Mesdames,
– Messieurs,
– Comme vous le voyez, nous sommes depuis ce matin au château de Rambouillet. Nous avions commencé nos entretiens hier soir, M. Gorbatchev et moi-même, dès notre départ d’Orly pour Paris en voiture, puis jusqu’à l’heure du dîner assez tardif, puis pendant le dîner privé qui nous a réunis. Nous nous sommes retrouvés ce matin à 10h00. Nous sommes partis ensemble pour pouvoir poursuivre notre conversation dans la même voiture jusqu’à Rambouillet et nous avons aussitôt recommencé les débats nécessaires qu’imposait notre ordre du jour.
– Pendant ce temps, les ministres compétents se réunissaient, discutaient, concluaient les dispositions préparées déjà depuis longtemps. C’est ainsi qu’une série d’accords ont été signés, tandis que M. Gorbatchev et moi-même abordions des sujets dont je vous donnerai la liste.
– Quels accords ont été signés ? Après un échange de lettres entre MM. Dumas et Chevardnadzé, un protocole d’accords financiers a été signé par MM. Voronine et Bérégovoy. En résumé : le gouvernement français a mis en place des concours financiers pour l’Union soviétique de l’ordre de 5 milliards de francs, un programme de coopération économique, industrielle, scientifique et technique entre nos deux pays pour la période allant de 91 à 95, signé par M. Bérégovoy et M. Voronine. Les secteurs concernés sont l’énergie, la pétrochimie, l’industrie agro-alimentaire, le transport aérien, ferroviaire et routier, l’électronique, l’informatique, les télécommunications, la télévision haute-définition, la protection de l’environnement.
– Un autre accord entre nos deux gouvernements relatif à la coopération dans les domaines des relations du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle a été signé du côté soviétique par M. Chtcherbakov et du côté français par M. Soisson. Ceci, en vue de former des cadres pour la mise en place d’un marché du travail concurrentiel, des spécialistes de l’emploi et des ressources humaines et des cadres syndicaux.
– Un autre protocole de coopération entre les entreprises des secteurs publics soviétiques et français, a été signé par M. Voronine et par M. Fauroux, pour la mise en place de liens de coopération multiples entre les secteurs publics des deux pays, par exemple, l’EDF et le ministère de l’énergie et de l’électrification de l’Union soviétique : formation, accueil de stagiaires, etc.
– Enfin, un accord entre le Centre national de la recherche scientifique et l’Académie des sciences de l’Union soviétique a été signé par M. Martchouk, et M. Kourilsky afin de développer les programmes communs de recherche, des échanges d’information, des jumelages de laboratoires et des programmes internationaux de coopération scientifique.
Enfin, nous avons, il y a un instant, M. Gorbatchev et moi-même, mais aussi M. le Premier ministre français et les ministres des affaires étrangères des deux pays, signé un traité d’entente et de coopération. Ce traité d’entente et de coopération prend une valeur non seulement en raison de l’ampleur des sujets traités, mais aussi en raison de l’aspect symbolique d’un traité comme on n’en avait pas signé depuis de très longues années. Moi, en particulier, depuis bientôt 10 ans, je n’avais pas eu l’occasion de procéder à un protocole de cette sorte.
– Les principaux thèmes évoqués pendant les entretiens ont naturellement porté sur tous ces sujets et nous nous sommes réjouis mutuellement d’avoir pu avancer aussi vite et aussi bien dans des domaines très importants qui marquent bien l’importance que nous attachons, l’un et l’autre, au développement de nos relations.
– Pendant nos conversations, ont été traités des sujets politiques multiples autour du traité d’entente et de coopération, sur l’évolution de l’Europe, sur les nouveaux équilibres qui se dessinent, sur le prochain sommet de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe du 19 au 21 novembre, sur les moyens de la préparer, sur la manière dont devrait être abordée la situation qui suivra cette conférence de Paris, enfin sur la crise du Golfe.
– Voilà les données sur lesquelles il vous sera possible, mesdames et messieurs, de poser les questions de votre choix.
– J’ai eu grand plaisir à recevoir une nouvelle fois M. Gorbatchev. Je lui renouvelle mon témoignage de cordialité, d’hospitalité et les voeux que nous formons pour la réussite des efforts de l’Union soviétique sous son autorité. J’adresse mes remerciements à Mme Raïssa Gorbatcheva qui se trouve parmi nous et qui a bien voulu accompagner son mari au cours de ce voyage. Tout cela marque une nouvelle étape des relations entre l’Union soviétique et la France dont la signification, la tonalité et les perspectives d’avenir nous réjouissent.
– Je vous remercie, monsieur le Président. Souhaitez-vous maintenant dire quelques mots ?
M. GORBATCHEV.- Je m’associe à ce qu’a dit M. le Président François Mitterrand. C’est la première fois que nous avons pu préparer des documents aussi importants dans notre coopération. M. le Président a qualifié notre traité d’entente et de coopération comme étant l’événement le plus important des dix dernières années dans nos relations. C’est par là que je veux commencer en soulignant que c’est tout à fait logiquement que nous avons abouti à ce document. Si l’on se tourne vers le passé, il y a eu des déclarations politiques de ce genre. Mais ces déclarations ne nourrissaient pas toujours la politique et ne servaient que de repères. Dans le cas présent nous avons fait preuve de sagesse, de pondération, de prudence. Ces dernières années nous nous dirigions vers ce document important pour la coopération entre nos peuples et nos Etats.
– Je partage entièrement la haute appréciation conférée à ce document par M. le Président. Nous avons pu, pendant le temps que j’ai passé ici, procéder à quatre entretiens. En fait, nos entretiens sont ininterrompus. Les ministres des affaires étrangères poursuivent parallèlement leurs entretiens, de même que tous les membres des délégations : au cours de cette brève période, à cette étape du dialogue franco-soviétique un travail immense a été accompli ; et je dois dire que cela reflète le nouveau niveau de coopération, le nouveau niveau de compréhension entre les deux pays. Cela nous permet d’examiner de façon efficace les questions importantes et d’aboutir aux résultats qui s’expriment dans les accords.
