« Je m’émerveille à aimer les gens », disait Mitterrand. « J’aime les gens quand d’autres sont fascinés par l’argent », a assuré M. Hollande. Il a également déclaré : « mon véritable adversaire, il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature. Il ne sera jamais élu et pourtant il gouverne : cet adversaire, c’est le monde de la finance ». Ces propos rappellent ceux de Mitterrand, qui prônait la rupture avec « toutes les puissances de l’argent » au congrès d’unification des socialistes à Epinay en juin 1971. Ces citations sont autant de phrases qui ont été rapprochées ces derniers mois par des journalistes, pour mettre en évidence la proximité entre le candidat socialiste, François Hollande, et le premier président socialiste de la Vème République, François Mitterrand (1981-1995). Mathieu Deprieck, journaliste à l’Express, écrit : « le ton, l’allure, le discours. François Hollande s’est bel et bien glissé dans les habits de François Mitterrand, depuis son entrée en campagne, il y a plus d’un an ». Toutefois, ces apparentes similitudes nous permettent-elles de croire en une véritable proximité ? Nous pouvons nous demander dans quelle mesure les discours des deux candidats peuvent révéler une volonté de mimétisme du candidat Hollande par rapport à cette figure historique du socialisme français qu’est devenue François Mitterrand. Dans cette même perspective, nous chercherons à comprendre si ces hypothétiques similitudes correspondent à une proximité de la ligne idéologique des programmes partisans, ou bien si elles mettent simplement en évidence l’utilisation d’un vocabulaire semblable. Si notre étude nous révèle une continuité, nous chercherons à savoir si François Hollande se rapproche du Mitterrand de 1981 ou de 1988.
Pour réaliser notre étude, nous nous appuierons sur un corpus regroupant huit discours de la campagne électorale de 1981, treize discours de la campagne électorale de 1988 et les dix-huit discours de François Hollande tenus lors des meetings socialistes, qui ont suivi la convention d’investiture du Parti Socialiste jusqu’au premier tour de l’élection présidentielle. À partir de ce corpus, la finalité de l’analyse est de s’intéresser à ce qui fait norme entre les discours grâce à une analyse lexicométrique. Les logiciels utilisés sont Coocs et Lexico 3, qui nous permettront ensuite d’établir une analyse factorielle. Ces logiciels d’analyse de données et de statistiques textuelles permettent d’explorer des corpus de textes, à travers le vocabulaire qu’ils mobilisent, et de les comparer en fonction des vocables employés. À partir de ces outils, l’analyse factorielle des correspondances met ensuite en valeur les grandes tendances, que laisse entrevoir ce corpus grâce à une représentation graphique des tableaux de contingences. Grâce à l’observation des grandes tendances issues de l’analyse factorielle et de Lexico 3, nous nous attacherons à montrer la proximité sémantique entre François Hollande et Mitterrand et les principaux thèmes qui contribuent à les rapprocher. Puis nous verrons dans une seconde partie, la dualité au sein des discours de Mitterrand et l’isolement thématique des sujets abordés par Mitterrand en 1981 par rapport aux deux autres variables.
Un discours socialiste
L’analyse des discours de François Mitterrand et Hollande, sans qu’il soit effectué de distinctions entre les discours de 1981 et 1988 pour le premier, met en évidence l’importance de l’idéologie socialiste pour les deux candidats à la présidentielle.
Ainsi, grâce au logiciel Lexico 3 qui permet d’avoir des rapports de proportionnalité entre les occurrences, il est possible de se rendre compte qu’un grand nombre de thèmes évoqués dans les discours sont communs aux deux personnes étudiées. Ainsi, le mot «socialisme» apparaît 27 fois est est utilisé de façon quasi-égale par les candidats, tout comme les mots «socialistes» ou «rassemblement». Le graphique ci-dessus tend à montrer une certaine régularité des discours de François Hollande et de François Mitterrand en 1988, concernant l’emploi de ces vocables généraux. François Hollande s’inscrit donc dans la ligne idéologique traditionnelle du socialisme français. Le travail, l’industrie ou les entreprises sont ainsi des activités et des secteurs d’activités extrêmement cités. Il faut toutefois noter une évolution sémantique du terme «travail» entre François Hollande et Mitterrand, qui ne remet néanmoins pas en cause leur attachement à cette valeur. Ainsi, alors que Mitterrand parle du travail en rapport avec ses conditions d’exercice et d’activité en 1981, François Hollande s’attache pour sa part à y rattacher la notion de «respect» et de «valeur».
