Le brusque décès de Gilles Ménage le 5 juillet dernier, le jour de ses 74 ans, alors que gare Montparnasse, il descendait du train d’Agen, a affligé ses nombreux amis et ses collaborateurs d’avant et d’aujourd’hui.
Ce deuil brutal ravive en moi de nombreux souvenirs. Nous nous étions connus à l’Elysée, en 1981, dans l’ombre de François Mitterrand, tous les deux comme simples conseillers techniques, lui auprès du Directeur et du Directeur adjoint de Cabinet (André Rousselet, et Jean Claude Colliard), moi chargé des « relations extérieures », c’est-à-dire conseiller diplomatique. Nous ne travaillions pas directement ensemble mais nous nous voyions tous les jours. Nous avons aussitôt sympathisé et sommes devenus amis. Cela a duré … 36 ans. A l’Elysée, il fut Directeur de Cabinet adjoint (de 1982 à 1988) puis Directeur de Cabinet avec le second septennat de François Mitterrand, de 1988 à 1992 (durant les gouvernements Rocard, puis Cresson); tandis que je devenais conseiller pour les affaires stratégiques, porte-parole et enfin, Secrétaire général. Confrontés à la réalité quotidienne du pouvoir, au service d’un patron charismatique, notre estime mutuelle ne cessa de grandir.
Ayant eu à suivre ce qui relevait du ministère de l’Intérieur et donc des questions de sécurité, de police, et de lutte contre les terrorismes, il fut condamné en 2015 – plus de vingt ans après du fait de l’action de la « cellule » anti-terroriste placée à l’Elysée et d’écoutes téléphoniques, jugées abusives, que celle-ci avait mise en place dans ce contexte. Il en avait été très affecté. Les menaces n’étaient pas imaginaires mais placer une telle entité à la Présidence fut une erreur et il n’y était pour rien. Ce qui est jugé est jugé, mais je peux témoigner de sa fiabilité, de sa loyauté et de sa fidélité à François Mitterrand. Contrairement à ce qu’ont écrit quelques journalistes injustes, il n’avait jamais fait passer le Président avant le sens de l’Etat ni opposé sa sécurité à celle des Français. André Rousselet dans ses mémoires « À mi-parcours » évoque le rôle important de Gilles Ménage sur d’autres sujets. Gilles Ménage lui-même a laissé un témoignage précieux dans les trois tomes de son « œil du pouvoir ».
En 1992, Gilles a été nommé Président d’EDF (il était, à cette époque, tout à fait légitime de nommer un préfet à la tête de cette entreprise publique) ; à ce poste il avait, notamment, très rapidement pris la mesure du défi chinois. Dans cette Lettre de l’IFM vous pourrez lire plusieurs témoignages qui illustrent l’action de Gilles en tant que Président d’EDF.
En 2003, il avait été élu membre du Conseil d’administration de l’Institut François Mitterrand, et choisi comme Secrétaire général, en même temps que j’en devenais Président (après Roland Dumas, Jean-Louis Bianco, et Jean Kahn), et Michel Charasse, vice-Président. Il mit comme chef d’équipe une énergie remarquable à organiser et développer toute une panoplie d’actions visant à assurer – c’est la vocation de l’IFM – la mémoire et la connaissance de la personnalité et de l’action de François Mitterrand. Et cela en particulier en 2016, pour le Centenaire, période pendant laquelle nous avons lancé, suscité, encouragé ou mené à bien plusieurs dizaines d’initiatives marquantes. Mais c’est à la maison familiale des Mitterrand à Jarnac que Gilles s’est consacré en priorité pendant toutes ces années. C’est bien grâce à lui que cette maison chargée d’histoire n’a pas été vendue, a été restaurée, remise dans son « jus », si émouvant, et qu’elle accueille de plus en plus de visiteurs. Sans Gilles tout cela ne se serait pas fait. Je n’oublie pas toutes les autorités et institutions qu’il avait su mobiliser pour nous aider à mener à bien ce grand projet.
J’ajoute que Gilles était sympathique, foncièrement gentil, sincèrement dévoué à la cause de l’IFM, réservé, amical, serviable. Il nous manque déjà, et nous ne l’oublierons pas.
Hubert Védrine