– M. le Président a mentionné les thèmes de nos entretiens. Je confirmerai l’information qu’il a donnée : oui, la première place a été dévolue aux problèmes de l’époque actuelle, aux problèmes qui exigent beaucoup de la politique internationale et des hommes politiques. Grâce à la génération actuelle d’hommes politiques qui ont su exprimer l’état d’esprit des peuples, nous sommes sortis de la période de la guerre froide, pour entrer dans une phase nouvelle. Comme nous l’espérons ce sera une phase de coopération pacifique efficace. Mais une responsabilité incombe à ces hommes politiques. Il leur faut savoir retenir quelque peu ces processus qui subissent, comme vous le voyez, des épreuves extrêmement graves. C’est ce dont nous avons parlé.
M. GORBATCHEV.- Nous avons parcouru du regard avec le Président les changements qui ont abouti au regroupement des forces, à la modification du rapport de force dans le cadre de ce processus qui se déroule dans la politique mondiale et, à cet égard, nous avons examiné le rôle de l’Union soviétique et de la France et le rôle du dialogue franco-soviétique. Ce dialogue a toujours eu une indépendance qui lui était propre. Nous estimons que l’expérience de coopération, le niveau intellectuel et politique dans lequel se déroule cette coopération nous donne lieu d’espérer, qu’aujourd’hui encore, le facteur franco-soviétique jouera un rôle important dans la politique européenne et dans la politique mondiale. Oui, à cet égard nous avons parlé de l’Europe, nous nous sommes demandé quelles conclusions il nous fallait tirer compte tenu de la Conférence de Paris, cet événement capital. Nous avons dit avec le Président que tout ce que nous avons pu faire dans le cadre d’Helsinki 1, eh bien il faut en tirer la leçon. C’est là une expérience, c’est là une réalisation et il nous faut savoir l’exprimer dans les nouveaux documents et exprimer aussi la réalité nouvelle. C’est là une tâche hautement responsable car il ne faut pas que cette réunion subisse un échec. C’est impossible car nous l’avons bien préparée et nous savons que ce sera une réussite. Mais nous voulons que ce soit une réussite éclatante.
– Il s’agit de savoir comment nous allons agir ensemble, vivre ensemble, dans une époque tout à fait nouvelle, et naturellement, je confirme que nous avons beaucoup parlé avec le Président de la situation dans le Golfe. Je peux constater un progrès dans notre dialogue. Nous avons comparé nos positions sur toutes les questions importantes et sur les questions de coopération bilatérale présentées par le Président, et, également sur des questions essentielles de la politique mondiale. Je voudrais exprimer ma profonde satisfaction de cette nouvelle rencontre avec le Président de la France avec lequel notre dialogue est permanent, utilisant toutes les formes de dialogues. Nous sommes très sensibles et chérissons notre contact personnel, nous nous parlons, nous sommes en correspondance. C’est nécessaire, c’est ainsi qu’il nous fallait agir tout particulièrement maintenant alors que le monde subit de tels changements et que nous sommes les participants de ce processus tumultueux.
QUESTION.- Le Président Gorbatchev vient de nous confirmer que vous aviez longuement parlé du Golfe. Alors puisque les otages français rentrent très heureusement ce soir, je voudrais savoir ce que le Président Gorbatchev pense de cette libération et quels moyens d’agir entend-il, lui, mettre en oeuvre pour obtenir une libération équivalente des otages soviétiques toujours présents en Irak.
– MIKHAIL GORBATCHEV.- Je pense qu’il y aura d’autres questions, c’est pourquoi je ne vais pas aborder tout ce thème. Mais, lorsque nous parlons du Golfe, de la situation grave qui est apparue suite à l’agression de l’Irak, à son annexion du Koweit – il s’agit d’une crise très grave à laquelle nous nous trouvons confrontés – il y a beaucoup de choses qui nous préoccupent car cela intervient au début de la Pérestroïka des relations internationales, et notre action commune subit une grave épreuve. Je pense que les Nations unies agissent dans un esprit de haute responsabilité face à leurs peuples. Le Président et moi-même, une fois encore, avons confirmé que nous sommes attachés à cette unité qui est apparue et que nous nous en tiendrons à une action commune avec tous les participants en adoptant des solutions telles que cette situation puisse se dénouer sur la base des principes définis par le Conseil de sécurité. Nous ne pouvons nous permettre, et nous ne devons pas donner lieu à l’Irak, au régime du Président Hussein, de penser et d’espérer qu’il y aura une division, qu’il y aura un affaiblissement des positions. Nous sommes certains que toutes ces décisions ont été dictées par un sentiment de haute responsabilité pour la paix.
– Il y a le problème des personnes de nombreux pays qui travaillent en Irak. Il y a de nombreux Soviétiques en Irak. Une partie importante de ces personnes grâce aux efforts de l’Union soviétique et grâce à l’action commune menée avec la direction irakienne a pu revenir. Il reste encore trois mille Soviétiques. Nous continuons à agir dans ce sens. Nous avons, à cette fin, une commission d’Etat spéciale pour régler entièrement ce problème et l’éliminer. Nous ne pouvons oublier quelque personne que ce soit et nous resterons attachés à cette position de fermeté en posant ce problème au Président Hussein, au gouvernement de l’Irak, afin qu’ils trouvent une solution. Nous estimons qu’il est amoral d’utiliser à des fins politiques les personnes qui se trouvent là-bas sur l’invitation du gouvernement irakien, dans l’intérêt de ce peuple, alors que ces personnes ont pu régler de nombreux problèmes du développement économique et tout ce qui peut renforcer la puissance économique de l’Irak. Nous condamnons cette façon d’agir. Le Président Hussein le sait et cela a été répété par le camarade Primakov dans l’entretien qu’il a eu hier avec la direction de l’Irak, notamment avec le Président Hussein.