Le sujet de la construction européenne est également au centre des discours des deux orateurs, puisqu’il est évoqué 452 fois au total. Grâce au graphique ci-dessous, il est possible de constater que l’Europe est toutefois plus souvent évoquée par François Mitterrand en 1988. Sa campagne électorale se déroule effectivement à une époque où l’émergence d’une Europe unie est un thème central, alors que le rideau de fer coupe toujours le territoire en deux.
Enfin, l’analyse révèle, au-delà d’une similitude partisane et thématique, la même volonté de s’adresser à la jeunesse de la part des deux candidats. Celle-ci apparaît comme une interlocutrice, mais aussi comme un des points essentiels de leurs programmes électoraux. Elle est définie comme une «priorité», un «atout» ou encore un «espoir» par François Hollande, qui cherche ainsi à la remobiliser puisqu’elle apparaît comme fragilisée dans son discours. A l’inverse, Mitterrand vante la «force» de la jeunesse et ses «capacités». Il y associe souvent le verbe «permettre», au sens où il serait nécessaire de l’autoriser à exprimer son énergie. Il y a donc une opposition dans la façon de la considérer et de la qualifier, même si les deux orateurs y font mention de manière à peu près égale. Les discours de François Hollande et Mitterrand peuvent donc être mis en parallèle sur un certain nombre de thématiques récurrentes dans tous les meetings. Il n’en reste pas moins que leurs discours restent considérablement différents, compte tenu de la distance historique qui sépare les deux candidats.
L’une des limites du corpus est le rapprochement de discours tenus par des orateurs n’ayant pas le même statut. François Hollande est en effet pour la première fois candidat à la présidentielle en 2012, alors que François Mitterrand est le président sortant de l’élection électorale de 1988. La position occupée influence le discours des intéressés, au sens où ils mettent en avant des qualités différentes et des priorités spécifiques selon qu’ils se placent ou non dans l’opposition.
Ainsi, François Hollande s’inscrit plus nettement dans un clivage partisan, comme le montrent les résultats de l’analyse factorielle des correspondances et le graphique ci-dessus.
Il insiste beaucoup plus sur les notions de «gauche» et de «droite». Pareillement, il met en avant sa position de figure de l’opposition en évoquant des termes comme «l’alternance» et le «changement».
Sa position d’opposant lui permet ainsi d’évoquer la possibilité de «réformes» et le «redressement» du pays, sans remettre en cause un quelconque bilan. Son discours traduit donc la façon dont il tourne à son profit sa position de candidat de l’opposition.
L’analyse factorielle des correspondances laisse également apparaître de grandes tendances qui nous permettent de mettre en évidence les principaux termes qui opposent les candidats entre eux. Ainsi, l’analyse comprend deux facteurs : le premier tend à montrer les pôles d’opposition et d’attirance entre les discours de François Hollande et Mitterrand en 1988, alors que le second ne tient compte que des discours de Mitterrand en 1981, ce qui s’explique par un certain isolement thématique de cette campagne électorale par rapport aux deux autres. Il résulte ainsi du facteur 1 que Mitterrand a tendance à favoriser des thèmes en lien avec le contexte de l’époque, en 1988 comme le désarmement nucléaire. Il accorde aussi une place importante à l’émancipation des femmes et l’égalité entre les sexes. Enfin, nous pouvons remarquer que son discours est bien plus axé sur la culture que celui de son successeur. Il a en effet considérablement développé ce thème lors de son premier mandat, avec la fête de la musique, le lancement des travaux du nouveau Louvre ou du nouvel Opéra de Paris.
Le discours de François Hollande est également empreint des enjeux actuels et notamment des thèmes principaux qui ont dominé la campagne électorale de cette année. Ainsi, le logement, souvent associé à la question de son accessibilité, occupe une place primordiale dans ses propos et est revendiqué comme un «droit». Il en va de même pour un thème largement traité par tous les candidats du premier tour de l’élection présidentielle : l’immigration. François Hollande y fait beaucoup plus référence que son prédécesseur. Enfin, l’un des derniers pôles d’opposition avec François Mitterrand se situe sur les questions économiques, puisque François Hollande évoque régulièrement la crise économique et financière que traverse la France actuellement, par l’emploi des termes «austérité», «croissance» ou encore «confiance».
