Une rencontre
« Une soirée au restaurant Beulemans, boulevard Saint-Germain (…). Il joue de son charme comme il sait bien le faire auprès des femmes. Mais je n’étais pas encore une femme…
A vrai dire cela n’a pas vraiment bien marché ; son registre de séduction n’a pas opéré. Je n’étais pas préparée à ces jeux-là. Il a bien compris que mon adolescente simplicité dans les relations entre les êtres s’accordait mal aux exercices de son charme caustique.
« Alors qu’en penses-tu, Danielle ? me dit Christine (…)
– Je ne sais pas…
– Ce n’est pas le coup de foudre ?
– C’est un homme…
– Bien sûr, c’est un homme !
– Je ne suis pas sûre de peser lourd dans ses préoccupations. Pourtant, il ne m’est pas indifférent… Mais je ne vois pas où je me situe dans le rôle que vous semblez me voir jouer. »
Jour de Mariage
« Ce matin là, le 28 octobre, le soleil inonde le parvis de l’église Saint-Séverin. Nos témoins aux noms prestigieux s’appellent Henri Fresnay, Jean Munier, Patrice Pelat et Christine. Sabre au clair, les officiers du « Bataillon Liberté » forment une haie tout le long du tapis rouge déroulé sur le parvis de l’église.Je vois la scène en observatrice, comme s’il s’agissait de quelqu’un d’autre. Que c’est beau.
Maman et son magnifique turban en tulle gris clair et papa en jaquette.
Pendant le déjeuner, chacun découvre son voisin de table. François à ma droite, sa sœur ainée à ma gauche (…). Ce jour là, j’entrais dans une famille que je devrais découvrir, et je me ferais une opinion plus tard.
François regarde la montre de son voisin : 17 heures ! « Je dois partir », me dit-il. Qu’y a-t-il donc de plus important que son mariage ? « Où allez-vous ? » Il n’aime pas ce genre de question mais ce n’est pas un jour à assombrir. C’est une réunion du MNPGD qui a lieu dans une salle du Club, avenue Matignon ! – Je vous accompagne ! » Et c’est en robe de mariée que j’assiste pour la première fois à une réunion de travail que dirige François. »
Pigier
« Pour me rapprocher de François, j’imaginais être sa sténotypiste, à l’instar de celle que je voyais prendre en notes les discours et les interventions qu’il prononçait dans les meetings ou au cours des séances de travail. Je m’inscrivis au cours Pigier.
Ce n’était pas une bonne idée non plus. « Tu ne seras jamais ma secrétaire, ne mélangeons pas le travail et la vie familiale. » J’abandonnai Pigier et mes projets. »
10 mai 1981
« 20 heures. Et l’écran de la télévision se couvre de traits horizontaux qui dessinent un visage. François ! C’est le portrait de François qui occupe tout l’écran avec l’annonce :
« FRANCOIS MITTERRAND, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE. »
Je suis pétrifiée, à peine si je sens François me serrer le bras de la main en murmurant à mon oreille : « que nous arrive-t’il, mon Danou ? »
Ma sœur s’angoisse et je l’entends marmonner : « cette fois, je l’ai perdue. »
Première Dame de France ?!
« Je commence à être horripilée par ce titre de » première dame de France « . Aujourd’hui, il me colle encore à la peau et je vois bien qu’il fait écran à tout ce qui pourrait révéler ma personnalité, ma raison d’être. (…).
L’ex-première dame de France occulte tout ce que Danielle Mitterrand entreprend en qualité de citoyenne responsable de son environnement humain et terrestre. Elle oppose un écran à ses engagements politiques, et au travail effectué au sein du mouvement mondial qui souhaite préserver l’avenir d’une politique actuellement suicidaire pour l’humanité. Je dois me faire une raison ; les médias me sollicitent pour des émissions sur les premières dames… de France ou d’ailleurs. Quand je refuse de me prêter à ce genre d’exhibitionnisme, je peux imaginer les adjectifs peu amènes qui s’attachent à mon personnage. »
Le Livre de ma mémoire, Jean-Claude Gawsewitch éditeur, Paris, 2007.
Anne & Mazarine
« Je ne me sens pas le droit de consacrer un chapitre à François en occultant une autre partie de sa vie qui ne me concerne pas et qui pourtant a pris une place considérable. Je veux parler d’Anne et de leur fille Mazarine. Les non-dits ne signifiaient pas ignorance. Assumer ce double foyer fut pour chacun des acteurs un exercice d’équilibriste des plus périlleux pour ne pas déboucher sur des ruptures, aussi bien d’un côté comme de l’autre.
Il fallut beaucoup, beaucoup d’amour. »
Mot à Mot, Le cherche midi, Paris, 2010
Latche, le 6 janvier 1996
« Jean-Pierre Tarot vient de m’appeler.
L’espoir de voir François reprendre un peu de vigueur nous quitte.
Il pleut sur Latche, il me semble regarder tomber la pluie pour deux.
François ne verra sans doute jamais plus ce carré d’herbe limité par la dune planté des pins qu’il n’a pas voulu faire abattre. J’écris ces phrases sans pouvoir les inscrire dans la réalité.
Latche sans lui, sa construction, ses terres savamment rassemblées autour de cette petite maison que nous avons fait vivre ensemble.
François qui abandonne la vie, parce que trop fatigué, elle l’insupporte.
Nous respectons sa façon de sortir de la scène, sa façon de mettre un terme à son œuvre, à ses amours, à s’éloigner de sa famille qui le fera vivre parmi les vivants, parce que François ne meurt pas.
François ne meurt pas. »
Danielle Mitterrand
En toutes libertés, Editions Ramsay, Paris, 1996