Mesdames et messieurs, je suis heureux de me trouver ce matin devant votre Assemblée, votre Parlement.
– Vous avez retrouvé, avec la souveraineté et la démocratie, la faculté d’élire vos représentants et donc d’exprimer légitimement la volonté de votre peuple. C’est donc pour moi un honneur que d’être ici devant vous et de m’adresser par votre intermédiaire au peuple lituanien.
– J’ai moi-même longtemps vécu dans les enceintes parlementaires, puisque avant d’être élu Président de la République, il y a onze ans, j’ai été pendant trente-cinq ans député de mon pays. C’est dire à quel point j’ai vécu ce qu’est votre vie d’aujourd’hui dans des circonstances différentes, mais à quel point j’ai pu travailler, apprécier et même aimer le fonctionnement de la démocratie.
– Et je tiens à l’honneur, chaque fois qu’il m’est donné de me rendre dans un pays étranger, d’aller saluer le Parlement. C’est ce que je fais aujourd’hui avec vous, avec d’autant plus d’intérêt et d’émotion qu’il s’agit d’une résurrection, du retour d’institutions libres, bref d’une victoire de la liberté dont vous êtes, mesdames et messieurs, aujourd’hui le symbole.
– J’ai pu, depuis hier, rencontrer à la fois le Président Landsbergis, mais aussi diverses personnalités représentant l’exécutif de la Lituanie comme ce matin M. le Premier ministre. Ainsi, il me sera donné dans un voyage d’Etat, bref sans doute, mais que je crois utile, d’approcher vos institutions sans oublier, bien entendu, hier soir comme je le verrai dans un moment, la présence nombreuse, amicale et chaleureuse des Lituaniens eux-mêmes dans les rues de votre capitale.
Beaucoup de problèmes vous sont posés. Comment en irait-il autrement ? Vous sortez d’une longue période où se sont multipliés les regrets, les souffrances mais aussi les espérances. Vous avez vaincu, dominé les souffrances, vous avez aujourd’hui à assumer les espérances. Et ce n’est pas facile non plus, même si vous êtes aidés et supportés par la tâche magnifique qui vous attend.
– Nous avons suivi, de loin, avec ferveur votre combat pour la liberté, les péripéties douloureuses qui ont accompagné cette conquête, ici-même dans ce bâtiment, qui porte encore le témoignage des combats, a été si proche de sa perte et n’a dû de l’emporter, je dois le dire, qu’au courage, à la résolution des patriotes lituaniens. On n’ose pas faire le compte de ce qui a été subi par votre pays au cours des dernières décennies. Combien de Lituaniens ont payé de leur vie cette tragique période ! Combien l’ont payé de l’exil. Et tous l’ont payé de l’angoisse et de tout ce qui touche à la dignité de l’homme qui se veut libre et qui doit subir l’oppression.
– Ici même vous représentez un vieux peuple, un vieux peuple d’Europe qui a connu ses heures de gloire et qui a toujours eu la fierté de rester lui-même. Et ce souvenir de votre histoire a dû, j’imagine, hanter votre mémoire en vous donnant à la fois l’élan et la résolution, mais aussi en créant un fond de nostalgie.
– Mais tout cela est balayé aujourd’hui. Vous êtes les députés du peuple lituanien, vous incarnez la souveraineté populaire et en plus de la souveraineté populaire, la souveraineté nationale. Vous êtes un pays libre ou qui devrait l’être tout-à-fait, indépendant et vous devez disposer de tous les droits attachés à la personnalité des Etats.
– C’est ce que la France entend proclamer par ma voix, ici à cette tribune et puisqu’il s’agit de la voix de la France que j’exprime, cette voix ira plus loin que les murs de cette salle. Elle a pour ambition d’atteindre jusqu’au moindre village de Lituanie mais aussi, après tout pourquoi pas, dans le monde entier : il faut qu’on sache mieux qu’on ne l’a jamais su que la Lituanie aspire dès maintenant à assumer les entières responsabilités d’un pays libre.