– La partie irakienne a donné des indications supplémentaires quant à l’examen de ce problème humanitaire très important pour nous. Nous agirons dans un sentiment et dans un esprit de responsabilité.
QUESTION.- Ma première question s’adresse à vous, monsieur Mitterrand, mais non pas en tant que Président mais en tant que personnalité politique éminente. Vous avez dit que d’après vos convictions, vous êtes socialiste. Je voudrais savoir maintenant alors que dans la presse mondiale et dans la presse soviétique on parle de l’échec du socialisme, quelle est votre attitude à cet égard, vous qui êtes un homme formé aux idées du socialisme ?
– M. Gorbatchev, vous avez eu au cours de ces quatre derniers jours des négociations très importantes avec deux personnalités éminentes de l’Internationale socialiste, M. Mitterrand et M. Gonzalez. Au cours de la dernière décennie ils ont pu faire passer leur pays à un niveau différent. Ils occupent leurs postes en tant que socialistes. Ce socialisme a toujours fait l’objet d’analyses critiques, et de critiques de votre part, ne pensez-vous pas que le temps est venu de réviser votre attitude négative à l’égard de la deuxième Internationale socialiste et de ce socialisme qu’autrefois nous méprisions.
– LE PRESIDENT.- Vous risquez de m’obliger à un exposé qui, pour être complet, serait peut-être un peu long. De ce fait, je serai contraint d’être cursif, donc incomplet. J’espère que vous me pardonnerez. Le mot socialiste, le terme de socialiste comme vous le savez est né au travers des luttes et des affirmations théoriques surtout à partir de la révolution industrielle et donc de la première moitié du 19ème siècle. Mais les socialistes n’ont pratiquement gouverné nulle part à cette époque. Ils étaient même pourchassés, écartés, bref c’était une opposition qui, dans tous les pays, existait. Les socialistes étaient contraints de combattre dans la clandestinité. Ce sont des conditions de combat qui conduisent naturellement à une élaboration intellectuelle et théorique plus affinée et en même temps plus diversifiée selon les tendances, les traditions historiques, faute aussi de pouvoir traiter dans la pratique le problème que les socialistes n’avaient pas à gérer et pour cause. De ce fait les socialistes, sans oublier leur origine commune, à savoir le combat pour permettre au prolétariat et à toutes les couches exploitées de jouir d’un statut et des libertés qui leur sont dues, ces socialistes se sont souvent séparés, opposés. Nous avons connu, nous en France, beaucoup de théoriciens ; vous en avez connu de la même façon en Union soviétique. Il y a eu le socialisme allemand, le socialisme coopératif anglais, il y a eu l’expérience scandinave et beaucoup d’autres encore, de telle sorte que si l’on peut se dire socialiste, ce qui est mon cas, on ne peut pas considérer comme un lot commun les expériences socialistes de type soviétique et de type occidental en Europe. L’expérience elle-même est très différente selon qu’il s’agisse de la sociale démocratie scandinave, du socialisme allemand, du socialisme britannique ou du socialisme français. Vous voyez, cette variété ne permet pas, à partir de définitions initiales sur lesquelles vous me permettrez de ne pas insister, à l’heure qu’il est, d’assimiler d’une façon stricte le socialisme pratiqué en Union soviétique à partir de Lénine et surtout à partir de Staline et le socialisme français tel qu’on l’a connu au temps de Jean Jaurès et de Léon Blum ou pendant la période présente.
Cette impossibilité de recouvrir la même matière sous la rubrique du socialisme fait que nous ne nous sentons pas nous, ici, très concernés sur le plan théorique du débat entre socialistes, par les conclusions fâcheuses qu’il a fallu porter aux expériences soviétiques, à partir du moment où l’administration, la bureaucratie et un régime autoritaire ont étouffé toute forme d’initiative et de liberté. Tandis que nous disions, nous, de notre côté qu’à nos yeux, le socialisme, c’était précisément un progrès de la liberté, puisque cela permettait à chaque citoyen, chaque être humain d’accéder à des droits en même temps qu’à un savoir et une conscience.
– Alors, comment est-ce que je juge l’évolution du système socialiste, communiste – en la circonstance le terme serait plus exact – de l’Union soviétique ? Je dois dire avec sévérité et je pense qu’en dépit des efforts remarquables de ces peuples soviétiques, de leur courage pendant la guerre mondiale, de leurs capacités multiples, de leur culture maintenue, je pense qu’il faut beaucoup de courage aux dirigeants actuels et beaucoup d’imagination, d’intelligence pour parvenir à replacer le socialisme soviétique sur un terrain qu’il n’aurait pas dû quitter selon moi – je ne veux pas m’engager à la place des dirigeants soviétiques, je ne tiens pas à leur faire la leçon – sur un terrain où le socialisme, c’est un épanouissement de l’être humain et non pas le contraire.
– Donc, j’encourage, en tant qu’ami de l’Union soviétique, ayant appris à connaître et à apprécier M. Gorbatchev, oui, je me réjouis de ce qui se passe en Union soviétique. Je ne pense pas qu’il soit raisonnable de demander aux dirigeants soviétiques de renoncer à ce qu’ils sont, à leur propre croyance, à leur propre éducation, mais, on ne peut que souligner avec d’autant plus d’approbation l’audace intellectuelle avec laquelle ils orientent leur pays sur d’autres voies pour unir ce qui est leur socialisme avec le triomphe des libertés, de la démocratie, de l’esprit d’initiative. C’est une entreprise d’une importance révolutionnaire considérable.
