« Il me semble que cette acrimonie – que je continue à trouver mal fondée et stérile – contre les prétendus ratages du Président sur la réunification allemande, traduit un désarroi relatif à l’interprétation d’un événement bouleversant au sens propre du terme : un déficit de sens, pour employer une expression pédante. Certes, le Président ne cesse pas de parler. Il ne se passe pas une semaine sans qu’il accorde une interview, fasse un point de presse ou réagisse à un événement. Mais à aucun moment il ne s’adresse aux Français sur le thème : « Mes chers Compatriotes, voilà ce qui se passe, voilà ce que je fais en votre nom… » Ni d’ailleurs aux Allemands, son « bonne chance l’Allemagne ! » n’étant lancé qu’en octobre 1990. En ce sens, je souscris à l’observation de Jean François-Poncet qui estime que si le Président a fait ce qu’il fallait, il n’a pas géré la dimension symbolique de la réunification. Il n’a pas non plus demandé à Roland Dumas – qui l’aurait pu – de le faire. Il en sera parfaitement conscient, puisqu’il ne cessera de nous dire pendant la guerre du Golfe : « Ah, si j’avais parlé ainsi pendant la réunification allemande ! » À l’époque, les suggestions de conférence de presse, de « grand discours », qu’elles viennent de Jean-Louis Bianco, de Jacques Pilhan, de moi, ou, à l’extérieur, de Jean Daniel, l’irritent. Un jour où je lui conseille de s’adresser aux journalistes allemands, il me lance : « Vous aussi ! Ma parole, vous êtes gangrené ! » Pourquoi ce refus ? J’ai avancé plus haut une hypothèse : il pensait qu’il n’était pas possible d’expliquer, au moment où il s’y livrait, ce mélange nécessaire d’amitié, de confiance et de précautions. Le faire aurait provoqué des complications qu’il aurait fallu gérer. En communication comme ailleurs, le mieux peut être l’ennemi du bien. Ce qui renvoie à la fameuse formule que Franz-Olivier Giesbert attribue après des recherches non à Mazarin ou à Talleyrand, princes du genre, ni au cardinal de Retz, comme le soutenait le Président, mais à François Mitterrand lui-même : « On ne sort de 1’ambiguïté qu’à son détriment. » Paternité peut-être trop belle pour être vraie… »
« Ce mélange nécessaire d’amitié, de confiance et de précautions »
- Hubert Védrine
- 10 Oct 2005
- 2 min. de lecture