Pourquoi la France et pourquoi la Lituanie ? Monsieur le Président Landsbergis en a déjà dit quelques mots ainsi que le Président de séance, nos relations ne sont pas nées d’hier. On retrouve au détour des siècles une relation qui fut généralement amicale. Comme je l’ai dit hier soir, l’amitié peut être facilitée par l’éloignement ; après tout nous n’avons pas eu beaucoup d’occasions de nous affronter. Et j’ajoutais, la France n’a pas toujours été un voisin commode. Au cours d’un voyage précédent dans un autre pays du nord de l’Europe, je remarquais que la France n’avait connu l’absence de combat ou de guerre qu’avec le seul Danemark. C’est dire qu’aucun de nos peuples n’a été, à travers le temps, si paisible que nous puissions nous distribuer des louanges sur la nature idéale de nos peuples. Mais c’est comme cela. Nous avons pu entretenir, à quelques exceptions près fort rares, des relations amicales. Et je crois que la France a pu contribuer, à deux reprises, d’une façon utile au développement et à l’indépendance de la Lituanie.
– Depuis pas mal de temps, en tout cas depuis 1939, nous n’avons jamais accepté de renoncer à la souveraineté de la Lituanie. Moi même depuis ces onze années, j’ai été souvent sollicité par l’Union soviétique et j’ai perpétué la tradition de ceux qui m’avaient précédé, jusqu’à quelques détails matériels qui ne sont pas négligeables – même s’ils ne sont pas suffisants – puisque l’on avait bien voulu nous charger d’être les gardiens avec quelques autres de votre patrimoine ; nous l’avons scrupuleusement préservé et dès ma première rencontre avec le Président Landsbergis, (je l’ai rencontré avant votre indépendance), je lui ai dit : bien entendu, vous en disposerez comme vous voudrez. Bref, à aucun moment, nous n’avons abandonné la revendication fondamentale que représentait pour la Lituanie le souci de redevenir un Etat. Je vous apporte cela comme témoignage, et je déplore les quelques actes qui ont pu être accomplis en 1940 ou en 1945, qui ont donné lieu à une rétrocession de certaines parties de patrimoine aux deux puissances occupantes, aux deux régimes totalitaires qui vous ont successivement opprimés.
– Cette constance, non seulement dans l’amitié, mais dans le respect du droit d’un peuple, je considère que c’est une donnée capitale au moment où va s’ouvrir le siècle et même le millénaire prochain, au moment où vous allez vous épanouir en tant que peuple libre et reconquérir toutes vos positions diplomatiques, économiques, votre entière disposition militaire. Il est capital que nous soyons maintenant comme des compagnons de l’Histoire, sachant qu’on peut compter les uns sur les autres, c’est-à-dire sur la solidarité internationale.
– Je vais aborder certains de ces problèmes maintenant.
L’Europe à la fois s’organise et se désorganise. Elle s’organise à l’ouest, elle se désorganise à l’est ce qui ne veut pas dire que cette désorganisation doive être considérée avec un grand regret. Mais enfin elle est porteuse de nouvelles inquiétudes.
– A l’ouest, nous avons pu tirer la leçon des deux guerres mondiales qu’on pourrait résumer par cette expression : « la guerre civile européenne ». La première commencée en 1939, la deuxième achevée, en tous cas pour nous en 1945, c’est-à-dire dans un laps de temps extrêmement bref, deux guerres mondiales avec leur cortège de morts, de destructions, d’abandons de la terre et des usines, de ruptures de vies familiales, un temps d’arrêt qui aurait pu être mortel pour notre continent et qui a marqué son abaissement. Imaginez ce qu’était l’Europe autrefois et ce qu’elle était devenue dominée par deux empires, l’un qui était notre allié, l’autre qui n’était pas notre adversaire à nous Français. Mais nous étions de toute manière partie prenante au partage d’influences sur l’Europe et cette situation ne nous convenait pas. Il fallait réparer le désastre de la guerre.
– En sommes-nous sortis ? Peut-être oui dans notre cas. Certainement non dans le vôtre et c’est précisément la tâche à accomplir. Nous avons pu surmonter le souvenir cruel de nos affrontements. Quelle est la famille française qui n’a pas souffert dans sa chair, dans ses affections, des guerres avec l’Allemagne, du moins dans notre siècle ? Que de fois ai-je répété que j’étais moi-même né pendant la première guerre mondiale et que j’avais été soldat dans la deuxième. J’ai pu connaître l’abaissement, l’occupation de mon pays. J’ai pu prendre part au combat pour sa libération et je sais par quelles épreuves nous sommes passés. Je peux donc facilement concevoir ce que furent les vôtres. Mais cette période s’éloigne de nous, heureusement grâce à l’intelligence et la volonté de quelques hommes qui ont créé des structures politiques, économiques, monétaires, culturelles, techniques qui nous permettent à la fois de réaliser les fruits de nos réconciliations et de lancer sur l’avenir de larges ponts, de franchir le temps en avancant hardiment dans la paix et vers la prospérité.