– J’observe donc ce qui se passe en Union soviétique, non seulement avec sympathie, mais avec le souhait d’aider et de contribuer à la réussite de cette expérience, si je le peux et si les autres socialistes le peuvent. Voilà ce que je peux vous dire aussi rapidement que possible.
M. GORBATCHEV.- Oui, vous avez posé une très bonne question, mais je ne sais pas si elle est adaptée à une conférence de presse. Au cours des derniers jours, me trouvant en Espagne et ici en France, vous avez relevé à juste titre que j’ai eu la possibilité, et il en a été réellement ainsi, d’aborder ce thème, je dois dire que nous avons eu tout simplement des discussions approfondis avec M. Gonzalez à ce sujet. Dans un cas nous avons pris la parole en tant qu’hommes d’Etat et dans d’autres cas en tant que secrétaires généraux, dans un cas en ce qui concerne le PCUES et dans l’autre, en ce qui concerne le PS de l’Espagne et nous sommes revenus sur ce thème avec M. Mitterrand, mais je voudrais commencer par la chose suivante qui me semble importante et intéressante.
– Il y a un certain phénomène qui doit nous obliger à réfléchir en Union soviétique, nous nous sommes engagés sur la voie de transformations profondes qui touchent tous les domaines : politique, économie, société civile, relations internationales. Et à cet égard, la question se pose de savoir quels seront les repères, quels sont les objectifs, quelle est la société à laquelle nous voulons parvenir. Sans cesse, à nous qui sommes la direction du pays, à moi, personnellement, on me pose cette question : est-ce que cela renforce le socialisme ou est-ce que cela l’affaiblit, est-ce que nous nous dirigeons vers le socialisme ou est-ce que nous nous éloignons du socialisme ? Voilà le phénomène, c’est qu’un peuple qui, après octobre, a subi des phases difficiles de développement liées à l’existence d’un système totalitaire du stalinisme, des répressions, ce peuple qui a vécu tous ces traumatismes n’a pas perdu, mais a gardé son attachement aux idées socialistes, aux idéaux socialistes. C’est là quelque chose de tout à fait remarquable que l’on ne peut tout simplement ignorer comme certains tentent de le faire, le rejeter simplement et proposer immédiatement d’emprunter un modèle étranger et d’essayer de le transposer de façon mécanique dans notre société. Non et je partage la pensée de M. Mitterrand selon laquelle il nous faut tout d’abord reconnaître à chaque peuple le droit au choix social et le droit de disposer de son destin. Personne ne peut refuser ce droit au peuple, c’est là son droit souverain. Cela s’accompagne toujours de partis politiques, de courants politiques, cela s’accompagne toujours d’une lutte politique et le caractère de cette lutte dépend du niveau de la démocratie, du niveau d’éducation politique. Cela dépend du niveau général de toute la société. Il en est réellement ainsi, mais je voulais simplement souligner que c’est là le droit souverain du peuple.
M. GORBATCHEV.- Nous nous éloignons du modèle utopique qui a été appliqué de façon artificielle à notre société et qui s’est accompagné de phénomènes de caractère totalitaire. L’homme a été dépossédé de la propriété, or cela était en contradiction avec les idéaux d’octobre : la terre aux paysans, les usines aux ouvriers, le pouvoir aux travailleurs. Et ainsi, ce que la révolution d’octobre avait essayé d’obtenir, c’est-à-dire de supprimer l’aliénation de l’homme par rapport au pouvoir, à la propriété, à la culture, ce qui avait été engagé sous Lénine dans des recherches difficiles – car même alors tout n’était pas si simple, tout n’était pas si facile – eh bien, ceci n’a pas été poursuivi. Il nous faut revenir à cela grâce à une analyse, à une compréhension nouvelle. Il nous faut revenir aux valeurs du socialisme, aux valeurs de toute l’humanité, car le socialisme ne nie pas les valeurs humaines. Elles constituent une partie organique qui a été élaborée par l’humanité, c’est là la pensée de Lénine, c’est ce que nous faisons maintenant. Grâce à la démocratie, grâce à la Glasnost, grâce à des réformes politiques, nous rendons aux gens le statut d’acteurs du processus politique. Nous renonçons au système de commandement et nous permettons à l’homme d’être de nouveau l’acteur principal du processus économique et je pourrais poursuivre ainsi en abordant tous les domaines de la vie. En résumé, il s’agit de la liberté. Il s’agit de la justice, d’une plus grande justice. Il s’agit d’une société sûre pour le travailleur. Il faut que le travailleur se sente dans cette société, qu’il se sente bien en parlant simplement. Il faut que tout soit simple, mais la voie est difficile. Ainsi, nous abandonnons le socialisme de caserne, les méthodes de commandement. Nous passons à un régime socialiste, à un socialisme humain.
M. GORBATCHEV.- Vous le savez probablement camarades, et c’est pourquoi je sais pourquoi vous me dites : est-ce qu’il ne serait pas temps de prendre en compte l’expérience des autres ? Oui, le temps est venu de le faire et nous l’avons fait avant 1985. Il y a longtemps que des relations fructueuses se développent avec l’Internationale socialiste. Le PCUS maintient des relations régulières, nous avons un dialogue très actif avec les socialistes de l’Europe occidentale. Je pense à M. Mitterrand, M. Brandt, M. Gonzalez, d’autres encore, et c’est là un dialogue qui est très utile, me semble-t-il pour ceux qui y sont attachés.
– Mais je pense qu’il ne peut y avoir un schéma unique pour tous. Ce serait une erreur de plus. Il nous faut réaliser notre attachement à l’idée socialiste dans le contexte réel de notre société, compte-tenu de ses particularités, compte-tenu de son histoire. Et je dois dire que ce processus ne se déroule pas facilement. Certains ont simplement mis une croix sur le socialisme. Je n’appartiens pas à cette catégorie de personnes. Je suis un discipline convaincu des idées socialistes, tout le monde le sait dans notre pays, dans le monde, cela ne m’empêche pas d’être ouvert aux entretiens, aux contacts, aux dialogues avec tous les autres courants politiques à l’intérieur de mon pays et au delà, parce que nous sommes une seule civilisation, nous sommes interdépndants et tous les peuples ont leur expérience qui mérite qu’on la respecte. Voilà ce que je voulais dire.
