvel essor : vous même avez bien voulu procéder à l’achat de productions françaises ou européennes, je noterai particulièrement Airbus.
– Je pense que M. Le Premier ministre qui a vécu en France, et qui s’attache précisément à ces domaines du développement de la science et de la technique, a pu suivre, comme nous-mêmes, les projets à l’étude en informatique, dans l’automobile, dans la sidérurgie, les télécommunications, le tourisme, la construction, l’agro-alimentaire. Que cela aille plus vite et plus loin, c’est ce que je demande au-delà de cette salle. Au-delà des personnalités qui m’écoutent, j’aimerais aussi que les entreprises françaises, là-bas, m’entendent.
L’Europe qui se recompose se réjouit, je crois, la France en tout cas , de ce que la Roumanie reprenne peu à peu la place qui lui revient.
– Vous avez signé avec la Communauté européenne à laquelle nous appartenons, un accord de coopération économique et commerciale. L’étape suivante doit être la négociation d’un accord d’association. En outre, la Roumanie a été admise à bénéficier d’aides multilatérales : vous connaissez le programme dénommé « PHARE ».
– La Roumanie est aujourd’hui bénéficiaire du statut d’invité spécial auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
– Cela ne s’est pas fait tout seul, l’Europe est traversée, comme le reste, d’idéologies souvent contraires, d’intérêts politiques, de traditions diverses, les sources ne viennent pas des mêmes montagnes, et les rivières ne traversent pas les mêmes plaines. Et cependant, elles vont vers les mêmes océans, rivières et fleuves. La France tient à se placer partout où ce qui vient de Roumanie doit trouver un terreau pour son itinéraire en Europe. Et je tiens à dire que nous avons voulu – le ministre des affaires étrangères, M. Roland Dumas en a été, de notre côté, l’artisan – accompagner la Roumanie dans chacune de ses démarches, ouvrir les yeux européens qui restaient trop longtemps fermés et dire : la Roumanie a droit tout autant qu’aucun autre pays de l’Europe à prendre part à l’éveil qui secoue notre contient.
– Vous avez, je crois, la volonté de développer vos coopérations régionales, particulièrement dans les Balkans. Cela est de votre domaine et relève de votre situation historique et géographique, et nous comprenons fort bien cette volonté.
– Et je dois dire que je suis très satisfait de l’intérêt manifesté par votre pays pour le projet de confédération européenne que j’ai annoncé il y a un peu plus d’un an, et qui devrait définir les premières bases lors des assises qui se tiendront à Praque en juin prochain. Des Roumains s’y trouveront et vous rapporteront le fruit de nos travaux.
La disparition de la confrontation Est-Ouest, événement considérable que nous mesurons mal parce que nous le vivons et qui sera marqué dans les annales de l’Histoire comme l’un des grands événements du siècle. Il y a eu les guerres, deux guerres mondiales, c’est la première paix mondiale ou du moins dont l’effet européen est je l’espère acquis pour toujours. C’est le renouveau de la démocratie dans la plupart des Etats et les autres viendront. Tout cela nous donne le droit d’espérer que les nations européennes règleront désormais, par l’espoir ainsi proclamé leurs différends de façon pacifique.
– L’aspiration qui nous guide est celle de l’organisation progressive d’une sécurité collective sur le continent européen tout entier sans exclusive. Cela dépend bien entendu de la confiance, du bon voisinage, du dialogue, comme des garanties qui seront accordées aux multiples minorités, si nombreuses en Europe, au sein des Etats où elles sont établies.
– Monsieur le Président, sur tous les sujets que je viens de citer, nous avons je crois beaucoup à nous dire et la Roumanie et la France ont aussi beaucoup à dire aux autres, à tous les autres en Europe, ceux de l’Est, ceux de l’Ouest, ceux du Centre, ceux du Sud. Tous les azimuts sont permis désormais, il n’y a plus de frontières infranchissables. C’est l’événement majeur que j’ai célébré.
– A l’intérieur de cette Europe, il faut hâter à partir de là, la démarche démocratique. Il n’y aura d’ailleurs d’Europe véritablement unie que si elle se retrouve autour de quelques thèmes simples : celui de la démocratie qui signifie, vous en avez fait l’énumération tout à l’heure dans votre propre toast, la liberté d’écrire, de penser, de s’associer, d’aller, de venir, les droits de 1789 associés aux droits sociaux conquis par les classes ouvrières tout le long du XIXème siècle et par une partie du XXème siècle. Chasser loin de nous les autoritarismes des décisions prises par un seul, la domination d’un parti sur les autres, tout en respectant la loi de la majorité qui est la loi de la démocratie.
– C’est assez difficile – ne croyez pas que ce soit votre seul apprentissage qui me le fasse dire – partout parce que les hommes sont les hommes, que vous avons derrière nous des siècles et que le message d’il y a deux cents ans, lancé de Paris, ce message-là a encore beaucoup de chemin à parcourir pour atteindre tous les esprits et tous les coeurs. Mais c’est la voie à suivre, il faut respecter ceux qui nous combattent. Et la façon de les respecter c’est d’avoir une loi qui s’applique également à tous, avec les représentants du peuple et leur expression, avec un pouvoir exécutif sûr de lui-même et désireux de développer les libertés dans le respect général des équilibres d’un pays, avec le souci de faire avancer les progrès économiques indispensables à la démocratie là comme ailleurs, mais aussi d’aviver toutes les sources culturelles qui sont la marque même de l’identité d’une société humaine.
Tout cela c’est à vous maintenant – ce sera à d’autres plus tard, quand votre peuple le décidera – d’en assurer la réussite et la pérennité dans un scrupule absolu de la liberté de conscience. Je vous le dis ici, je ne cesse pas de le dire en France et pourtant notre pays est sorti de ce type de situation depuis beaucoup plus longtemps que vous. C’est un rappel constant aux valeurs permanentes sans quoi on en sort trop vite sous la poussée des intérêts et des passions.
– Voilà l’état d’esprit dans lequel je m’adresse à vous mesdames et messieurs. Voici ce que je voudrais exprimer dans ce toast : dire au Président Iliescu et à sa famille le voeu que je forme pour lui, pour elle, pour les êtres qui vous sont chers, pour la mission qui est la sienne, au-delà pour vous toutes et vous tous, mesdames et messieurs, qui nous recevez dans cette maison et au-delà de cette salle aux Roumains qui nous entendrons. Comme je serais fier que par ma voix, ils aient le sentiment d’entendre la voix de la France qui leur dira comme à chacun de ceux qui m’ecoutent, l’amitié, l’espérance, la volonté et puisque c’est un mot consacré – même s’il ne dépend ni de vous ni de moi – le bonheur d’un peuple qui tout de même se construit, quand on a décidé de servir les valeurs de civilisation dont nous sommes porteurs vous et nous.
– A votre santé monsieur le Président. A votre santé mesdames et messieurs, au peuple roumain tout entier.