La Communauté des Douze est aujourd’hui la première puissance commerciale du monde et si elle n’a pas le même rang dans les autres domaines c’est parce qu’il lui manque l’unité de volonté politique. C’est ce que nous sommes en train de bâtir puisque nos douze pays en débattent aujourd’hui. C’est le cas de la France et c’est hier matin qu’est intervenu le premier vote de notre Assemblée nationale en faveur du traité de Maastricht qui signifie précisément un pas en avant décisif vers cette unité politique, économique et monetaire que nous avons l’intention – que j’ai l’intention – de mener à son terme, ayant résolument pris parti pour l’organisation d’une communauté de l’Europe appelée à réunir et à rassembler bien d’autres Etats dans l’avenir proche ou moins proche mais à mesure que nous serons capables de créer les conditions de l’unité européenne.
– Voilà une perspective pour un pays comme le vôtre que rien ne distingue hors sa culture particulière, sa langue, ses moeurs mais que rien ne distingue au fond, sinon cet accident du dernier demi-siècle, des autres peuples de l’ouest européen. Mais vous avez été entrainés dans un cycle qui vous a condamnés à accumuler les retards. Vous n’en êtes pas responsables mais vous en supportez les conséquences. L’espoir d’être un jour membres à part entière de cette communauté est légitime. Je ne sais pas si vous le nourrissez et je ne me substitue pas à l’assemblée lituanienne ni à son gouvernement pour décider à sa place de ce qu’il convient de faire. Si jamais vous y pensiez, ce serait une perspective légitime et la communauté européenne doit dès maintenant s’y préparer. Mais ne franchissons pas le temps plus rapidement qu’il ne convient, aménageons-le et pour cela développons les accords d’associations, les accords de toutes sortes, les traités qui imbriqueront de plus en plus nos économies l’une à l’autre.
Notre rôle a nous qui avons eu la chance de surmonter plus tôt les drames de l’histoire est de vous aider, d’apporter notre contribution à votre relèvement. Ce n’est pas si facile car vous appartenez ou vous apparteniez à l’ensemble de ces pays qui furent intégrés à l’Union soviétique contre le droit. Mais en fait vous avez été totalement mêlés à l’ensemble des circuits qui vous portaient vers l’est de l’Europe. D’autres pays qui avaient pu rester souverains en fait même s’ils étaient sous la tutelle soviétique ont pu plus rapidement créer d’autres liens, développer d’autres échanges.
– On doit donc examiner la situation de la Lituanie comme de vos voisins baltes d’une façon particulière, et quand je dis de vos voisins baltes, c’est vrai qu’il y a une certaine forme d’unité, d’identité baltes. On dit souvent les pays baltes et on a raison. Mais on aurait tort de ne pas distinguer, tant il y a aussi de différences et, disons les choses, d’identités très affirmées pour chacun de vos trois pays.
La Communauté exigera des étapes. Dès maintenant se proposent un certain nombre de structures européennes ou qui dépassent l’Europe, je pense à la CSCE. Nous avons toujours, nous en France, été extrêmement favorables à cette conférence et j’ai moi-même demandé à l’époque, précédant mes partenaires anglo-saxons et quelques autres, la réunion de la conférence qui devait aboutir à la Charte de Paris. En compagnie de M. Gorbatchev, nous étions favorables à cette démarche parce que nous sentions bien qu’en face de la dislocation déjà visible de l’Union soviétique, il fallait se presser de disposer d’un cadre politique et diplomatique où nous pourrions proclamer non seulement la souveraineté des Etats mais également la mettre en oeuvre.