QUESTION.- Monsieur le Président Gorbatchev, vous avez été cité comme disant qu’il y avait des signes que l’Irak pourrait renoncer à sa politique d’ultimatum. Est-ce que vous maintenez ces propos après la mission de M. Primakof à Bagdag ? Si oui quels sont à votre avis ces signes ? Et, monsieur le Président Mitterrand, on vous a cité dans la presse comme disant qu’il pourrait y avoir très rapidement un conflit. Est-ce que ces propos sont exacts ? Est-ce que vous les avez tenus ? Et est-ce que vous continuez à le penser si vous les avez tenus ?
– M. GORBATCHEV.- Vous avez posé peut-être la question la plus difficile, mais la plus importante. Je voudrais vous répondre en toute franchise. Je parle en mon nom mais je dois dire d’emblée que nous avons sur ce sujet un haut degré de concordance, le Président français et moi. Nous estimons que la façon dont la communauté internationale a réagi à l’annexion du Koweit, à l’agression de l’Irak, que cette façon d’agir était justifiée et nous devons tout faire afin que cette unité soit maintenue.
– Nous devons agir de façon à ce que nos exigences soient satisfaites. Je pense que même lorsque les troupes américaines et autres se sont trouvées en Arabie saoudite, eh bien, même dans ce cas, il s’agit d’une solution politique pour moi, pour nous tous, l’option militaire à ce problème est inacceptable. Mais que le Président Hussein ne se lance pas dans des spéculations à cet égard : nous devons faire tout ce qui est possible pour contraindre les dirigeants de ce pays à comprendre qu’ils agissent à l’encontre du bon sens et de la logique et qu’ils font peser un très grand danger sur tout le monde et sur leur peuple, et qu’on ne peut appeler et caracériser cela autrement qu’aventurisme. Il faut que notre appréciation soit claire et nette. En agissant en tant que front commun par là-même nous recherchons les possibilités d’issue politique en exerçant une pression et en participant au processus de recherche de solution politique. Il y a des conditions qui doivent être satisfaites.
M. GORBATCHEV.- Vous me demandez ce qu’a donné la mission de Primakov : la mission de Primakov, ce n’est pas une branche en quelque sorte indépendante de ce processus. Non c’est une partie organique de nos efforts communs par les visites, par les rencontres, par les entretiens, il y en a beaucoup. Certains sont connus de la presse, d’autres sont officieux. Tout ceci pour vous dire qu’il faut agir plus rapidement tant que la situation ne nous échappe pas.
– Aujourd’hui à cinq heures du matin j’ai reçu un télégramme de Bagdad. Il y a eu des rencontres, au cours des derniers jours nous avions reçu des informations par voie de presse selon lesquelles, sous la pression des événements, sous la pression de l’unité qui est maintenue et sera maintenue, compte tenu de la sévérité des sanctions qui peuvent s’aggraver encore, on voit apparaître des signes montrant que la direction de l’Irak pourrait enfin prêter l’oreille et au bon sens et à la voix de toutes les nations unies. Les entretiens de Primakov nous montrent que la position du Président Hussein n’est plus la même qu’il y a un certain temps. Il y a des réflexions nouvelles qui sont apparues, il me semble. Dès que le Président Hussein pourra comprendre les demandes des pays arabes, de la rapidité de sa compréhension dépendra la rapidité du dénouement de cette situation dangereuse. Mais cela ne signifie pas que dans ce cas, nous modifions notre position, non, elle demeure la même, nous faisons des recherches et je pense que le moment est venu d’inclure pour de bon le facteur arabe. Il y a là des possibilités de progrès, j’estime que c’est possible, j’espère qu’il en est ainsi, ce serait là la voie la plus acceptable pour la recherche de solutions pour nous tous. Mais il y a des exigences qui doivent être satisfaites. Elles sont connues, je ne vais pas les répéter.
– C’est pourquoi, nous sommes en faveur d’un dénouement politique de ce problème mais la situation s’aggrave, et il faut que nous agissions tous de façon active. Si le Président Hussein espère qu’il pourra nous diviser et trouver des lézardes, des fissures dans la position des membres permanents du Conseil de sécurité, eh bien, je pense qu’il se trompe, et on ne peut pas édifier une politique sur une erreur.
LE PRESIDENT.- Je répondrai à M. Bromberger sur la question particulière qui a été posée tout à l’heure à propos de déclarations dont je serais l’auteur.
– Je veux bien m’expliquer sur les propos que je tiens, mais je refuse de le faire sur les propos que l’on me prête, qui sont beaucoup plus nombreux et qui m’occuperaient jour et nuit, donc arrêtons là, si vous voulez, l’ordre des choses. Mais votre question était une façon d’aborder le fond.
– Je répète à qui veut l’entendre, y compris à la presse, que les données du problème qui nous est posé n’ont pas fondamentalement changé depuis le 2 août. Je vois bien comment s’enchaînent les événements qui peuvent conduire à un conflit armé. Je ne vois pas encore comment pourrait se dessiner un autre processus, sauf – mais ce sauf revêt un point essentiel – si les décisions prises par le Conseil de sécurité sont défendues de façon homogène. Si la cohésion des membres permanents du Conseil de sécurité se perpétue afin qu’il n’y ait pas de doute sur la netteté des principes énoncés dont l’application pourrait inaugurer une nouvelle période. L’embargo, d’une part, et, d’autre part, la réitération de quelques principes simples que vous connaissez.
