Un épisode de la trajectoire de François Mitterrand : son voyage à Prague en 1967
Du samedi 11 au mardi 14 novembre 1967, François Mitterrand séjourne à Prague à l’invitation de l’Institut de politique et d’économie internationale (ÚMPE), dirigé par Antonín Šnejdárek. Il est accueilli à l’aéroport, entre autres, par les francophones Alexandr Ort et Adolf Hoffmeister. Logé à l’hôtel Alcron avec Claude Estier qui l’accompagne, il passe le dimanche en visites de la capitale et du site de Lidice, l’Oradour tchèque, avant de consacrer le lundi à des rencontres et à une conférence à l’ÚMPE. Mais c’est le long entretien qu’il a le mardi matin avec Antonín Novotný, chef de l’État et du parti communiste tchécoslovaque, qui constitue le sommet de sa visite, avec près de trois heures de discussions assez libres.
Pourquoi François Mitterrand a-t-il réalisé ce voyage ? Certainement parce qu’il a de la curiosité pour un pays qui ne lui est pas tout à fait étranger, parce que le climat franco-tchécoslovaque s’est détendu depuis 1963 où sont apparues les prémices du « printemps de Prague » – avec un fameux colloque consacré à Franz Kafka – parce qu’il a la volonté d’acquérir une stature internationale plus affirmée à un moment où il s’approche du pouvoir, pour donner en même temps un signe fort au PCF de son affinité nouvelle avec les communistes. Du côté tchécoslovaque, dans le cadre de la coexistence pacifique et de la détente franco-soviétique, deux motivations essentielles : d’une part s’assurer du soutien de la France face à une Allemagne occidentale qui est toujours perçue comme menaçante, d’autre part étudier les perspectives de développement des échanges économiques et technologiques alors que Prague doit réagir à une crise très sérieuse. On ne peut non plus négliger l’idée d’une dissociation du bloc occidental en enfonçant un coin dans son maillon faible qu’est la France gaullienne qui vient de se retirer de l’organisation intégrée de l’OTAN. François Mitterrand n’est pas encore au pouvoir, mais son ascension est très remarquée et suivie par l’ambassade tchécoslovaque de l’avenue Floquet depuis 1965. Mais elle sera doublement entravée par les événements de Mai 1968 – et la réaction qui suit ces événements – ainsi que par l’invasion soviétique d’août 1968 qui perturbe partout les rapports au sein de la gauche européenne.
Bien qu’Antonín Novotný soit alors sur le point de perdre le pouvoir face à la montée des libéraux et des Slovaques au sein du parti communiste – Brejnev refuse de le soutenir en décembre et il doit céder sa place à la tête du parti à Alexander Dubček le 8 janvier suivant –, cet entretien est particulièrement intéressant. Au-delà des jeux tactiques et des contraintes diplomatiques, les propos donnent à voir une volonté tchécoslovaque de rapprochement avec l’Ouest et les grands traits de la conception mitterrandienne de l’Europe et de la vie internationale. On peut y lire des soucis politiques immédiats, mais aussi une vision à long terme qui vaut la peine d’être comparée avec les axes de la politique internationale que le président Mitterrand déploiera entre 1981 et 1995.
C’est la raison pour laquelle ce texte est présenté ici dans son intégralité, malgré ses imperfections de forme (notamment des allers-retours entre le style direct et indirect) et les incertitudes possibles dues à une double traduction, malgré aussi les possibles incompréhensions des propos de l’interlocuteur français : on sait ce qu’il en est sur les différences qui peuvent apparaître entre verbatims d’une même réunion depuis les comptes rendus de Paul Mantoux à la Conférence de la Paix. C’est pourquoi il est utile de mettre en regard de ce texte le résumé français de cette rencontre.
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