Ce qui suit n’est pas le point de vue d’un historien ou d’un observateur neutre, mais le témoignage de quelqu’un qui a été un des acteurs de la scène audiovisuelle et qui, en vingt ans, a connu trois Présidents de la République, cinq majorités parlementaires et une bonne dizaine de ministres chargés de la Communication. C’est dans cette perspective que je vais situer mon analyse des années Mitterrand.
Quand j’ai pris mes fonctions en 1980, la situation de l’audiovisuel était figée : le monopole de la radio-télévision n’était atténué que par la présence des « périphériques » (Europe 1, RTL, RMC) qui émettaient de l’étranger, mais étaient directement ou indirectement sous le contrôle de l’Etat, un peu plus subtil mais aussi vigoureux qu’au temps du gaullisme ; la télédistribution ne faisait l’objet que de quelques expériences très limitées ; la pression de la publicité sur la télévision était croissante.
On doit à François Mitterrand et à l’alternance de 1981 des changements radicaux opérés avec un mélange de conviction sincère et d’arrière-pensées comme si le personnel politique, toutes tendances confondues, avait du mal à se défaire d’un esprit d’intervention à la fois régalien et partisan. C’est d’abord la fin du monopole et la création de « radios locales privées » qui devaient être des radios à statut associatif sans vocation commerciale ; mais le Pouvoir a laissé se créer, aux marges de la légalité, des radios de forte puissance à vocation commerciale qui ont bientôt constitué des réseaux, NRJ ayant donné l’exemple en faisant descendre les jeunes dans la rue. Les radios dites « périphériques » n’ont obtenu des fréquences sur le territoire français qu’à partir de 1984-85, après avoir pris des participations dans certaines de ces nouvelles radios. Notons pour n’y plus revenir qu’à partir de cette période s’est constitué, au prix de maintes polémiques et péripéties, l’actuel paysage radiophonique dont on peut dire que, dans l’ensemble, il procure au public une offre diversifiée, équilibrée et pluraliste de programmes, avec un service public digne de ce nom, lui-même diversifié et qui continue heureusement à ne pas dépendre de la ressource publicitaire.
Pour la première fois, une instance de régulation a été mise en place, créant enfin une distance entre le pouvoir et les médias audiovisuels : la Haute Autorité dont les prérogatives étaient assez floues et qui n’a manifesté que timidement son indépendance. Elle n’a pas survécu à l’alternance de 1986 et s’est vu substituer une CNCL dont François. Mitterrand a cru devoir dire qu’elle ne méritait pas le respect et qui a elle-même sombré après l’alternance de 1988. C’est le gouvernement Rocard qui a créé le CSA, lequel s’est progressivement imposé comme une vraie instance de régulation, admise par les professionnels comme par le Pouvoir et ses titulaires successifs, et qui semble ne plus devoir être remis en cause.
La création de télévisions privées a été plus laborieuse. Canal + et deux chaînes privées, la Cinq et la Six, ont été créées par la gauche en 84-85 dans des conditions d’opacité et de favoritisme caractérisées, sans appel d’offres ni mise en compétition. C’est le président d’Havas, André Rousselet, qui a piloté avec brio la création de Canal dont les débuts ont été fort mouvementés avant de s’imposer brillamment en exploitant avec astuce les privilèges qui lui étaient consentis dans le cadre d’un monopole de fait de la télévision à péage. La concession de La Cinq, confiée à un étrange trio Berlusconi-Maxwell-J.Seydoux, après la mise à l’écart délibérée de la CLT, et celle de La Six, chaîne musicale, n’ont pas résisté à l’alternance de 1986. La CNCL, après mise en concurrence et auditions publiques, a réattribué La Cinq à Hersant et La Six à un consortium CLT-Lyonnaise. Notons que pour compenser cette ouverture controversée de la télévision au secteur privé, le gouvernement Rocard a créé une chaîne culturelle, la SEPT, bientôt fondue dans la chaîne franco-allemande ARTE.
Dès 82-83, le gouvernement Mauroy a ouvert les chantiers du câble et du satellite. Le Plan-câble, lourd et technocratique, a eu des débuts laborieux et il a fallu une bonne dizaine d’années avant que la télé-distribution devienne une réalité. Quant au satellite, les projets d’un satellite « lourd » TDF se sont soldés par un échec retentissant. Tout a été fait, mais en vain, pour empêcher le Luxembourg de lancer un satellite, et il a fallu l’initiative d’Eutelsat pour que la réception par satellite devienne enfin possible en France.
Notons enfin qu’à partir de la fin des années 80 s’est ouvert au plan européen le débat sur l’ « exception culturelle » où il faut noter une totale continuité de la position française, toutes tendances politiques confondues. Pour conclure sur un terrain plus politique, je noterai que, du fait de deux cohabitations sous la présidence de François Mitterrand, il est assez difficile de démêler les responsabilités de la droite et de la gauche. Il y a une pesanteur de l’acquis, qui explique par exemple que la gauche n’ait pas remis en cause la privatisation de TF1 opérée en 1987, et que les gouvernements successifs, faute d’avoir le courage d’augmenter de façon significative la redevance, aient laissé la pression de la publicité et de l’audimat s’exercer de façon croissante sur le TV de service public. Les tentations de la pression politique sur les médias audiovisuels sont rémanentes, même si elles sont devenues plus discrètes et si le passage alterné dans l’opposition a diminué les ardeurs interventionnistes. Il n’en demeure pas moins que c’est l’alternance politique de 1981 qui a rompu avec le dogme de médias audiovisuels aux mains du Pouvoir et qui a amorcé le développement de l’offre de programmes.
Il faut créditer la gauche et François. Mitterrand de ce changement historique. Il n’est pas sûr que si la droite avait eu le même courage, elle aurait agi de façon plus transparente et avec moins d’improvisation.