Du musée d’Orsay à la Grande Bibliothèque en passant par la Cité de la musique et l’Opéra Bastille, ce sont dix réalisations majeures qui ont vu le jour au cours des deux septennats. On trouve peu d’époque comparable de ce point de vue dans l’histoire de Paris. À l’œuvre dans les coulisses de ces opérations, une équipe d’urbanistes, d’ingénieurs et de techniciens à laquelle revient le mérite d’avoir développé une méthode qui garantissait la bonne fin des travaux, dans un calendrier contraint, et le respect d’une enveloppe budgétaire strictement contenue.
Tout commence officiellement avec un communiqué de la présidence de la République, en mars 1982. On y découvre neuf grands projets : le transfert du ministère des Finances, le Grand Louvre, Tête- Défense, l’Institut du monde arabe, le nouvel Opéra, le musée d’Orsay, la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette, le parc de la Villette, la Cité de la musique, auxquels devaient s’ajouter quelques projets en province (la Corderie royale à Rochefort, le Centre national de la bande dessinée à Angoulême, les Archives du monde du travail à Roubaix…).
Une machine lancée sans bruit
Deux de ces grands projets parisiens seulement étaient alors engagés, le musée des Sciences de la Villette et le musée d’Orsay. Les autres ne faisaient l’objet – au mieux – que d’une esquisse de programme, et leurs sites d’implantation venaient d’être choisis. Mais il n’existait ni projet architectural, ni organisme de maîtrise d’ouvrage, ni, le plus souvent, de possibilité réglementaire d’édifier les ouvrages au regard du droit des sols.Des moteurs de développement, des catalyseurs de vie urbaine
Les responsables de la mission sont très sensibles à la dimension urbaine des programmes. Ils agissent en faveur de l’Opéra à la Bastille et non à la Défense ou Marne-la-Vallée pour la force du symbole, le ministère des Finances à Bercy (politique de rééquilibrage de Paris vers l’est oblige) et non au quai Branly, l’Institut du monde arabe à l’arrivée du boulevard Saint- Germain, là où Jean Tibéri voulait construire une caserne de pompiers. Ces messages, fruits d’une longue réflexion sur les « ingrédients » qui font la ville, qui lui donnent sa dimension collective, qui participent à l’écriture d’une histoire, sont tous entendus, sauf un : la recommandation de construire la Grande Bibliothèque en Plaine-Saint-Denis, là où serait plus tard édifié le Grand Stade, laisse de marbre le président de la République. Pour la mission, bien implanter ces grands équipements, dans le cadre d’une politique d’urbanisme d’ensemble, était une composante essentielle du succès. L’objectif principal était d’en faire des moteurs de développement, des catalyseurs de vie urbaine en même temps que cela offrait de formidables occasions de faire de l’architecture.Difficile encore aujourd’hui de bien analyser les facteurs qui ont permis la célérité exceptionnelle avec laquelle cela a été accompli. Au premier rang de ces facteurs il y a, bien sûr, le fort engagement personnel du président de la République – maître d’ouvrage ultime de tout ce programme, mais infiniment moins interventionniste qu’on ne l’a dit dans le choix et la mise en oeuvre des projets. Il y a ensuite l’esprit du temps qui nous portait, sorte d’illusion lyrique, et le goût très français de bâtir pour les célébrations, celle du bicentenaire en l’occurrence. L’ambition du programme permit de réunir des équipes incroyablement motivées sous la direction de responsables de premier plan : Paul Delouvier, Émile Biasini, François Bloch- Lainé, Robert Lion, François Barré, Serge Goldberg, Jean Lebrat, Michèle Audon. Avec les architectes Adrien Fainsilber, Paul Chemetov et Borja Huidobro, Ieoh Ming Pei et Michel Macary, Jean Nouvel et Architecture Studio, Otto von Spreckelsen et Paul Andreu, Bernard Reichen, Bernard Tschumi… se créa un véritable esprit « grands projets ».
La mission de coordination, présidée par Yves Dauge, dirigée par Jean-Louis Subileau, fonctionnait comme une sorte de secrétariat général de ces grands projets. Elle ne comporta jamais que des effectifs réduits : une quinzaine de personnes, accomplissant principalement deux tâches : l’une technique, sous la direction de Jean-Marie Duthilleul puis de Luc Tessier, l’autre administrative et financière sous la direction de Patrick Béghin. Elle rendait compte chaque mois à ce qu’on appelait le « groupe des quatre » (et bientôt cinq) : Jack Lang, Robert Lion, Paul Guimard, Roger Quilliot, puis Paul Quilès. Elle se transportait chez le président de la République tous les trimestres pour faire le point sur l’organisation des concours d’architecture, la création des établissements publics, les nominations de responsables, les calendriers d’étude et de réalisation, et l’engagement des enveloppes financières. Son rôle fut essentiel à partir de 1983, pour imposer le respect de l’enveloppe de 15 milliards de francs pour tout le programme. La mission fut chargée par le Premier ministre de préparer la conférence budgétaire annuelle pour l’ensemble des grands projets, quels que soient leurs ministères de tutelle. Ce système d’organisation exceptionnel permettait la prise de décisions très rapides et conférait à la mission l’autorité indispensable pour faire respecter enveloppes financières et calendriers, avec l’aide très efficace de Christian Sautter.