– Ces points forts qui sont la cohésion, la fermeté, la mise en oeuvre des mesures décidées par le Conseil de sécurité ne sont pas exclusives du désir d’une solution pacifique – au contraire, elles sont faites pour cela – mais d’une solution pacifique qui resterait fidèle au droit international, au respect du droit des peuples, à l’indépendance des Etats. A partir de quoi, bien entendu, tout ce qui permettra la victoire de la paix sera bienvenu et chacun devra y travailler à condition de ne pas dévier de la route.
QUESTION.- J’ai une question à adresser au Président de France. Monsieur Mitterrand, compte tenu de la Conférence au Sommet, de la CSCE, ne pourriez-vous nous dire quelques mots sur l’idée de la confédération européenne et la façon dont elle s’inscrit dans l’idée d’une « maison commune européenne » ?
– LE PRESIDENT.- Devant la nouvelle carte de l’Europe, la fin de la guerre froide, le début de coopération entre ce que l’on appelait l’Est et l’Ouest, il est évident que si les occidentaux ont toutes les raisons de persévérer dans leur entreprise de renforcement de la Communauté européenne, de la parfaire, de l’améliorer dans le sens du marché unique qui existera maintenant dans peu de temps, il n’en reste pas moins que nombreux sont les pays, les peuples, qui se trouvent aujourd’hui sans point fixe, qui peuvent se sentir isolés, qui ont besoin de procéder à des efforts considérables pour leur redressement économique. Il est normal que s’exerce une solidarité entre les différents pays d’Europe. Oublions l’Est ou l’Ouest ou le centre, considérons qu’ils ont tous le même droit à se réclamer de l’Europe, qu’ils ont tous partagé une vieille et longue histoire, considérons qu’ils doivent maintenant, débarrassés de ce qui les en a empêché, examiner de quelle façon ils peuvent tous entrer dans une construction commune qui doit tendre à la paix et au progrès, dans le respect de la dignité de chacun. Au sein de la Communauté européenne des Douze, cette dignité est respectée. Le poids du pays considéré comme plus pauvre ou plus petit, je citerai l’Irlande, le Portugal ou la Grèce, le poids dans les décisions majeures, par le moyen d’un veto, est aussi lourd que le poids de l’Allemagne, la Grande-Bretagne, de la France ou des autres : l’Espagne, l’Italie, etc…
– Eh bien ! de même, dans l’Europe de demain, sans recourir à des institutions aussi contraignantes – car on n’y est prêts ni les uns ni les autres – que celles que représente la Communauté, ni à la même discipline, on doit commencer à fixer des structures de rencontre, de débat, de traitement en commun de quelques questions communes et elles sont nombreuses ! Par exemple, sur un modèle un peu différent de la CSCE puisqu’il y aura la présence, au demeurant utile, des Etats-Unis d’Amérique et du Canada, il faudra à travers des débats, les uns militaires, les autres de tous ordres, essayer de tracer les structures permanentes d’échanges, de confrontation, de travail en commun.
Lorsque je me suis exprimé sur une confédération européenne, le 31 décembre de l’année dernière en m’adressant au peuple français, c’est cela que j’avais dans l’esprit, et j’avais déjà eu l’occasion, à diverses reprises, de m’entretenir du concept de la « maison commune » avec M. Mikhaïl Gorbatchev. Même idée, même si les procédures peuvent être différentes, il faudra que l’on en discute davantage. Cette idée a été reprise par le Président tchécoslovaque, par le gouvernement polonais, enfin c’est une idée qui court maintenant un peu partout : comment organiser l’Europe, le continent européen ?
– Avec la Communauté, les douze Etats qui la composent et puis tous les Etats qui sont dans l’Association européenne pour le libre échange, par exemple les six et puis les sept qui se trouvent dans le monde que l’on appelait un peu abusivement de l’Est, qui comporte l’Europe orientale et l’Europe centrale, et au premier rang desquels se trouve l’Union soviétique. D’ailleurs, dans le traité d’entente et de coopération que nous venons de signer – dont je ne vous donnerai pas la partie économique, car cela doit être réservé au Parlement ; tant que le Parlement n’aura pas examiné ce traité, naturellement, cela n’aura pas de réalité. Mais je peux me permettre de dire au moins qu’il comporte un dispositif de consultation régulière, de rencontre pas simplement au rang des ministres mais aussi au rang des experts.
– Je veux dire par là qu’il faut commencer à penser que l’Europe telle qu’elle est n’est aujourd’hui représentée par aucun des blocs qui la constitue, et qu’il faut maintenant que tous les pays se retrouvent sur des thèmes proches : techniques, scientifiques, écologiques, économiques et finalement politiques. Il suffit de faire un effort raisonnable pour y parvenir. Voilà ce que j’entends moi, par confédération. Confédération, cela veut dire qu’il y a des pouvoirs communs répartis entre un certain nombre de partenaires qui sont reliés par un point central. Ce point central est évidemment beaucoup moins ferme que dans une fédération et encore moins ferme que dans un Etat centralisé. Mais ce lien existe et doit exister si l’on veut que l’Europe avance du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest et même au centre.
QUESTION.- Une question au Président Mitterrand et au Président Gorbatchev. Quelle est votre position sur l’idée d’une conférence internationale sur le Moyen-Orient ?
– LE PRESIDENT.- Mon idée est très connue puisque je l’ai proposée. Je l’ai même proposée de la tribune des Nations unies, il n’y a pas longtemps, c’était à la fin du mois de septembre. Et un journaliste italien sait tout ! Vous voulez donc me faire répéter ce que vous savez déjà.
– QUESTION.- Je voulais savoir si avec M. le Président Gorbatchev vous êtes prêts à faire des choses concrètes pour faire avancer cette proposition qui est la vôtre ?
– LE PRESIDENT.- Partout où nous avons à dire notre mot, nous agirons dans ce sens. Mais n’oubliez pas que j’ai posé la conférence internationale au terme du processus, car je ne veux pas faire de choses artificielles.
