L’on entend beaucoup parler ces temps-ci de « rupture ». Il n’est donc pas sans intérêt de se remémorer celle du printemps 1981 pour faire quelques comparaisons.
François Mitterrand venait d’être élu en mai à la Présidence de la République. En juin, les électeurs envoyèrent à l’Assemblée nationale une majorité comme jamais la gauche n’en avait eue depuis la Libération, mais le Sénat demeurait hostile. Il le manifestera à satiété et l’opposition conservait des positions solides dans le patronat et parmi des professions qui lui étaient traditionnellement attachées. Un vent de panique gagna certaines d’entre elles. Une grande partie de la presse ne laissait qu’un court répit au Gouvernement Mauroy qui se mit sans tarder au travail.
Hors son discours d’investiture, François Mitterrand était économe de sa parole. Autres temps, autres mœurs ! Le «style» qui, paraît-il, fait l’homme, était tout en retenue par tempérament et stratégie. L’action n’avait pas besoin d’être mise en scène, ni d’envahir les magazines.
Il réserva à la scène internationale ses premières déclarations, en particulier au G7. Il reçut à l’Elysée le vice-président George Bush, avec qui une relation de confiance se noua. Il apaisa les inquiétudes américaines liées à la présence de ministres communistes au Gouvernement. Pendant tout ce temps le gouvernement Mauroy avançait selon les priorités qu’il avait tracées. Priorité : s’attaquer aux inégalités sociales par un relèvement significatif des bas revenus. Priorité : forger un outil financier et industriel par la nationalisation d’entreprises dont certaines étaient en grand péril. Priorité : les libertés publiques renforcées et la suppression de la peine de mort. Priorité: les droits des salariés, des femmes et des immigrés.
Quand le 24 septembre 1981, François Mitterrand donna sa première conférence de presse, il était en mesure d’annoncer qu’une vague de réformes, comme la France n’en avait plus connue depuis le général de Gaulle en 1946, était engagée.
Mai 1981, ce fut aussi le voyage en Chine de François Mitterrand. Il s’y était déjà rendu en 1961 et avait rencontré Mao Tsé Toung. Il était alors l’un des rares responsables politiques français à avoir pressenti l’importance de cet Etat-continent. Il en avait tiré un livre « La Chine au défi ». Il avait alors demandé, trois ans avant que De Gaulle ne le fasse, que la France reconnaisse le régime communiste de Pékin.
En plein milieu de la campagne présidentielle, il y retourna pour s’éloigner de l’agitation française. Il profita même de cette circonstance pour faire une brève incursion en Corée du Nord, il rencontra Kim Il Sung auprès duquel s’était alors réfugié le roi du Cambodge, Norodom Sihanouk. Il voulait se rendre compte par lui-même.
Deux ans plus tard en mai 1983 il retourna en Chine en tant que président. Je me souviens encore d’avoir été « preneur de notes » pendant son entretien avec Deng Xiao Ping. Le Président Mitterrand avait eu une juste vision du rôle de Mao Tsé Toung qui avait réunifié la Chine. Mais Deng, ce petit homme, proche de Chou En Lai, écarté par la Révolution culturelle puis rappelé au sommet, alors qu’il vivait à demi retiré, grand amateur de bridge, lui apparut comme celui qui allait libérer les énergies, en proclamant : « peu importe que le chat soit blanc ou noir dès lors qu’il attrape les souris ». Vingt cinq ans après, la lettre de l’institut revient sur ces épisodes qui ont marqué les relations franco-chinoises.