– La garantie des frontières, ce n’est pas négligeable, c’est même déterminant. A l’intérieur des frontières chaque pays est souverain. Cela veut dire qu’il peut librement se gouverner sur la base d’un régime démocratique, avec l’expression pluraliste de l’opinion publique et la vie concomittante de partis libres représentés au Parlement s’ils en ont le moyen, la force et le nombre. C’est une réponse de principe à bien des questions que vous posez notamment sur le plan militaire. Il n’y a pas à hésiter sur la réponse à apporter. Nous en France nous entretenons de bonnes relations avec la Russie et c’est aussi une de nos traditions. Ces deux grands pays situés aux deux bords de l’Europe ont vu le plus souvent leurs intérêts concorder et c’est une donnée à laquelle je tiens.
– Mais aucun argument de l’histoire et aucune relation particulière ne peut rien changer à cette donnée juridique de base : un Etat souverain, avec ses frontières reconnues et donc qui doivent être protégées, est maître chez lui !
– Tout manquement à ce principe est un danger non seulement pour le pays en question mais pour tous les autres. Ce qui veut dire que nous sommes solidaires pour la défense de ce principe. Il ne serait pas normal que la Lituanie ne puisse disposer à sa guise de son territoire, et doive supporter plus longtemps que de raison la présence d’armées étrangères.
– Cela doit être l’objet d’un dialogue. Nous n’en sommes plus au temps – du moins je l’espère dans cette partie de l’Europe -, où c’est l’affrontement, le conflit armé qui apportent la réponse, car on en souffre assez aujourd’hui dans les Balkans, et l’on peut craindre la contagion.
Il faut donc aménager le calendrier, organiser les discussions, obtenir le concours des autres Etats démocratiques d’Europe, l’affirmation de la solidarité de tous les pays libres au sein des conférences internationales pour que votre liberté de décision et de disposition redevienne entière. Et si je me permets de vous inviter à persévérer dans le dialogue pour parvenir à vos fins, je n’en reste pas moins très ferme pour considérer qu’il faut que votre droit s’impose dans le délai le plus raisonnable compatible avec les possibilités de votre partenaire russe et de vous-même. Si l’on ne veut pas s’installer dans une situation anormale et choquante, tout le reste n’est qu’affaire d’arrangements pratiques dont je comprends la nécessité, arrangements pratiques, et pourquoi pas dire amiables ou amicaux si c’est possible, afin que dans un délai, je le répète, raisonnable vous retrouviez la plénitude de l’usage de vos droits. En tout cas au sein des assemblées internationales, européennes, comme la France est l’un des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité, c’est un principe sur lequel je puis vous affirmer que nous ne transigerons pas. Et je tiens à l’affirmer hautement de cette tribune.
Il y a ce qui existe. J’ai parlé de la Communauté en Europe. Il y a la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, en compagnie des Etats-Unis d’Amérique et du Canada : accèdent à cette conférence beaucoup de pays nouveaux ou nouvellement reconstitués, c’est donc la véritable grande assemblée dans laquelle nous sommes appelés à nous retrouver tous. Il faut admettre qu’il s’agit-là d’une enceinte où la plupart de nos problèmes internes européens peuvent trouver une solution, et il n’y a pas de droit de veto qui puisse s’imposer contre le bon sens et la réalité de l’histoire.
– On peut imaginer d’autres formes d’organisation. Nous-mêmes avons esquissé, en relation étroite et amicale avec l’Alliance atlantique une organisation militaire qu’on appelle l’Union de l’Europe occidentale, pour une entente particulière entre pays de la Communauté, de même que nous avons, nous Français, un accord tout à fait spécial, d’une nature assez exceptionnelle, de division commune avec l’Allemagne, pour bien marquer le progrès de notre entente et son aspect, je l’espère, irréversible. Toutes ces réalités, mais ces perspectives aussi sont ouvertes à la Lituanie comme à tous autres. A vous d’en faire la démonstration. A nous de vous apporter notre concours.
