Bien des formules sont prêtées à François Mitterrand, réputé à juste titre causeur brillant et cultivé, maître dans l’art presque disparu de la conversation, et politique sagace. Il est affublé de qualificatifs automatiques plus ou moins pertinents et tous discutables, au vrai sens du terme – qui se discutent – tels que florentin, machiavélien, etc.
1. Pour exemple, les médias écrivent régulièrement : « selon la formule prêtée à François Mitterrand », « on ne sort de l’ambigüité qu’à son détriment ». Elle renvoie à « ambiguïté », à « dissimulé ». L’auteur en est le Cardinal de Retz, qui voulait chasser Mazarin du pouvoir et empêcher que s’installe un despotisme d’État. Dans ses mémoires il emploie cette formule pour tenter d’expliquer ses fluctuations pendant la Fronde. Personne parmi les proches de François Mitterrand ne se souvient l’avoir entendu l’utiliser mais elle lui va si bien, trop bien même.
2. Une autre formule qui lui est attribuée à tout propos, sur la base d’un malentendu intéressant, est : « laisser du temps au temps ». Vieille formule de Cervantès dans Don Quichotte (livre II) : « il faut donner du temps au temps ». Pour tout le monde, au premier degré, elle signifie : « prendre son temps », ne pas se précipiter, résister à la fébrilité croissante du monde politico-médiatique hyperconnecté, rester calme, etc. Fort bien. C’est la sagesse-même.
Au-delà l’interprétation diverge. Première version : ne rien faire et attendre que les problèmes disparaissent d’eux-mêmes. On cite Henri Queuille, le corrézien (d’où des amalgames récents et abusifs …) et que François Mitterrand a connu, jeune ministre, sous la IVe République : « il n’y a pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par faire disparaître. »
L’autre version est différente : il s’agit de respecter les processus et les temps de maturation. Rien ne sert de tirer sur les arbres pour les faire pousser ! Et, en politique, il faut attendre le moment opportun pour agir. Patienter, observer rester à l’affut, et se déclencher comme l’éclair. Métaphore pour chasseurs ou soldats embusqués. François Mitterrand l’aurait cité en 1984, après son initiative de referendum sur le referendum pour reprendre la main.
En politique les deux versions sont invoquées selon les moments, ou en même temps.
Le 2 mai 1981, juste avant son élection, François Mitterrand avait déclaré au Point : « les idées mûrissent comme les fruits et les hommes. Personne ne passe du jour au lendemain des semailles aux récoltes et l’échelle de l’histoire n’est pas celle des gazettes. »
3. Le supposé mensonge sur Gordji. Dans ses Mémoires publiées en 2010 Le regard d’un diplomate sur le monde, Jean-Bernard Raimond ministre des Affaires étrangères au moment des faits, sous la cohabitation Mitterrand/Chirac, évoque l’affaire Gordji, qui fut l’objet d’un échange resté fameux pendant le débat entre les deux hommes :
– Jacques Chirac : « M. Mitterrand, les yeux dans les yeux, oseriez-vous contester ma version ? »
– Le Président : « M. le Premier ministre, dans les yeux, je la conteste. »
Cet échange est souvent cité comme un exemple de l’aplomb incroyable du président Mitterrand, pour ne pas dire de son culot et encore en Juillet 2014 par Franz-Olivier Giesbert dans le Point. Et bien, dans son ouvrage, Jean-Bernard Raimond explique en détail l’affaire et écrit (page 88) : « ce n’est pas de bonne grâce que je m’oppose à l’opinion, rarement contredite, selon laquelle c’est François Mitterrand qui fit preuve d’audace dans le mensonge (…) c’est François Mitterrand qui disait vrai ! »