– D’abord, tenter de réunir des gens qui ne veulent pas se réunir, ce n’est pas commode ; ensuite si on arrive à les réunir, il faut qu’ils s’entendent sur quelques points, ce n’est pas commode non plus. Nous traitons ces problèmes avec sérieux. En revanche, j’avais parlé depuis longtemps – cela fait maintenant huit ans – d’une conférence internationale sur le sujet spécifique des relations israélo-arabes. On ne peut pas confondre les deux choses même si les mots se ressemblent. Je maintiens que je crois à l’utilité de ce type de réunion.
M. GORBATCHEV.- Il me semble que si nous croyons à une solution politique de ce conflit extrêmement grave – et j’appartiens à la catégorie des hommes politiques qui y croient – nous devons prévoir que toute recherche de solution politique s’accompagne d’une analyse de la situation, de la prise en compte des intérêts, de certaines évaluations et ceci comprend l’évaluation que l’on a donné des agissements de l’Irak. Mais c’est un processus qui doit être plus vaste et qui doit englober les nombreux problèmes de cet ensemble fort complexe. Il vaudrait mieux s’en occuper maintenant, et ce processus serait plus réaliste s’il s’inscrivait dans le cadre d’une conférence inter-arabe, dans le cadre d’un mécanisme inter-arabe, car on pourrait se mettre d’accord plus rapidement.
– En dernière analyse, tout ceci se passe sur une terre arabe. Il faut écarter les particularités, la non-coïncidence des intérêts et même certains aspects émotionnels, accorder la priorité à cette question essentielle qui risque d’avoir des conséquences extrêmement graves pour tout le monde arabe et pour ceux qui vivent sur la terre arabe.
– Il me semble donc que la direction irakienne serait plus prête à accepter cela. Différents pays pourraient jouer me semble-t-il un rôle assez important. Je n’ai pas réfléchi de façon détaillée mais l’Arabie saoudite qui est proche, qui est voisine et qui a certaines relations avec l’Irak, l’Arabie saoudite pourrait prendre une initiative avec d’autres pays ; et puis il existe des mécanismes inter-arabes, il faut les faire agir maintenant. Il me semble qu’en la matière – je l’ai dit auparavant mais j’en suis convaincu maintenant sur la base des analyses et des informations dont je dispose – il me semble qu’il y a plus d’arguments encore en faveur de l’utilisation du facteur arabe dans l’intérêt du dénouement de cette crise.
LE PRESIDENT.- Je suis tout à fait d’accord sur cette donnée que j’évoquais dès ma première intervention auprès de la presse, dans les premiers jours du mois d’août. Je crois que tout est clair dans les positions qui sont les nôtres et sur lesquelles nous nous sommes très bien entendus. Et comme nous représentons deux pays membres permanents du Conseil de sécurité, déjà deux sur cinq, cela veut dire que ces analyses convergentes pourront être utiles au cours des débats prochains. Nous sommes partis l’un et l’autre du constat que les principes que nous avons adoptés ne peuvent pas être modifiés et que nous avons pour premier devoir de maintenir notre cohésion sur la base de ces principes, ce qui veut dire aussi que nous entendons poursuivre l’embargo tout le temps que ce sera nécessaire. Cela ne veut pas dire pour autant que nous ne préférerions pas la paix à un conflit armé et nous ne voulons rien négliger pour que la paix triomphe, et que triomphe une solution pacifique. Mais voilà, la paix est soumise au droit. Nous avons fait le choix du droit et nous espérons que tous les gouvernements intéressés, les diplomaties feront respecter le droit en choisissant les itinéraires pacifiques. Voilà le point où nous en sommes.
QUESTION.- Je voudrais, monsieur le Président, vous transporter par ma question dans notre politique intérieure.
– M. GORBATCHEV.- Peut-être que vous poserez cette question en Union soviétique.
– QUESTION.- Oui, mais néanmoins cela a trait à votre activité internationale. Dans certaines publications en Occident, ils ont dit que les visites à l’étranger du Président de l’Union soviétique ne sont pas populaires, c’est-à-dire que l’on dit qu’à cette époque difficile où il y a des bouleversements dans notre pays, le Président voyage. A-t-il le droit de le faire ?
– En développant cette question, quelle est votre calendrier de voyage jusqu’à la fin de cette année ?
– M. GORBATCHEV.- Je suis contraint de répondre. Je connais les jugements que portent différents représentants de l’Union soviétique dans les milieux politiques de l’Union soviétique dont vous venez de parler. J’estime que c’est là une façon spéculative de poser la question et cette façon de poser la question reflète la lutte politique et les processus politiques qui se déroulent dans notre pays à l’heure actuelle.
– Cependant, il me semble que dans notre peuple soviétique et dans le monde on rend hommage à ce qui a déjà été accompli au cours des dernières années dans le cadre de la mise en oeuvre de notre perestroïka, de notre nouvelle pensée, afin d’assainir la situation internationale. Si nous disons qu’il nous faut régler les problèmes en Union soviétique et des problèmes difficiles se posent, si nous disons que se sont des problèmes essentiellement économiques, eh bien je vous dirai que pour développer l’économie afin qu’elle soit tournée vers l’homme, il faut apporter beaucoup de modifications non seulement à la politique intérieure, mais également à la politique extérieure.
– LE PRESIDENT.- Cela vous permettra de terminer en paix, en sachant qu’il n’y aura plus beaucoup de questions après.
