Pourquoi et comment la « Convention des institutions républicaines » ?
Louis Mermaz : Dès le mois de mai 1958 François Mitterrand s’était élevé contre le coup d’Etat militaire. Il avait avec Pierre Mendès-France et d’autres parlementaires de gauche voté contre les pleins pouvoirs au général de Gaulle au mois de juin. Il avait parfaitement conscience que la chute de la IVe République entraînait un désaveu profond des partis politiques, d’où l’idée de créer dès l’année suivante la Ligue pour le combat républicain. Mais la réunion d’hommes ayant appartenu au parti socialiste comme Emile Aubert était la démonstration que l’avenir appartiendrait à ceux qui sauraient à la fois réunir dans un même combat des membres des anciens partis de gauche, quelles qu’aient été les erreurs de ces derniers, avec des hommes et des femmes d’horizons nouveaux. La Ligue pour le combat républicain après s’être unie au Club des Jacobins et aux colloques juridiques du bâtonnier René William Thorp allait aboutir en juin 1964 à la réunion au palais d’Orsay d’une convention préparatoire des institutions républicaines. François Mitterrand à chaque étape de sa carrière politique a toujours voulu dépasser les instances auxquelles il appartenait pour aller vers de plus vastes rassemblements. Le mouvement des anciens prisonniers de guerre et déportés qu’il avait fondé à la Libération avait regroupé des militants qu’on allait bientôt retrouver dans l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR). Mais après 1958 il fallait dépasser cette formation et fonder un mouvement de clubs avec ceux qui avaient refusé le coup de force et la nouvelle Constitution, dénoncée essentiellement pour les circonstances dans lesquelles elle avait été adoptée.
Pourriez-vous revenir sur le fonctionnement de la CIR ? Vous avez été vous-même secrétaire général….
Louis Mermaz : La Convention regroupait une poignée d’hommes et de femmes qui se réunissaient à intervalles réguliers 25 rue du Louvre à Paris, et qui préparaient les conditions d’un regroupement plus large en ayant la sagesse de s’abstenir de publier des communiqués sur leurs positions, qui seraient alors passées inaperçues. Il s’agissait d’abord de maintenir le contact et de regrouper le maximum d’hommes et de femmes avec lesquels nous étions déjà en relation.
Vous en conviendrez, la CIR s’est construite autour de la personnalité de François Mitterrand et de son ambition présidentielle. Son organisation et ses objectifs ne sont-ils pas une acceptation de la Ve République, alors même que François Mitterrand publiait le Coup d’Etat permanent ?
Louis Mermaz : Comme l’a très bien montré dans son mémoire sur la CIR Nadia Ayache, la Convention dès l’origine a poursuivi un double objectif : créer une grande force de gauche rassemblant les partis traditionnels et les nouveaux militants, ensuite réaliser l’union de toute la gauche sans exclusive à une époque où le parti communiste était enfermé dans un véritable ghetto. François Mitterrand et la Convention ont soutenu la candidature de Gaston Defferre tout en comprenant que la Grande Fédération étendue aux MRP et aux centristes risquait de ressusciter la Troisième force qui avait été fatale à la IVe République, et de nous condamner à l’impuissance. La renonciation de Defferre après l’échec de la Grande Fédération allait créer un vide dont il était évident que François Mitterrand était le mieux placé pour le combler. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que son ambition présidentielle dès l’origine était inséparable d’une stratégie et d’un projet. Dès la convention préparatoire de 1964 et dès celle de 1965, nous avons jeté avec lui les bases sur lesquelles serait fondée à partir de 1965 la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS) et à partir desquelles il engagea sa première campagne présidentielle en 1965.
A partir de la fin 1965, François Mitterrand devient le Président de la FGDS. Comment s’organisaient les rapports de force entre les différentes composantes ?
Louis Mermaz : La Convention des institutions républicaines qui jusqu’alors réunissait à partir de Paris des clubs divers aux effectifs souvent réduits est devenue après les élections présidentielles de 1965 la troisième composante de l’organisation qui allait constituer, avec les socialistes SFIO et les radicaux, la FGDS. Les tensions avec le parti socialiste SFIO ont tout de suite été très vives. L’ancien parti étant plus enclin à absorber les militants venus des clubs qu’à s’allier avec eux. Les clubs étaient indispensables à la SFIO et aux radicaux pour se rajeunir. Ils étaient obligés de se déclarer du leadership de François Mitterrand mais ils voulaient garder dans chaque département leur primauté. L’élection de quelques conventionnels aux législatives de 1967 a du être arrachée de haute lutte au moment des investitures.