J’ai, il y a quelques temps, demandé aux pays démocratiques d’Europe de commencer à penser à une organisation spécifiquement européenne où tous se retrouveraient à égalité de dignité et de compétence. Les plus pauvres, les plus riches, les mieux dotés par la nature, les moins bien fournis, du Nord ou du Sud, de l’Est ou de l’Ouest : ce que j’ai appelé la Confédération européenne. On pourrait l’appeler autrement, ce n’est pas le problème. Le problème c’est la réalité d’une situation qu’il faut créer. Il faut que les Européens démocratiques se retrouvent régulièrement au sein d’une institution qui leur permettra de travailler en commun sur ce qui leur est déjà commun, sans rejeter dans l’avenir incertain la réalisation parfaite d’une structure européenne. Mais il y a beaucoup de choses qui nous sont déjà communes. Il y a des principes de droit. Mais il y a aussi bien des domaines : économique, technique, la défense de l’environnement, les moyens de communications, ou bien les échanges commerciaux, en même temps que, conformément aux accords de la CSCE, un pacte d’amitié et de paix doit prévaloir dans les relations inter-européennes. Mais j’espère aussi, un jour, des réunions des ministres des affaires étrangères, des ministres de l’économie et des finances autour d’un secrétariat permanent, organisé, installé dans une de nos capitales, et des rencontres, – je l’ai dit récemment à Strasbourg devant le Conseil de l’Europe -, au moins tous les deux ans entre les chefs d’Etat et de gouvernement. Qui peut servir de noyau à l’édification de cette confédération ? C’est l’histoire qui le dira ! Et dès maintenant il existe assez d’enceintes où cela devient possible, je pense en particulier au Conseil de l’Europe où chacun de nos peuples démocratiques a vocation à se retrouver.
– Vous voyez cela fait beaucoup de rendez-vous que je vous propose et qui devraient nous permettre de perpétuer en les améliorant encore nos multiples relations de tous ordres.
Vous avez vous-mêmes, un passé très riche de culture et j’ai déjà abordé ce sujet avec votre Président. Ce passé riche de culture doit être mis en valeur. La culture est un très fort ciment entre les peuples. L’un des fondateurs de l’Europe de la Communauté, le Français Jean Monnet qui était d’ailleurs mon compatriote dans la petite région dont je suis originaire, mais que j’ai connu lorsque j’étais enfant, disait : « Si j’avais à refaire l’Europe, je commencerais par la Culture ». Cela a une grande signification que de le dire. Cela ne serait pas suffisant, mais la compréhension dans le domaine le plus subtil et le plus profond de l’être humain, c’est quand même avec cela que l’on bâtit la paix, l’entente.
– Je pense au rôle de Milosz par exemple. A la fois Lituanien, – je crois qu’il était diplomate -, et grand poète français. C’est un exemple. Nous parlions hier soir de Mickiewicz qui fut une immense révélation pour la culture française dans la deuxième moitié du XIXème siècle. L’arrivée soudaine d’un mode de pensée, d’une forme d’expression que nous ignorions, et qui nous est apparue très enrichissante pour la culture européenne. Nous allons multiplier ces formes d’échanges. Nous avons prévu à Paris, mais aussi dans toute la France, ce que l’on appelle des « Journées Baltes » où seront conviés tous ceux d’entre vous dont l’oeuvre a déjà retenu l’intérêt ; de même, nous entendons développer, en Lituanie, nos centres culturels et organiser des tournées artistiques qui nous permettront de mieux nous connaître.
Sur le plan économique, j’ai été saisi de quelques demandes parfaitement naturelles. Comment la France pourrait-elle contribuer à la sortie de la Lituanie du stade difficile où elle se trouve ? Je disais pour commencer, il y avait les nostalgies, mais il y a les espérances. Mais, mesdames et messieurs, les espérances c’est très lourd à porter ! On n’en voit que l’aspect romantique, c’est la joie du coeur, c’est l’esprit qui se porte vers un avenir naturellement éclairé où nous ne serons plus ce que nous sommes, où la nature humaine se sera formée à toutes les formes, et les structures de la civilisation. Oui mais, attention aux rêves !
– La « Liberté » n’existe pas à l’état naturel. C’est une construction de l’homme. Ce sont les institutions qui la garantissent. Le droit est une construction de l’homme contre la nature anarchique, la nature est contre l’homme aussi.
– Nous avons donc beaucoup de travail, et vous en avez particulièrement afin de justifier l’espérance, votre espérance à vous, qui attendiez, qui combattiez et qui rêviez de ce que serait la Lituanie future. Eh bien cette espérance il faut la justifier. Vous ne pouvez pas le faire à vous seuls. Vous allez vivre votre vie démocratique, ce qui suppose, vous le savez déjà j’imagine, bien des luttes. Enfin, je suppose que c’est déjà fait. L’inverse ne serait pas naturel ! La démocratie est une institution qui allie les contraires, qui organise le combat, mais qui le préserve dans les limites acceptables pour que, tous ensemble, on se sente membres du même pays et engagés dans la même construction historique. Mais ce n’est pas facile à vivre. Alors il faut que les autres, qui connaissent leurs difficultés, vous aident.
