Il m’était arrivé de croiser Danielle dans les années 50 lorsque François Mitterrand était ministre. Mais c’est en août 1965 que j’ai vraiment fait sa connaissance dans la villa d’Hossegor où ils passaient leurs vacances.
J’étais alors chargé de prendre des contacts en vue de l’élection présidentielle où il allait être candidat, François Mitterrand m’avait demandé de venir le rejoindre avec quelques autres pour faire le point. Ce fut donc aussi pour moi l’occasion de conversations, avec Danielle dont l’intérêt pour le tiers monde rejoignait le mien.
Durant les semaines suivantes, dans leur appartement de la rue Guynemer où nous nous réunissions pour la préparation de la campagne, Danielle était toujours présente pour accueillir les visiteurs.
L’élection de décembre 1965, la mise en ballottage du général De Gaulle ouvraient une nouvelle carrière à François Mitterrand et, par contre coup à ses amis de la Convention des Institutions Républicaines. En mars 1967, dix-sept d’entre nous allaient être élus députés ce qui fut l’occasion d’une grande fête autour de Danielle et du nouveau leader de la gauche.
Vint le reflux, et la défaite électorale de juin 1968 qui nous renvoyait à nos chères études. Pour maintenir le lien je décidai de créer une revue « Dire » installée dans les petits bureaux de la rue du Louvre où nous avions fait la campagne. J’eus la grande surprise de voir Danielle me proposer de s’occuper des abonnements. Elle venait en effet chaque matin. « Les trois étages sans ascenseur de l’immeuble ancien, écrivait-elle, ne découragent pas mon ardeur militante ; »
Cela dura jusqu’à la mort de la revue que nous avions décidé d’arrêter à la veille de l’événement majeur que fut la naissance du nouveau Parti Socialiste en juin 1971 au Congrès d’Epinay que Danielle suivit de bout en bout aux cotés de François avant que nous allions fêter notre victoire à une heure du matin autour d’une choucroute dans une brasserie alsacienne.
Danielle sera tout aussi présente dans la campagne de 1974 que nous menons à la Tour Montparnasse, où elle s’active à répondre aux innombrables lettres d’encouragement envoyées au candidat.
Cependant, plus que la politique active, c’est le mouvement associatif et humanitaire qui l’intéresse. Elle s’engage dans l’association « France libertés » qu’elle animera jusqu’à ses derniers jours.
Entre temps, le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu Président de la République et elle va devenir « première dame ». Fonction à laquelle elle s’est très vite adaptée et qu’elle a exercée avec discrétion et délicatesse tout au long des deux septennats. Sans pour autant renoncer à ses engagements tiers mondialistes qu’il s’agisse des mouvements révolutionnaires d’Amérique latine, de la situation des Kurdes, de la lutte contre l’Apartheid en Afrique du Sud et de toutes les actions menées en tant que présidente de sa Fondation. Celle lui permettait aussi des initiatives qu’elle ne pouvait se permettre en tant que première dame comme lorsqu’en 1989 elle reçut le Dalaï-Lama en faisant fi des pressions des autorités Chinoises.
Mes rencontres avec elle, réceptions ou diners à l’Elysée, étaient devenues plus formelles à l’exception de celles de la Pentecôte à Cluny, où elle veillait scrupuleusement auprès des invités du Président à la bonne organisation de la journée du pèlerinage annuel à la Roche de Solutré.
En quittant l’Elysée elle allait retrouver son « nid » de la rue de Bièvre, mais, dès 1994, elle avait dû faire face à des ennuis de santé avec une première opération du cœur qui se déroula bien, mais elle dut alors ralentir ses activités.
La mort de François Mitterrand puis, quelques années plus tard, celles de sa sœur Christine puis de son frère Roger furent autant de profondes déchirures qu’elle surmontait difficilement.
J’étais allé la voir un jour rue de Bièvre. Elle avait gardé toute sa gentillesse, mais j’étais frappé par son pessimisme sur les gens et sur les choses.
Quand elle est morte en novembre dernier, une foule de souvenirs me sont revenus à l’esprit. Tous les hommages rendus l’ont qualifiée de « grande dame ». Oui, certes, mais, je pense surtout que Danielle aura été tout au long de sa vie, de la Résistance jusqu’à ses derniers instants, un formidable exemple de courage et de fidélité.