Comment comprendre le fossé qui sépare les excellents résultats de la gauche aux élections législatives de 1967 et son écroulement seulement un an après ?
Louis Mermaz : Les événements de 1968 ont voué à la même vindicte les partis classiques de la gauche et ceux qui s’étaient donnés pour mission de les transformer. François Mitterrand victime de l’interprétation donnée à la conférence de presse tenue à l’hôtel Intercontinental le 28 mai 1968, au cours de laquelle il avait proposé devant la vacance soudaine du pouvoir la constitution d’un gouvernement autour de Pierre Mendès-France et sa candidature à la prochaine élection présidentielle, donna l’occasion à nos partenaires de le transformer en bouc émissaire après l’échec des élections législatives de juin 1968.
On parle souvent de la « fidélité sans faille » des Conventionnels à l’égard de la personnalité de François Mitterrand. Pourtant, un certain nombre a quitté la CIR pour entrer au Nouveau parti socialiste…
Louis Mermaz : Depuis la lointaine période du mouvement des prisonniers de guerre, depuis l’UDSR, comme au temps de la Convention et de la FGDS, François Mitterrand s’est assuré de la fidélité constante de plusieurs d’entre nous certes par son charisme mais aussi parce qu’il était porteur d’une vision d’avenir de la France et de notre société. Dès les débuts de la Convention jusqu’à la fondation du nouveau parti socialiste, il a défendu avec nous l’idée d’une société de liberté et de justice, un enracinement de l’avenir du pays dans la construction européenne et la recherche d’un ordre international juste comme garant de la paix.
Comment est-on passé d’Alfortville et Issy-les-Moulineaux à Epinay ? Quels liens se sont-ils renoués dans cet intervalle ?
Louis Mermaz : Nous avons refusé avec lui de participer à des congrès préfabriqués par la SFIO tant à Alfortville qu’à Issy-les-Moulineaux. C’est seulement en 1971 que les conditions d’un congrès fondateur d’un parti vraiment nouveau ont été réunies. La Convention plus active que jamais après la disparition de la FGDS, conséquence de l’échec électoral de 1968, a poursuivi inlassablement le même objectif, la réunion de toutes les forces socialistes à travers un parti vraiment nouveau. Des contacts officiels ou parfois très discrets n’ont pas cessé avec les responsables socialistes qui poursuivaient le même objectif que nous : un parti vraiment nouveau. Je pense à Pierre Mauroy, à Gaston Defferre, à Roger Quillot, à Jean-Pierre Chevènement.
Pourquoi une motion « Mermaz-Pontillon » lors du congrès des 11-12-13 juin 1971 ?
Louis Mermaz : Parce que nous ne voulions pas opposer les modernes aux anciens, les militants issus des clubs à ceux qui dans l’ancien parti avaient poursuivi depuis longtemps l’idée d’un vrai changement. L’unification de tous les socialistes et demain le rassemblement de toute la gauche exigeaient le dépassement des rivalités et des antagonismes. Donc les conventionnels à Epinay allaient se compter sur une motion signée par un conventionnel et un responsable du parti socialiste SFIO. L’accord réalisé ensuite avec les amis de Pierre Mauroy, de Gaston Defferre et de Jean-Pierre Chevènement allait nous donner la majorité au comité directeur qui choisirait François Mitterrand comme premier secrétaire.
Quelle place pour les Conventionnels dans la nouvelle architecture du « Parti socialiste » ?
Louis Mermaz : Dès le début, François Mitterrand a voulu réaliser l’amalgame. Au lendemain d’Epinay, la présence de Pierre Joxe à l’administration du parti, de Georges Fillioud aux relations avec la presse ont marqué la volonté de faire une place à chacun. Cela s’est amplifié jusqu’à la victoire de 1981 où plusieurs conventionnels ont occupé des postes stratégiques aux côtés de Pierre Mauroy, de Gaston Defferre, de Jean-Pierre Chevènement, de Jean Poperen.