J’ai dit à vos dirigeants, au pouvoir exécutif et administratif nous ne pouvons pas faire de miracles, nous Français ! Nous avons nos obligations dans d’autres parties du monde. Nous avons un fort héritage africain, nous avons des relations très étroites avec beaucoup de pays d’Amérique latine. Pour parler chiffres, songez que nous avons de nous-mêmes renoncé, afin de contribuer au développement du tiers monde, à plus de 30 milliards de francs de créances pour donner l’exemple (modérement suivi par les autres puissances) et ce qui reste de créances à l’égard de ces pays – surtout les créances privées – ne doit pas nourrir beaucoup d’illusions en raison de l’accroissement du fossé entre les pays riches et les pays pauvres. Ce sont nos « circuits » à nous, qui sont devenus traditionnels mais nous ne pouvons donc pas répondre partout aux besoins légitimes qui se font entendre.
– Il faut donc que nous procédions, vous et nous, à une reconversion, reconversion par rapport à ce qui a été créé depuis longtemps chez vous et qui fait que votre économie est dépendante, en particulier vos fournitures énergétiques, et j’imagine que cela ne peut pas se dérouler aujourd’hui sans un certain désordre ; c’est-à-dire que vous n’êtes jamais assurés que cela marchera. Il vous faudra ce type d’assurance. Un pays ne peut pas vivre comme cela sans savoir où il va. Il faut donc rétablir ou établir d’autres circuits avec l’ouest. D’une part garder ce qu’il y a de bon et beaucoup de choses sont bonnes dans vos relations avec l’est ; il ne s’agit pas du tout d’aller vers des ruptures inutiles mais peut-être de diversifier vos sources d’approvisionnement et la nature de vos échanges.
– Je compte engager la communauté à unir ses efforts, elle le peut davantage avec la contribution de la France. Nous avons commencé d’en discuter – les ministres qui m’ont accompagné, vos ministres ont déjà avancé sur ce sujet en particulier sur le plan agricole – mais tout cela doit être entrepris avec sérieux et la Communauté européenne doit prendre, selon les demandes qui lui seront faites et dans la mesure que vous souhaiterez, sa part à votre redressement.
Voilà mesdames et messieurs ! Je vous ai parlé peut-être longuement mais je tenais à aborder les problèmes principaux qui se posent à vous. Nous nous sommes efforcés nous-mêmes en France de multiplier les propositions : nous vivons actuellement très cruellement le conflit yougoslave ; nous avons préconisé une nouvelle institution que l’on appelle la Cour européenne de conciliation et d’arbitrage. Nous souhaiterions que les conflits fussent prévenus et pas simplement réglés après une somme de morts et de destructions inutiles. Nous en avons saisi tous nos partenaires et nous vous en saisissons de la même manière.
Mes souhaits mesdames et messieurs vont vers vous. J’accorde beaucoup d’intérêt, d’importance à la nouvelle relation entre la Lituanie et la France. Je crois qu’il serait très important, dans l’intérêt de mon propre pays, de disposer d’amitiés solides et de relations fortes avec l’ensemble balte. De plus en plus vos voisins scandinaves par exemple vont accéder à la Communauté. Des traités d’associations se multiplient avec vos voisins polonais et autres. Pourquoi pas vous ? Je dirais presque à plus forte raison. Je voudrais donc que ces quelques propos tenus à cette tribune après vous avoir adressé des remerciements qui ne sont pas de simple usage, de courtoisie diplomatique m’adresser aussi au Président Landsbergis et aux différents responsables que nous avons rencontrés. L’accueil que nous recevons, celui de votre peuple et celui de ses élus ici dans cette salle nous apporte un motif supplémentaire d’être vos amis car rien ne remplace la relation directe. La relation directe telle que celle que nous établissons doit nous permettre de mieux voir et de mieux comprendre la route à suivre, les étapes à parcourir, les engagements à prendre et la manière de les tenir. Le fait que la Lituanie soit si disponible et si ouverte à l’amitié française, est aussi pour nous un motif de fierté, de réconfort et d’espoir.