Monsieur le président,
– Nous nous sommes connus dans de curieuses circonstances que vous venez de rappeler. Vous étiez à l’époque exilé dans votre propre pays et je crois avoir tiré grand profit des quelques échanges de vue que nous avons partagés, le temps d’un petit déjeuner, vous et plusieurs de vos compagnons qui combattaient pour la liberté. Aussi, est-ce une véritable joie pour moi que de vous retrouver à Prague, ville admirable, capitale d’un pays qui connaît la plus étonnante des métamorphoses.
– Quel changement et avec quelle rapidité ! Notre rencontre c’était le 9 décembre 1988. Le 29 décembre 1989, vous étiez élu à la Présidence de la République, vous qui aviez proné – je vous cite – : « La politique de l’homme et non de l’appareil ». Et nous voici aujourd’hui 13 septembre 1990 qui représentons l’un et l’autre et chacun le peuple qui l’a choisi. Vous aviez déjà par vos écrits et par vos acte et par votre personne représenté le symbole et l’exemple d’une vie consacrée au service d’une vérité. Serait-ce excessif que de dire que cette vérité avait quelques rapports avec la morale et avec la justice. Cela, les Français le savent et ils ont perçu votre élection comme l’aboutissement d’une révolution exemplaire puisqu’elle a arraché sans violence ce que vous avez appelé « Le masque imposé de l’apathie ».
– Madame, je vous remercie de bien vouloir nous accueillir au côté du Président Havel, ainsi que vous, mesdames et messieurs autour de cette table. Vous représentez un pays qui nous est cher, un peuple grand par son histoire et je suis sûr que vos visiteurs d’aujourd’hui sont heureux de vous rencontrer, car nos deux pays ont eu à travers le temps des relations d’une exceptionnelle qualité. On ne compte plus les hommes, les écrits, les oeuvres d’art communs à notre art, à notre histoire, à notre littérature. Vous en avez cité quelques-uns, je ne m’y essaierai pas, la liste est longue y compris parmi nos contemporains. Et puis, il y eut cette rupture, cet abandon dans un moment tragique et qui vous a frappé et dont les conséquences ont été terribles pour l’Europe, et ont atteint la confiance que votre pays nous portait.
– Je voulais rappeler ce matin, j’avais 21 ans, j’étais étudiant et soldat puisque j’accomplissais mon service militaire, c’est sur ces événements dramatiques que pour la première fois, je me suis exprimé par la plume dans la presse de mon pays et je puis me reporter à ces écrits et à mes sentiments pour vous dire que cet abandon je le porte encore en moi-même comme une blessure.
– Il nous appartient maintenant de renouer, de resserrer des relations dignes de cette histoire. Le mouvement est lancé, je ne parle pas seulement des contacts officiels, nombreux, utiles mais aussi des centaines, des milliers de visites déjà accomplies chez vous par des jeunes, des artistes, des industriels, des touristes, des curieux amoureux de votre histoire. Concerts, expositions, manifestations de tous ordres, on se bouscule pour venir à Prague et cet élan reposant, une sorte de gaieté, d’enthousiasme qui augure bien de l’avenir.
Nous devons répondre, monsieur le président, mesdames et messieurs à cette soif d’échanges. Beaucoup a été fait depuis le moment où j’ai eu le plaisir de vous accueillir à Paris lors de votre visite d’Etat, il y a six mois.
– Par exemple dans le domaine culturel. Je crois que la France a accompli là un effort très particulier. Trois accords seront signés pendant cette visite-là, sur la formation des cadres tchécoslovaques, l’accueil en France de stagiaires, le statut des centres culturels français à Prague et à Bratislava et tchécoslovaques en France. Bref, ce développement correspond aux souhaits que nous avions l’un et l’autre exprimés.
– La restructuration du centre culturel français de Prague a commencé. Il portera de nouveau le nom d’Ernest Denis qui a tant fait connaître en France les cultures tchèque et slovaque et popularisé au début de ce siècle l’idée de la résurrection d’un Etat tchécoslovaque. Je visiterai demain à Bratislava un centre culturel qui ouvrira bientôt. L’enseignement du français est en progression sensible dans les lycées et universités tchécoslovaques. Il l’est aussi dans les filières bilingues spécialisées qui viennent d’être créées dans quatre lycées dès la rentrée 1990, en attendant l’ouverture d’autres sections l’année prochaine. Pendant l’été, plusieurs centaines de professeurs tchécoslovaques de français ont perfectionné leurs connaissances d’enseignement, tandis que de nouveaux enseignants et lecteurs français s’installaient chez vous. Des centaines de bourses d’études seront distribuées, tandis que plus d’un millier de jeunes pourront voyager entre nos deux pays grâce à des financements de l’Etat et je vous remercie de la présence française à la radio et à la télévision de votre pays.
Il faut le dire, si les échanges culturels se développent de façon très satisfaisante, les échanges commerciaux et la coopération économique ne sont pas à la hauteur de nos possibilités et de nos espérances.
– La transformation d’une économie n’est certes pas aisée et la conjoncture économique et internationale, notamment dans le domaine énergétique rend votre tâche encore plus ardue. Sachez que nous sommes prêts à rechercher avec vous des solutions et participer à ce que vous avez vous-mêmes nommé la deuxième révolution, celle de l’économie. Automobile, nucléaire, transports terrestres, aériens, télécommunications, tourisme etc… les moyens de coopération ne manquent pas. Et, nous avons connu dans le passé des réussites tchécoslovaques tout-à-fait remarquables. Avant la guerre, certaines de vos entreprises paraissaient comme des modèles et je me souviens que dans ces années-là nos regards se portaient souvent vers votre pays.