M. GORBATCHEV.- Tout de même je voudrais terminer car c’est là une question importante. Il y a beaucoup de changements à apporter dans les affaires intérieures et extérieures. Il me semble que si maintenant nous pouvons constater que nous sommes passés à un processus réel de désarmement, si nous parlons aujourd’hui non pas de confrontation mais de partenariat, de coopération, d’amitié, de confiance, cela nous permet dans nos affaires intérieures de passer à une nouvelle analyse des doctrines militaires, du rôle des forces armées et à une nouvelle analyse du secteur militaire dans notre économie. Tout ceci constitue un ensemble de problèmes communs, de problèmes interdépendants. A cet égard, tout ce que nous faisons nous permet d’avoir la certitude d’une plus grande sécurité pour notre pays et pour tous les peuples. C’est la le bien commun sans lequel l’homme ne peut pas faire de plan pour l’avenir. Quelle était la question essentielle pour les journalistes soviétiques et pour ceux de l’Ouest : il s’agissait de savoir s’il y aurait la guerre ou pas. Tout le monde se disait : pourvu qu’il n’y ait pas la guerre ! Tout le reste, nous saurons nous en tirer, nous saurons le régler. Aujourd’hui, ce danger a disparu. Des possibilités immenses se sont offertes à la coopération internationale. C’est là un bien immense et notre pays revient de façon organique dans la civilisation moderne en coopérant avec tous les peuples. C’est pourquoi je suis convaincu que nous suivons la voie qui répond aux intérêts fondamentaux de notre peuple et au peuple des autres pays. A cet égard, toutes les spéculations qui s’expriment quelles que soient leurs origines n’ont pas d’importance pour moi. Je m’en tiens fermement aux positions qui sont les miennes et personne ne pourra me faire changer de position.
QUESTION.- Je voudrais savoir, monsieur le Président si vous avez évoqué la situation au Liban et si c’est le cas comment comptez-vous agir, vous et M. Gorbatchev, pour aider ce pays ? La question est adressée aux deux Présidents.
– LE PRESIDENT.- Dans les conversations entre les ministres des affaires étrangères que nous avons naturellement approuvées, il a été rappelé que le Liban a droit à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité, ce qui veut dire que puisqu’il existe les accords de Taef, nous souhaitons qu’ils soient appliqués intégralement, pas simplement à sens unique. Ils comportent dans un délai fixé, l’évacuation des armées étrangères qui sont aujourd’hui installées au Liban. Notre démarche à nous, Français, est une démarche qui tend à rendre les Libanais maîtres de leur destin.
– M. GORBATCHEV.- Les ministres des affaires étrangères de France et d’Union soviétique ont examiné ce problème de façon approfondie. M. le Président a transmis l’essentiel. Nous avons beaucoup d’éléments communs. Nous avons examiné la question du Golfe dans le cadre de cette situation car la crise dans le Golfe montre que nous ne pouvons pas laisser en l’état la situation qui existe depuis plusieurs années au Proche-Orient. C’est pourquoi il y a là une interdépendance et il nous faut des enceintes où l’on puisse régler en premier lieu sans être rigide, le problème donc, de la restauration de la situation qui existait au Koweit avant le 2 août, afin de rétablir le droit international qui a été violé par l’agresseur irakien. Il existe une situation où l’on verra apparaître sans cesse des incidents dangereux et sans cesse la communauté internationale se trouvera menacée d’être entraînée dans cette spirale imprévisible si nous ne nous occupons pas de la situation au Moyen-Orient. Il n’y a pas d’argument convaincant et tout particulièrement maintenant nous permettant le différer l’examen de ce problème. Nous avons évoqué le problème palestinien, le problème des territoires arabes, le problème du Liban, tous ces problèmes attendent leur solution de même que dans le même contexte nous disons qu’Israël et le peuple israëlien doivent disposer de garanties sûres afin de pouvoir faire des plans pour l’avenir en toute confiance.
LE PRESIDENT.- Mesdames et messieurs, je me contenterai pour terminer de m’adresser d’abord à M. Gorbatchev, le remercier de son concours, du rôle qu’il joue dans la société internationale et pour me réjouir de voir que les positions de nos deux pays, particulièrement dans ces domaines très sensibles, ont des positions concordantes. Nous défendrons les mêmes inspirations et les mêmes principes au sein du Conseil de sécurité.
– Je veux simplement dire en ce qui concerne la France un dernier mot qui concerne les otages français dont on nous annonce le retour. C’est vrai que tous les pays responsables se sont exprimés au sein du Conseil de sécurité et beaucoup d’autres ont estimé ou estiment que parmi les conditions de base de tout accord éventuel était située au premier rang la libération des otages. On n’a pas découpé le sort des otages selon les nationalités. Nous réclamons du même ton la libération de tous quelles que soient leurs origines et n’acceptons au demeurant pas qu’il puisse y avoir même une notion d’otage entre pays civilisés.
– Je veux dire que je me réjouis de voir revenir plus de trois cents Français ce soir. J’exprime la joie du peuple français à ceux qui reviennent. C’est un pays entièrement réuni qui les accueillera du fond du coeur mais nous ne nous réjouirons complètement que lorsque les autres otages auront retrouvé leur patrie.
– C’est un problème spécifique me dira-t-on ? Non. C’est un problème qui touche au problème même de la liberté humaine et du droit des gens. C’est là-dessus que nous terminerons et je dois dire que sur ce sujet également le Président soviétique et moi-même, nous sommes trouvés en parfait accord. Je crois que c’est de bon augure pour la suite des débats internationaux et, je l’espère pour le réglement pacifique des conflits.
– MIKHAIL GORBATCHEV.- Je reviens à la visite dans son ensemble, et je voudrais exprimer ma satisfaction du bilan de ces travaux. On nous a témoigné de l’hospitalité, on a fait preuve d’un intérêt réel pour tout ce qui se passe et ce qui se fait dans notre pays et les problèmes que nous réglons. Nous avons senti qu’on nous comprenait et qu’on désirait nous aider à surmonter les difficultés auxquelles nous devons faire face à cette étape décisive de transformation. Et je voudrais remercier le Président et former les meilleurs voeux pour cette ère merveilleuse et souhaiter bonheur et bien-être à toutes les familles françaises.