Au-delà des similitudes liées à l’appartenance commune à un même parti, les discours de campagne électorale des deux candidats restent toutefois le reflet d’une époque, avec ses valeurs, ses enjeux et ses aspirations. C’est pourquoi ils diffèrent sur de nombreux sujets. Au-delà de l’observation des termes privilégiés par chacun, l’analyse factorielle des correspondances nous permet également de constater une plus forte proximité entre François Hollande et le François Mitterrand de 1988. Il y a donc une continuité partielle de la tradition mitterrandienne, au détriment des idées de 1981.
Une continuité partielle de la tradition mitterrandienne
Le fait que la variable Mitterrand-1981 contribue seule à expliquer le facteur 2, et n’est à aucun moment rapprochée sémantiquement des deux autres variables au sein de l’analyse factorielle, montre un certain isolement de ces discours. Il y a donc une proximité bien plus forte entre Mitterrand-1988 et François Hollande, qu’entre Mitterrand-1981 et Hollande, ou encore entre Mitterrand avec lui-même. Le nuage de points est assez révélateur de cet isolement des discours de Mitterrand de 1981 :
La grande proximité entre François Hollande et Mitterrand en 1988 s’explique par le prestige accordé à la stature présidentielle par le candidat Hollande. Après la désacralisation de la figure présidentielle par Nicolas Sarkozy, François Hollande avait tout intérêt à capter les qualités d’autorité, de charisme et de dignité associées à cette fonction. C’est pourquoi le discours adopté par Hollande tend à rassembler les Français pour créer une dynamique collective autour de sa candidature et non pas rester figé dans des logiques partisanes. Tout en n’ignorant pas qu’il demeure le candidat de l’opposition, François Hollande cherche néanmoins à ne pas diviser son électorat. L’utilisation des vocables «rassemblement», «tous» et «avec» traduisent bien cette idée. François Hollande a également couramment recours au terme de «réconciliation».
Nous avons pu constater que l’élément Mitterrand-1981 contribue à hauteur de 91,86% au facteur 2. Il n’est donc mis en lien avec quasiment aucun des autres éléments (Mitterrand-1988 et Hollande). Cet isolement peut s’expliquer par le vocabulaire utilisé par Mitterrand à l’époque. En effet, les termes sont très connotés et empreints du contexte historique. Son discours se focalise surtout sur les minorités et les groupes marginalisés ou stigmatisés dans la société : les femmes, les personnes âgées, les ouvriers… En ce sens, son discours est très ancré à gauche dans les thèmes qu’il évoque, comme la laïcité par exemple. Les discours de 1981 portent effectivement la marque des dix années de construction du Parti socialiste. En 1971, lors du discours du Congrès d’Epinay, Mitterrand se pose en homme de la « rupture » : « celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi, politique, cela va de soi, c’est secondaire […] avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent au Parti socialiste ». On ressent également l’héritage du programme commun mis en place en 1972 avec les communistes. Ces discours semblent donc à l’écart de ceux de 1988 et 2012, par leur caractère plus radical. Il y a véritablement une dualité dans les discours de François Mitterrand, selon qu’il est candidat en 1981 ou président sortant en 1988. Le choix des termes, la formulation des enjeux, le public visé diffèrent puisque sa stature n’est plus la même.
Ce corpus de discours nous permet donc de retracer une évolution dans les discours de Mitterrand et de constater que François Hollande se rapproche du Mitterrand de 1988, plus nuancé, moins prisonnier des logiques partisanes et plus rassembleur.
L’évolution des discours est significative quand nous regardons les termes qui se rattachent à «socialisme» dans les meetings de chaque candidat.
Alors que Mitterrand en 1981 propose de le porter, de l’expliquer ou d’y adhérer, ce qui reflète le socialisme comme une force nouvelle, il considère ses «acquis» en 1988. Il y a ainsi une évolution du socialisme, due à la pratique du pouvoir. Le socialisme apparaît comme quelque chose de plus concret. Enfin, François Hollande considère le socialisme dans son aspect historique, que ce soit pour le préserver ou pour le préparer à l’avenir. Cette valeur a donc acquis une nouvelle dimension à chacune des époques étudiées.
Que ce soit dans les thématiques ou le public visé, les discours de François Hollande et de Mitterrand en 1988 se recoupent sur de nombreux enjeux. Bien qu’il apparaisse comme le candidat du « changement », François Hollande insiste énormément sur la notion de rassemblement en ne se positionnant pas comme l’homme d’un parti mais en adoptant la stature présidentielle. S’il garde la symbolique du « changer la vie », François Hollande s’inspire sémantiquement du Mitterrand de « la France unie ».