Monsieur le président, les conversations que nous avons eues, les actes que vous avez posés depuis votre accession à la tête de l’Etat, montrent l’importance que vous attachez aux relations que tissent entre eux les pays d’Europe. Vous vous placez sous le signe de la réconciliation, du bon voisinage et de l’entente, en cela nos vues se rejoignent. Seule une Europe plus unie et plus forte sera à même de conjurer les risques d’instabilité qui n’ont pas disparu et de contribuer, sur les plans politique et économique, aux équilibres du monde.
– Vous l’avez dit, le prochain sommet à Paris, en novembre, de la conférence sur les mesures de coopération et de sécurité en Europe : coopération, sécurité, premier rendez-vous de l’Europe enfin réunie, sera capital à cet égard. Je remarquerai aussi que ce sera la première conférence internationale à laquelle participera l’Allemagne réunifiée, au sein de la Communauté économique et européenne. Hier ce sont les négociations des quatre puissances titulaires de droits et de responsabilités en Allemagne depuis la guerre avec les deux Etats allemands. Notre ministre des affaires étrangères, M. Roland Dumas, ici présent, est revenu à Prague directement de Moscou. Je crois pouvoir dire que l’adoption de ce règlement final répond à nos préoccupations notamment par la reconnaissance de l’intangibilité des frontières. Le chapitre de la division de l’Allemagne est un chapitre douloureux, il a été le symbole et la conséquence de la séparation de l’Europe. Ce chapitre est clos, un autre va s’ouvrir, espérons qu’il sera porteur d’espérance pour le continent tout entier. Vous l’avez dit et je poursuis sur le même thème, je m’en expliquerai plus longuement cet après-midi devant votre assemblée, mais d’abord respectons et portons plus loin ce qui existe.
– La France appartient à la Communauté européenne des Douze, cette communauté regroupe 340 millions d’habitants, elle est la première puissance commerciale du monde, elle peut espérer sans esprit de domination être aussi au premier rang sur le plan de la technologie, de l’industrie et sur bien d’autres plans. Eh bien, cette communauté ne doit pas se refermer sur elle-même, il faut épouser les circonstances, aménager les étapes mais dès maintenant je voudrais être de toute association, de tout contrat qui unira un pays comme le vôtre, la Tchécoslovaquie avec la Communauté, et au sein de cette communauté, la France se comportera comme un ami vigilant de la Tchécoslovaquie. Il existe donc cette communauté qui représentera un marché unique, c’est-à-dire la disparition de toutes frontières intérieures le 1er janvier 1993, mais il existe aussi, en formation plus encore depuis les événements récents, cette conférence que j’ai évoquée, cette conférence dite « d’Helsinki » qui poursuivra ses travaux à Paris bientôt. Là, se retrouveront pratiquement tous les Européens, les Etats-Unis et le Canada.
– Réussissons aussi cette entreprise, imaginez le champ nouveau qui s’ouvre à l’Europe une fois délivrée de ses divisions que nous connaissons depuis un demi siècle. Je reconnais que dans cette construction, la Tchécoslovaquie et Prague en raison de leur histoire, de leur situation géographique, de leur somme culturelle sont particulièrement qualifiées pour recevoir des institutions permanentes.
Et malgré tout, vous avez bien voulu l’indiquer tout à l’heure, je pense à la période qui s’ouvre maintenant et qui ne s’exprimera vraiment que dans quelques années. L’Europe tout entière sera-t-elle le dernier continent à savoir créer en son sein une union dont l’importance dépendra de nous ? Voilà pourquoi nous avons parlé, l’un et l’autre, d’une organisation future, de dialogue, d’échanges et, quand il le faudra, de décisions. Je l’ai appelée « Confédération ». Vous vous êtes prononcé sur le même sujet, avec vos propres mots, nous ne nous étions pas concertés, mais nous parlions grosso modo de la même chose, de la même ambition. Parlons-en entre nous et avec les autres et plutôt que de dessiner, de mois en mois, un schéma juridique et politique qui m’oblige un peu à me répéter, agissons.
– Je souhaite vivement que se réunissent, que se rencontrent dans les mois à venir les personnalités venues de tous les pays de l’Europe, et les associations qui désireraient participer à des assises, un peu à l’image de ce que j’ai vécu en 1948, neuf ans avant la signature du Traité de Rome, véritable naissance de l’Europe de la Communauté, premier congrès européen, sous la présidence de Winston Churchill, et où l’on a rêvé d’Europe et ce rêve est devenu, pour une large part réalité. Agissons de même et si Prague accepte de recevoir ces assises, eh bien nous viendrons à Prague, une fois de plus, et cette fois-ci, nous pourrons peut-être, mais je parle pour moi, nous pourrons peut-être nous y promener.
– Monsieur le Président, madame, le fait que vous nous receviez nous touche, au-delà de la politique croyez-moi. Nous sommes heureux de ce voyage qui commence. A ceux que vous aimez, les vôtres les plus proches, à ceux qui travaillent avec vous et qui partagent le même idéal, aux hautes personnalités qui vous accompagnent et que je salue et d’une façon plus large, au peuple tchécoslovaque dont vous êtes les représentants et les interprètes, je dis une bonne santé, bonheur et réussite, tels sont les voeux que je forme pour vous.